« Notre devoir est de vous rassurer » : les candidats aux législatives face au patronat girondin

« Confiance, stabilité et lisibilité. » C'est l'attente exprimée par le patronat girondin face aux partis politiques. Au lendemain du premier tour des législatives, le Medef Gironde et d'autres organisations ont auditionné des candidats des trois blocs arrivés en tête des élections. Jimmy Bourlieux pour le Rassemblement national, Thomas Cazenave pour Ensemble et Stéphane Delpeyrat pour le Nouveau Front populaire sont venus, dans cet ordre, défendre les programmes. Et ont surtout tenté de séduire ce public de chefs d'entreprise.
Maxime Giraudeau
Le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave face au patronat girondin.
Le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave face au patronat girondin. (Crédits : Medef Gironde)

Les premiers rangs sont remplis. Sur les sièges, un patronat girondin - quasi exclusivement masculin - qui a préparé ses notes et s'est partagé l'ordre des questions. Dans le public, les oreilles attentives d'une petite centaine de personnes. Et pas mal d'impatience au vu du plateau proposé. Les figures du bâtiment, de l'industrie, de l'artisanat, du commerce et de la formation sont là. Avec des préoccupations communes où dominent simplification des normes et préservation des allègements fiscaux.

En un temps record, le Medef est parvenu à réunir trois candidats aux législatives et un représentant pour une audition des programmes économiques dans les murs de l'Inseec à Bordeaux ce lundi 1er juillet. Un grand oral à la sauce locale, une semaine après celui de l'instance nationale, où le milieu économique girondin montre ô combien il est préoccupé par la réindustrialisation, le logement, la simplification et des dossiers locaux comme le contournement routier de la métropole et le projet nucléaire du blayais. Une revue d'idées en grande partie lissée mais bienvenue dans une campagne à marche forcée où les trois candidats ont joué la carte de la modération pour séduire.

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« J'entends dire que le Nouveau Front populaire porte un grand programme de rupture. Je dirais plutôt que c'est un programme keynésien, comme ce que tente économiquement Joe Biden aux États-Unis. » Stéphane Delpeyrat, candidat suppléant PS de Marie Récalde, arrivée en tête sur la 6e circonscription de Gironde autour de Mérignac, est en opération séduction. Et apaisement. Comme son concurrent direct, arrivé en 3e position, Jimmy Bourlieux. « Dans votre position de chefs d'entreprise ce changement peut être source d'anxiété voire d'angoisse. Notre premier devoir est de vous rassurer, vous offrir une forme de stabilité politique », évoque le délégué départemental RN. À l'image d'un parti d'extrême droite qui s'accroche plus que jamais à son discours de normalisation.

De son côté, le macroniste Thomas Cazenave, en tête sur la 1ère circonscription, fustige la « dérive démagogique » de « deux extrêmes ». « Ces deux forces politiques, c'est la voix de l'affaiblissement collectif. Nous défendons partout dans cette campagne la voie des modérés », oppose le ministre des Comptes publics. Si la musique prend de moins en moins chez les électeurs, le patronat lui se montre attentif.

Nucléaire : un peu, beaucoup, carrément

A la base des activités économiques, l'énergie. Un sujet partagé par tous les secteurs, d'autant plus prégnant depuis 2022 et la crise énergétique qui a frappé la trésorerie des entreprises. Leur principale attente : maintenir des prix accessibles et lutter contre la variation des tarifs. Faut-il alors développer en masse les énergies renouvelables ou conserver un mix dominé par le nucléaire ? Les trois candidats se prononcent en soutien à l'atome.

« Le cœur du mix énergétique c'est le nucléaire et ça doit le rester », défend Jimmy Bourlieux pour le RN, taiseux sur l'éolien et le solaire que le parti veut pourtant débrancher. « Je pense qu'on a besoin d'une industrie nucléaire puissante. Opposer EnR et nucléaire c'est une erreur majeure », invoque Stéphane Delpeyrat, maire socialiste, questionné par un représentant de l'UIMM sur l'accueil des EPR 2 sur le site du blayais. Clin d'œil aux alliés écologistes du Nouveau Front populaire vent debout contre de nouveaux réacteurs en bord d'estuaire.

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Le projet est scruté de près par l'économie girondine, tant il serait pourvoyeur d'activité et d'emplois aussi bien pour la filière énergétique que pour l'industrie et le bâtiment. Le territoire s'est organisé pour se porter officieusement candidat à l'accueil des réacteurs de nouvelle génération, sur une circonscription où la députée RN sortante Edwige Diaz vient d'être élue au premier tour.

Une augmentation des salaires à tâtons

« On ne peut pas promettre du jour au lendemain un Smic à 1.600 euros ! On ne peut pas non plus promettre 280 milliards d'euros de dépenses tout en disant que ce sont quelques milliardaires qui vont payer ! ». Ainsi Thomas Cazenave, ministre des Compes publics, a-t-il balayé une des mesures phares du NFP. « La gauche vous dit : "ne vous inquiétez pas, l'État va compenser pour les entreprises". » Doux rires dans la salle. Quand le macroniste parle de baisse des impôts et de stabilité fiscale, le public acquiesce. En face, les deux camps adverses s'avancent prudemment sur la hausse des salaires.

« On ne peut pas augmenter d'un seul coup sinon le choc est trop grand, il faut le faire par étapes », tempère Stéphane Delpeyrat au sujet d'une politique axée sur la redistribution. Un Smic à 1.600 euros net serait néanmoins difficile à supporter pour beaucoup d'entreprises contraintes de licencier... quand la hausse de la consommation induite par la hausse du salaire minimum pourrait créer presque autant d'emplois selon l'OFCE. Côté RN, pour rassurer les dirigeants, on encourage une hausse de 10 % du salaire minimum, appliquée sur la base du volontariat mais exonérée de cotisations patronales.

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Quelle charge fiscale pour les entreprises ?

A gauche, le retour d'un impôt sur la fortune est proposé dans un calcul qui intègre la patrimoine immobilier professionnel. Ce qui ne manque pas d'inquiéter les hauts revenus. « Pourquoi, à votre sens, surtaxer les chefs d'entreprise est une solution viable ? », demande Mathias Saura, président du Medef Gironde, au candidat du NPF. « On a eu, depuis une vingtaine d'années une explosion des très très grandes fortunes. Il faut taxer les revenus de ce patrimoine car on a aujourd'hui un taux d'imposition assez faible sur ces catégories », répond-il, tout en rassurant que « l'outil de production sera protégé » et non-intégré au calcul. Une évidence pour la salle où l'on hausse les épaules. « Là où on tape, c'est sur les très très hauts revenus », martèle Stéphane Delpeyrat, comme pour amadouer encore. Pas dit que ses alliés du NFP en fassent autant.

Plus qu'à des propositions, Thomas Cazenave s'est surtout attaché à des attaques sur les programmes adverses et la défense d'un bilan. « L'économie et les entreprises de notre pays ont pu compter sur une majorité qui les a toujours soutenues. Nous avons tenu bon en baissant l'impôt sur les sociétés », rappelle-t-il. Avec, tout de même, un engagement nouveau : la simplification administrative pour faciliter la vie des entreprises, alors qu'un projet de loi sur le sujet était en préparation.

Le RN lui, s'il arrive au pouvoir, veut lancer des états généraux sur la question pour « classer les normes actuelles en trois catégories : celles qui sont vertueuses, celles qu'il faut modifier et celles qui sont néfastes pour l'activité de nos entreprises », défend Jimmy Bourlieux. Une remise en question qui s'accompagnerait d'une baisse sur les impôts de production, d'une suppression de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises en 2027 et d'un moratoire sur le Zéro artificialisation nette. « Nous vous proposons une alternance responsable et raisonnable », illustre le délégué départemental RN, muselant le discours ordinairement souverainiste du parti qui veut des mesures de rétorsion sur la concurrence internationale. De quoi inquiéter le négoce bordelais qui entretient des liens historiques - et passablement difficiles - avec l'Asie ou les États-Unis.

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Des consensus et peu d'écologie

Les trois représentants se sont rejoints sur plusieurs sujets, traduisant bien l'ambiance consensuelle de la rencontre et le jeu de séduction qui s'organise. Les auditionnés s'accordent sur la relance de l'industrie, du logement et le chantier du grand contournement routier de Bordeaux. Avec peu de place accordée aux réflexions sur l'écologie. « Comment allez-vous financer la décarbonation ? », demande un chef d'entreprise à Jimmy Bourlieux. Silence et rires dans l'assemblée. En trois phrases, le délégué girondin du RN opère un revirement : « Bien sûr que je suis écolo. Mais l'écologie ne doit pas nuire à l'économie. Je dirais même que l'économie doit être prioritaire. »

La réindustrialisation va, pour tous, de pair avec la transition écologique. Mais à gauche et au centre, lorsqu'on la convoque, c'est pour évoquer l'amélioration de la productivité et de la compétitivité françaises. « Ruiner la France, c'est l'avoir désindustrialisée », accuse Stéphane Delpeyrat, qui qualifie l'industrie de « bon élève de la transition énergétique ». Seul point de discorde franc avec le patronat pour la gauche et l'extrême droite, l'abrogation de la réforme des retraites et l'avancement de l'âge légal de départ. Une des seules mesures impopulaires pour le patronat mais assumée par les partis. Au-delà de ce point de friction, le Medef se refuse à utiliser le qualificatif d'extrêmes. « On s'en remettra aux résultats et on discutera avec tout le monde déjà comme on le fait aujourd'hui », se contente Mathias Saura, dans un climat pourtant incertain.

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Maxime Giraudeau

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Commentaire 1
à écrit le 03/07/2024 à 8:17
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Ça mange pas de pain ! LOL ! ^^

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