L'agrivoltaïsme : « escroquerie verte » ou vrais « énergieculteurs » ?

DÉCRYPTAGE. Installer des panneaux photovoltaïques sur des parcelles agricoles, pour produire une électricité verte et assurer au passage la pérennité de l’exploitation : telle est la promesse des acteurs de l’agrivoltaïsme. Mais gare à l’agriculture « alibi », préviennent les pouvoirs publics.
La centrale solaire de Merle-Sud à Saint-Magne (Gironde) .
La centrale solaire de Merle-Sud à Saint-Magne (Gironde) . (Crédits : Agence APPA)

L'agrivoltaïsme est-il seulement "le nom d'une nouvelle escroquerie verte", le prétexte de "tous les affairistes souhaitant émarger aux dispositifs divers de la relance verte", comme l'écrivait la Confédération paysanne de Gironde début février, dénonçant alors l'émergence de grands parcs photovoltaïques dans les Landes et en Gironde ? Non, répondent les agriculteurs et éleveurs porteurs du projet Terr'Arbouts, près de Mont-de-Marsan, dans les Landes. Regroupés au sein de l'association Patav, ils se lancent dans la co-production agricole et énergétique, aux côtés de l'aménageur de projets agrivoltaïques Green Lighthouse Developpement (GLHD). Avec pour objectif premier de financer leur transition vers une agriculture durable.

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"Quand on nous a annoncé en 2018 que la qualité de l'eau était clairement impactée par nos pratiques, et qu'il nous fallait viser un objectif Zéro Phyto dans les quinze ans, nous avons reçu un coup de massue", se souvient Jean-Michel Lamothe, agriculteur et président de Patav, lors d'un webinaire organisé le 19 avril. L'installation de panneaux d'une puissance de 300 MW d'ici à 2024, pour un investissement global de 130 millions d'euros, doit ainsi permettre à la trentaine d'agriculteurs et d'éleveurs installés sur ces 1.200 hectares de terres agricole de financer la mutation de leurs parcelles vers des cultures plus économes en eau et en intrants. Telle la graine de chia, que le collectif est en train d'expérimenter.

Des "énergieculteurs"

Le principe : GLHD, exploitant des panneaux, versera à ces "énergieculteurs" une indemnité annuelle sur 40 ans, mutualisée entre tous les membres de l'association, que leur parcelle soit équipée en panneaux ou non. "Nous ne touchons pas à la forêt, nous n'artificialisons rien du tout", prévient d'entrée de jeu Jean-Marc Fabius, directeur général de GLHD, également présent sur ce webinaire.

Pour ces agriculteurs landais contraints d'adapter leurs pratiques à la nouvelle donne écologique et climatique, il en va bien de la survie, à terme, de leurs exploitations. "Il faut pérenniser nos exploitations et faire en sorte de pouvoir un jour les transmettre", insiste François Lesparre, agriculteur administrateur de Patav, résolu à "faire le nécessaire pour que Terr'Arbouts soit un projet agroécologique". Pas d'agriculture "alibi" ici, donc.

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"Nous manquons de retours d'expériences"

Car c'est bien cet enjeu que pose le développement de l'agrivoltaïsme : comment s'assurer que le projet assure effectivement une synergie entre production agricole et production énergétique ? Qui doit jouer le rôle de sentinelle ? "Les développeurs de panneaux photovoltaïques au sol l'ont bien compris : ils sont plus simples à installer sur des terres agricoles. Ils arrivent avec des projets très séduisants clé en main, savent s'adjoindre les services de bureaux d'études très brillants, trouver les arguments - comme par exemple l'utilité des panneaux pour protéger l'élevage des prédateurs", défendait fin mars auprès de La Tribune Bertrand Dumas, chargé d'études économiques prospectives à la chambre régionale d'agriculture de Nouvelle-Aquitaine.

"Mais comment évoluent les conditions de travail pour les agriculteurs qui doivent composer avec la présence de panneaux sur leur exploitation ? Quelle sera la qualité des couverts végétaux sous les panneaux ? Et quid, par exemple, de la poussière qui se dépose sur les panneaux après le passage d'un engin de récolte ? Nous manquons de retours d'expérience pour répondre à ces questions", pointait-il encore.

"Cela fait 14 ans que l'agrivoltaïsme se développe à l'étranger, des retours d'expériences, il y en a", répond en la matière Jean-Marc Fabius auprès de La Tribune, faisant également valoir le travail préalable d'analyses de faisabilité technique et de débouchés commerciaux, élaborées "avec les bureaux d'études agricoles et les chambres départementales d'agriculture".

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« Activité agricole significative »

C'est justement pour élaborer des recommandations à l'égard des pouvoirs publics que l'Ademe a réalisé une étude sur l'état de l'art de l'agrivoltaïsme, publiée en mai 2020. L'agence nationale y décrit les performances énergétiques de plusieurs types de systèmes installés en terres agricoles, leurs effets environnementaux, mais aussi la jurisprudence déjà en vigueur. On y apprend notamment qu'un projet de "ferme agri-solaire" prévu à Viabon dans l'Eure-et-Loire a été définitivement enterré en juillet 2019 par le Conseil d'État, à défaut du maintien "d'activité agricole significative". Cette dernière doit en effet représenter au moins la moitié des revenus de l'exploitation qui se met à l'agrivoltaïsme.

C'est aussi faute d'un projet agricole solide que les quelques candidats néoaquitains à l'appel d'offres "solaire innovant" de la CRE, ouvert depuis 2018 aux projets d'agrivoltaïsme, n'ont pas été retenus, expliquait fin mars à La Tribune Christelle Laclautre, inspecteur de l'environnement de la Dreal : "Installer des panneaux photovoltaïques et mettre des moutons autour, ça ne suffit pas !"

Bâtir un cadre de référence

Il s'agirait donc de bâtir un cadre commun de référence, consensuel, sur lesquels les porteurs de projets pourraient s'appuyer. C'est en tout cas l'ambition de la chambre régionale d'agriculture de Nouvelle-Aquitaine, qui élabore actuellement une charte dédiée, l'objectif étant de la signer très prochainement. "Notre ligne est assez claire : nous sommes défavorables à l'implantation de panneaux solaires sur sols agricoles. Mais cette charte doit être partagée : nous sommes en train d'en discuter avec les acteurs concernés", explique Annabelle Gallitre, chargée de mission Energie-Bois-Forêt.

Parmi ces acteurs, la Région a elle-même lancé un appel à projets agri-solaire, en vigueur jusque fin décembre 2021. La collectivité voit en effet dans l'agrivoltaïsme le moyen de concilier deux objectifs : atteindre une capacité de production d'électricité photovoltaïque de 9 GW à horizon 2030 (versus 2,3 GW aujourd'hui) et réduire de moitié l'artificialisation de terres naturelles, agricoles et forestières artificialisées à cette même échéance, conformément au Sraddet. Les projets lauréats (qui devront respecter une puissance minimale de 100kWc) seront suivis sur une période de trois ans minimum, afin de "développer des références technico-économiques" et de "démontrer la faisabilité d'implantation" de ces systèmes.

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Commentaires 3
à écrit le 21/05/2021 à 23:41
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Comme on arrive à la fin des désherbants chimique, arrive le désherbage électrique, pas bien compliqué, une électrode touche l"herbe et envoie une volée d'électrons et la crame, garanti ça repousse plus! Si on fournit le courant gratuitemennt à la m...

à écrit le 21/05/2021 à 14:55
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L'avnatage au moins est que ce ne sont pas des terres sulfatées. Le principal problème pour un ami éleveur de veaux dont il m'a parlé le week-end dernier ce serait plutôt les fermes à méthane qui ont très rapidement dérivé de l'utilisation d'engrais ...

à écrit le 21/05/2021 à 13:38
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Si c'est pour utiliser des parcelles non exploitables pour l'agriculture, que ça n'impacte pas les riverains et que ce soit bien intégré à la nature sur des petites parcelles avec une alternance de panneau et de végétation, pourquoi pas. Mais des ...

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