En Gironde, on arrache des vignes et on pose des panneaux solaires

Dans le vignoble bordelais, des centaines d'exploitations exsangues font face à des choix cornéliens. Près de Sainte-Foy-la-Grande, les vignobles Impériale s'apprêtent à arracher onze hectares et à couvrir leur chais de panneaux solaires. Pour prendre ce virage, l'exploitation familiale a choisi un montage financier original porté par le Crédit agricole d'Aquitaine qui fait de ce nouveau métier d'énergéticien un axe de développement prioritaire.
La famille Impériale a décidé de couvrir ses chais de panneaux solaires.
La famille Impériale a décidé de couvrir ses chais de panneaux solaires. (Crédits : Agence APPA)

De 25 hectares de vignes et prés dans les années 1950, les vignobles Impériale déploient aujourd'hui 110 hectares de vignes, principalement de Merlot, et 35 de céréales après avoir aussi produits des pruneaux d'Agen pendant des années. Laurence et Nadège Impériale incarnent la troisième génération à la tête de cette exploitation viticole et agricole familiale située à Saint-Quentin-de-Caplong, à la jonction de la Gironde, du Lot-et-Garonne et de la Dordogne. Mais en ce début d'année, Laurence Impériale ne cache ni sa lassitude, ni son inquiétude. Après deux années particulièrement difficiles, elle décrit une exploitation « en perte de vitesse ».

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« Une année 2024 très compliquée »

Les sœurs Impériale vendent leur vin au négociant Les Grands Chais de France autour de 1.200 euros le tonneau. « Il nous suivent depuis dix ans et jouent encore le jeu aujourd'hui. Mais en 2022 on a perdu la moitié de la récolte à cause de la grêle puis les deux-tiers en 2023 avec le mildiou. D'un côté, on n'aurait probablement pas pu tout écouler auprès de notre négociant mais, d'un autre, cela nous ampute du volume indispensable pour assurer l'équilibre de nos coûts de productions », déplore la vigneronne. Si l'exploitation dégage d'ordinaire entre 600.000 et 800.000 euros de revenus, elle s'attend à « une année 2024 vraiment très compliquée avec un besoin évident de trésorerie ».

vigne impériale solaire

Derrière les vignes, les chais couverts de panneaux solaires. (crédits : Agence APPA)

Les deux viticultrices ont donc pris deux décisions difficiles ces derniers mois. La première c'est d'arracher, à contre cœur, une parcelle de 11 hectares plantée dans les années 1980, dans le cadre du plan d'arrachage, pour y replanter une culture céréalière et réduire les coûts d'exploitation. La deuxième c'est de diversifier les revenus de l'exploitation en optant pour l'installation d'une mini centrale solaire en toiture. Un opération montée avec le Crédit agricole d'Aquitaine qui leur a proposé un montage original. « Soit on porte le projet en propre ; soit on reste propriétaire des panneaux et le Crédit agricole les exploite ; soit le Crédit agricole est propriétaire de la centrale, il s'occupe de tout et nous verse un loyer ou une soulte en contrepartie », résume Laurence Impériale, également présidente de la caisse locale de la banque verte.

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470 panneaux solaires en toiture

C'est cette troisième option de tiers investissement qui a été choisie pour installer d'ici un an 470 panneaux photovoltaïques sur le toit du chai de vinification et des bureaux pour une puissance de de 209 kWc. Un investissement qui s'élève à 190.000 euros, hors de portée de l'exploitation viticole. « Tout le risque est porté par le Crédit agricole. Nous concluons un bail emphytéotique sur 30 ans avec un prix d'achat de l'électricité garanti pendant les 20 premières années. Il n'y a aucune charge administrative ni entretien technique pour l'agriculteur. Dans ces conditions, l'investissement est rentabilisé en une dizaine d'années », précise Antoine Malmezat, responsable production et développement des énergies au Crédit agricole d'Aquitaine. La banque développe en général des projets entre 100 et 500 kWc.

Mais la particularité de cette opération se trouve dans la décision de Laurence et Nadège Impériale de toucher cette somme dès la mise en service en une seule fois, en contrepartie d'une décote significative de 40 %. En fonction du prix de l'électricité, Vignobles Impériale touchera ainsi entre 100.000 et 130.000 euros à la signature contre de 170.000 à 223.000 euros en cas de versement de loyers annuels pendant 30 ans. « Nous avons 51 et 53 ans... On ne se projette pas dans ce métier trente ans de plus, il faut donc prendre l'argent tout de suite ! Cela nous permettra de passer la crise et de diversifier l'exploitation sans s'endetter ni détériorer nos fonds propres », observe Laurence Impériale, qui n'a pas hésité longtemps avant de se lancer. L'électricité produite sera revendue sur le réseau mais des dispositifs en autoconsommation sont aussi envisageables en fonction des surfaces disponibles et des besoins à mettre en face.

Que deviendra la centrale dans 30 ans ?

Dans ce cas de figure, la centrale solaire est la propriété du Crédit agricole pendant 30 ans. À l'issue de ce délai, trois cas de figures sont possibles : « soit on signe un nouveau bail d'exploitation ; soit la centrale qui aura été amortie et entretenue est donnée au viticulteur, qui en aura alors la propriété mais aussi la charge de gestion ; soit le viticulteur ou son successeur n'en veut plus et on démontera la centrale à nos frais », détaille Antoine Malmezat. « Le plus probable et souhaitable au regard des objectifs de production d'énergie renouvelable est évidemment l'une des deux premières options ! »

Cette opération est l'une des premières signées par le Crédit agricole d'Aquitaine en Gironde mais probablement pas la dernière à en croire Ludovic Charbonnier, le nouveau directeur de l'énergie et des transitions de la banque verte nommé fin 2022 : « Nous considérons qu'à partir du moment où un projet solaire est techniquement faisable, l'urgence climatique nous impose de trouver un moyen de le financer ! La viticulture s'est emparée du sujet plus tardivement que le reste de l'agriculture mais il y a aujourd'hui beaucoup de projets à l'étude. » 700 dossiers de couverture solaire sont dans les tuyaux de la banque dont 60 % d'exploitations agricoles et viticoles et 40 % de collectivités, entreprises et grandes surfaces. Pour une opération telle que celle de Vignobles Impériale, il faut compter environ deux ans entre les premières réflexions et la mise en service.

Mais la banque régionale avance aussi en mobilisant son fonds dédiés, CAAP Energies doté de 90 millions d'euros sur cinq ans. « En un an, nous avons déjà investi 17 millions d'euros en entrant par exemple au capital de la centre solaire de Saint-Magne, en Gironde, et des développeurs Technique Solaire et TSE », précise Ludovic Charbonnier.

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L'énergie, source de diversification

 Et pour Laurence Impériale, il est indispensable de prendre le train en marche : « La consommation de vin ne repartira pas à la hausse, c'est pour moi une certitude. L'énergie va donc devenir une vraie source de diversification pour nombre d'exploitations viticoles via le solaire en toiture. » En revanche, les installations agrivoltaïques, qui combinent production agricole et énergétique sur une même parcelle, restent encore très hypothétiques dans le vignoble. Si une expérimentation est menée par EDF Renouvelables et l'Institut supérieur de la vigne et du vin près de Bordeaux, les contraintes techniques apparaissent encore bloquantes.

C'est d'ailleurs davantage l'élevage, le maraîchage et l'arboriculture qui sont ciblés par les développeurs agrivoltaïques. Mais, là-aussi, le marché reste plus ou moins gelé dans l'attente de la publication du décret prévu par la loi d'accélération des énergies renouvelables. Initialement promis par le gouvernement pour septembre 2023, il n'est désormais pas attendu avant le printemps 2024.

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