« Cdiscount sera rentable en 2024 sur son activité e-commerce » (Thomas Métivier)

INTERVIEW. Cdiscount arrivera-t-il enfin à s'offrir un exercice rentable pour fêter ses 25 ans ? Promu début 2023, Thomas Métivier, le directeur général de cette entreprise en pleine transformation, en est persuadé. À seulement 37 ans, il pilote le pivot vers la marketplace et les services BtoB assorti d'un plan d'économies et d'une accélération sur l'IA générative. Il reste à savoir si cette stratégie sera suffisante pour permettre au champion tricolore du e-commerce de résister aux géants américains et chinois.
Thomas Métivier est le directeur général de Cdiscount depuis début 2023.
Thomas Métivier est le directeur général de Cdiscount depuis début 2023. (Crédits : Cdiscount)

LA TRIBUNE - 25 ans après la création du site de commerce en ligne, l'entreprise a beaucoup évolué. Comment définissez-vous ce qu'est devenu Cdiscount ?

THOMAS METIVIER - Cdiscount, aujourd'hui, c'est deux grandes activités. La première c'est l'activité historique en BtoC avec le site e-commerce Cdiscount.com qui combine désormais la vente directe et la marketplace. La deuxième c'est tout ce qui relève de nos métiers BtoB : publicités en ligne, services logistiques, offres de marketplace clé en main avec notre filiale dédiée Octopia, etc. Et ces deux activités complémentaires basculent de plus en plus vers une logique de services qui constitue le cœur de notre modèle économique aujourd'hui et de notre profitabilité demain : services aux vendeurs et aux annonceurs de Cdiscount.com mais aussi services logistiques et de marketplace pour des acteurs tiers, dont une moitié à l'étranger. Ces deux métiers BtoB et BtoC offrent des synergies et se nourrissent mutuellement.

Lire aussiCdiscount : Emmanuel Grenier passe la main à Thomas Métivier confirmant le virage BtoB

Par cette évolution, avez-vous acté que votre activité e-commerce historique ne sera jamais rentable ou suffisamment rentable compte tenu des faibles marges et de la forte concurrence ?

Non, parce que nous sommes en train d'amener notre e-commerce à la rentabilité. Cela passe par la montée en puissance de la marketplace, qui pèse désormais 63 % des ventes en 2023 et a vocation à grimper jusqu'à 75 %, et via un travail sur notre offre en propre, notamment en améliorant le taux de rotation de nos stocks et en resserrant l'assortiment sur les catégories les plus rémunératrices. Donc ce n'est pas un sujet de compensation mais plutôt une question d'opportunités avec la conviction que, pour être performant aujourd'hui dans le e-commerce, il y a un enjeu de taille et un enjeu d'avoir accès à certains effets d'échelles sur la technologie. On réunit ces deux conditions et on est donc en mesure de mettre notre savoir-faire aux services d'autres acteurs du e-commerce. Ce sont des entreprises qui ont une identité de marque forte et donc une valeur marketing mais à qui il manque le savoir-faire technologique et logistique.

La conjoncture reste pourtant difficile pour Cdiscount. Quelles sont vos prévisions pour l'année 2024 ?

2022 et 2023 ont été des années compliquées au global pour le e-commerce après la crise sanitaire et on avait en plus fait le choix de réinvestir pendant la bonne dynamique des années Covid. On a bougé assez rapidement, dès début 2022, considérant qu'il ne s'agissait pas d'un simple trou d'air mais bien d'un réajustement structurel du marché. On a donc lancé un plan de 90 millions d'euros d'économies en année pleine, on a recentré notre offre de ventes en propres sur les marques et catégories les plus rémunératrices, on a amélioré la rotation de nos stocks et on a accéléré le pivot vers la marketplace. Ce sont des décisions importantes qui ont impact fort sur nos ventes et notre chiffre d'affaires mais c'est assumé pour redresser notre rentabilité, notre Ebitda et notre cash opérationnel [lire encadré, NDLR]. Et la dynamique se poursuit avec une trajectoire de retour à l'équilibre qui se confirme et qui s'appuie sur un modèle plus sain et pérenne que par le passé.

Cdiscount encore dans le dur en 2023

À la tête d'une entreprise de 2.000 salariés, Thomas Métivier affronte des vents contraires avec ses produits phares - produits tech et équipements de la maison - qui souffrent de l'inflation et une concurrence croissante. En 2022, Cdiscount affichait un chiffre d'affaires en baisse de -21 % à 1,7 milliard d'euros tandis que celui d'Amazon progressait de 17 % à 10,5 milliards d'euros. L'enseigne bordelaise accusait également un résultat net négatif : -73 millions d'euros contre -51 millions d'euros un an plus tôt. Au premier semestre 2023, Cdiscount a vu son volume d'affaires dévisser de -14 % sur un an pour atterrir à 1,38 milliard d'euros, principalement à cause de la baisse d'un tiers des ventes directes au profit de la marketplace jugée plus profitable. Malgré un résultat courant encore négatif (-14,3 millions d'euros), l'Ebitda a bondi de 132 % à 33,9 millions d'euros tandis que le taux de marge est ressorti en hausse de 7 points à 29,7 % Même tendance au troisième trimestre : alors que le chiffre d'affaires net dévisse de -24,8 % à 281 millions d'euros, les revenus des services BtoB sont en progression de 6,9 % à 25 millions d'euros permettant une hausse du taux de marge de 7 points.

De quoi permettre à Cdiscount d'être enfin rentable après de longues années dans le rouge ?

Oui, Cdiscount sera rentable en 2024 sur son activité e-commerce : sa rentabilité opérationnelle sera positive ! Sauf calamité de marché, bien entendu, mais on s'attend à une année 2024 toujours compliquée pour le e-commerce mais moins défavorable sur les segments de marché de Cdiscount tels que les biens d'équipements, l'informatique, le mobilier et l'électroménager. Ce ne sera pas exceptionnel mais le plus dur est derrière nous et on est confiant dans notre dynamique, notamment la hausse au premier semestre de +7 % des services BtoB (marketplace, publicités, logistique etc.) où le taux de marge est très supérieur à celui du e-commerce classique.

Quel est l'impact des tourments de Groupe Casino sur votre activité ? Craignez-vous une cession de Cdiscount ?

Depuis l'accord scellé le 5 octobre [sur la restructuration de la dette du groupe Casino avec ses principaux créanciers, NDLR], on y voit plus clair et une partie de l'incertitude de ces derniers mois est levée. La procédure de sauvegarde accélérée permet de se projeter vers l'avenir avec l'apport de 1,2 milliard d'euros d'argent frais pour soutenir le développement commercial de ses branches et notamment de Cdiscount qui bénéficiera de ces investissements. Au sein du groupe Casino, Cdiscount constitue un actif précieux et notre trajectoire de redressement, qui porte ses fruits, joue en notre faveur. À aucun moment, il n'a été question de céder Cdiscount à la découpe dans le cadre des négociations. [Le 27 novembre, le groupe Casino a annoncé l'acquisition auprès de GPA de 34,0% du capital de Cnova, portant sa participation à 98,8% de cette holding néerlandaise maison mère de Cdiscount. L'opération valorise Cdiscount à 29,4 millions d'euros. NDLR]

En termes de taille, vous êtes grand à l'échelle française et européenne mais petit face à la concurrence d'Amazon et des géants chinois. Comment faire face à cette concurrence ?

Nous sommes forts sur notre marché domestique face aux très grands acteurs internationaux ce qui est unique dans les pays européens majeurs. On résiste bien parce qu'on a réussi à suivre les différentes générations du e-commerce. Avant c'était le prix et l'offre de produits, aujourd'hui c'est la marketplace qui tire le marché et qui performe le mieux parce qu'il combine large choix, prix compétitifs et qualité de service. Cdiscount a lancé sa marketplace dès 2011 ! Et ça a fait basculer la boîte dans une dimension technologique pour pouvoir gérer le nombre de produits et de données. Et aujourd'hui l'enjeu c'est de se saisir de l'IA générative.

Et face à la concurrence des sites e-commerce spécialisés ?

On a la chance de jouir d'une forte notoriété et on est le deuxième acteur auxquels les Français pensent lorsqu'ils achètent sur internet [derrière Amazon, NDLR]. 80 % de notre activité c'est du trafic gratuit qui vient chez nous sans qu'on n'aille le chercher. Notre enjeu c'est donc de capitaliser là-dessus en fidélisant les clients, notamment avec « Cdiscount à volonté » qui permet des livraisons rapides et un système de cagnotte. Cela fonctionne très bien pour construire la fidélité de nos clients sur une gamme de produits sans commune mesure avec les sites spécialisés.

E-commerce

Cliquez sur l'image pour l'agrandir. Les 20 sites e-commerces les plus fréquentés en France au 2e trimestre 2023 (crédits : Médiamétrie / NetRatings)

Vous parliez de l'IA générative. Comment utilisez-vous ce nouvel outil ?

On s'est emparé de l'IA générative avant même l'arrivée de ChatGPT, lorsqu'il n'y avait que GPT. L'une des applications déployées en production c'est de nous aider à catégoriser le million de produits qui sont référencés chaque semaine dans notre base de données. Trouver la bonne catégorie parmi les 7.000 possibilités emporte des conséquences décisives sur la fiche technique, le référencement, la visibilité, etc. On a un algorithme renforcé en interne mais on utilise aussi GPT lorsqu'on a un doute. Et la puissance de cet outil permet de réduire de moitié les erreurs de catégories. Ce qui ensuite permet un taux de conversion supérieur de 30 %. On utilise aussi l'IA générative pour notre chatbot qui répond aux questions des clients avec un niveau de satisfaction comparable à une interaction humaine. Enfin, l'IA aide également en interne nos équipes de développeurs à travailler. Avec nos 30 data scientists, on est déjà dans le e-commerce de demain ! Mais il faut encore accélérer parce que l'IA est un paramètre vraiment transformant : ceux qui sauront prendre cette dynamique creuseront l'écart avec les autres.

Lire aussiBruno Le Maire : « L'IA est une chance pour ceux qui la maîtriseront, elle sera un désastre pour ceux qui lui tourneront le dos »

Il y a cinq ans, votre prédécesseur Emmanuel Grenier, voulait faire de Cdiscount « une plateforme de produits, de services mais aussi une plateforme publicitaire avec une technologie dédiée, et une plateforme sociale ». Est-ce le cas aujourd'hui ?

Oui, je pense qu'on est vraiment au rendez-vous de cette vision-là. La marketplace qui était embryonnaire est aujourd'hui le cœur de notre activité et les services publicitaires se sont bien développés. On doit encore progresser à mon avis sur la partie sociale et les mécanismes de fidélisation. L'évolution qu'on n'avait pas vu venir à l'époque c'est la valeur de notre plateforme technologique pour les autres acteurs du e-commerce. C'est la logique d'Octopia et de Clogistics et c'est, à mon avis, l'étape d'après pour Cdiscount.

Est-ce une manière pour vous de défendre une tech européenne ?

La tech est un enjeu de souveraineté, un enjeu politique qui fait l'objet de lobbying intense de la part des géants du numérique. Nous sommes convaincus qu'il faut porter et défendre une tech européenne. Et en valorisant nos savoir-faire en matière de e-commerce on favorise l'émergence d'alternatives locales aux géants américains et chinois. Mais il y a aussi besoin d'un cadre règlementaire européen clair pour que tout le monde puisse être traité de la même manière, notamment sur la problématique de la contrefaçon sur des plateformes chinoises.

Quelles sont les tendances montantes du e-commerce ?

L'offre de produits et services va continuer à s'élargir et on ira même vers des séries très courtes permettant de répondre au besoin d'hyper-personnalisation exprimé par le consommateur. On entre aussi dans une ère marquée par la conversation entre le vendeur et l'acheteur. Est-ce qu'elle sera vocale, écrite ou autre ? C'est difficile à dire mais on sera encore davantage dans une relation d'accompagnement de l'achat en amont de la transaction. Enfin, le troisième volet c'est l'émergence d'acteurs à l'échelle de l'Europe pour alimenter l'écosystème européen. Tout l'enjeu de Cdiscount c'est d'être l'un de ces acteurs et on en a les moyens : la taille, la technologie et la volonté.

Lire aussiE-commerce : la vente en ligne encaisse le contrecoup des années Covid

Cdiscount en cinq chiffres

  • L'entreprise emploie 2.000 salariés, principalement à Bordeaux
  • 16.000 vendeurs, dont 1/3 de Français, 1/3 d'Européens et 1/3 hors d'Europe, principalement chinois et asiatiques, ont vendu sur Cdiscount en 2023
  • 80 millions de produits y sont référencés
  • 7,8 millions de clients ont été actifs sur Cdiscount au cours des douze derniers mois au 30 septembre 2023, soit un million de moins qu'un an plus tôt
  • 1,7 million de clients sont abonnés à « Cdiscount à volonté », soit 800.000 de moins qu'un an plus tôt

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.