Le solaire européen peut-il se sevrer de sa dépendance chinoise ?

Impossible de faire l'impasse sur la dimension géopolitique du marché du photovoltaïque ! Les tensions internationales de ces derniers mois et années renforcent la nécessité de construire une souveraineté européenne des panneaux solaires. Pour diminuer la forte dépendance à l'égard de la Chine, la réindustrialisation de l'Europe et notamment de la France commence à se construire. Retour sur les échanges de la première table ronde du Bordeaux Solar Summit organisé par La Tribune ce mardi 25 juin.
De gauche à droite : Pierre Cheminade (La Tribune), Andreas Rüdinger (Iddri), Pierre-Emmanuel Martin (Carbon), Carole Descroix (Terapolis) et Anaïs Gouabault (Soren), mardi 25 juin à Bordeaux.
De gauche à droite : Pierre Cheminade (La Tribune), Andreas Rüdinger (Iddri), Pierre-Emmanuel Martin (Carbon), Carole Descroix (Terapolis) et Anaïs Gouabault (Soren), mardi 25 juin à Bordeaux. (Crédits : Quentin Salinier)

Alors que plus de 95 % des panneaux photovoltaïques installés en France et en Europe sont actuellement produits en Chine, l'Union européenne s'est fixée pour objectif d'en fabriquer 40 % sur son territoire à l'horizon 2030, dans le cadre du Net zero industry Act. Une ambition qui passe par le déploiement de gigafactories afin de tenir un rythme de déploiement annuel de 50 à 60 gigawatts (GW).

« La domination de la Chine sur ce marché a commencé dans la décennie 2010, à travers des investissements massifs. Dans les articles de l'époque, on parlait de gigafactories avec un output annuel de 1,5 GW, record mondial. Le fabricant chinois Jinko Solar annonce aujourd'hui une gigafactory de 56 GW d'output annuel... On a changé d'échelle ! », rappelle Andreas Rüdinger, coordinateur transition énergétique France à l'IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales).

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Une pression à la baisse sur les prix

Autre évolution pointée par le chercheur : la Chine est aussi devenue le premier pays installateur, avec 216 GW de panneaux déployés en 2023, contre 88 GW l'année précédente et 3,5 GW en France en 2023. « Derrière, ils ont créé encore plus de surcapacité à l'export. On se retrouve donc aujourd'hui avec un marché mondial saturé avec beaucoup de producteurs, des stocks pleins en Europe, une pression à la baisse sur les prix », poursuit-il.

Ces douze derniers mois, le prix des modules sur les marchés de gros en Europe a encore baissé de moitié, ce qui rend la tâche des producteurs européens existants ou à venir compliquée. Pierre-Emmanuel Martin, président de la société Carbon, qui entend produire d'ici 2025-2027 des cellules et modules photovoltaïques made in France, a cependant la conviction qu'il y a encore une place pour des fabricants européens et particulièrement français.

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« Le coût du transport, qui continue de flamber, représente aujourd'hui la moitié du coût d'un panneau, ce qui enlève tout sens économique aux produits chinois », veut-il croire. Alors que Carole Descroix, PDG et fondatrice de l'acteur bordelais intervenant dans la gestion de projet d'énergies renouvelables Terapolis nuance également : « Le coût du panneau solaire représente 20 % du coût d'une centrale. Les 80 % restants sont liés à d'autres coûts ».

Pierre-Emmanuel Martin envisage un autre atout à la fabrication européenne. « En Europe, et en France en particulier, on a le quartz. Et on dispose des principales usines (quatre en France) qui transforment ce quartz en silicium de grade métallurgique. Ce silicium métallurgique part ensuite pour un raffinage. Or 20% de ce qui est raffiné dans le monde pour le solaire photovoltaïque est fait en Allemagne par l'usine Wacker, qui vend tout aux Chinois. L'Europe dispose donc d'une partie de la chaîne de valeur, qui n'est pas la plus importante, mais qu'on maîtrise », argumente-t-il. Pour le chef d'entreprise, ce silicium de très bonne qualité a aussi pour vertu d'être traçable, alors que d'ici 2027 l'Union européenne va rendre obligatoire des normes en la matière.

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Payer plus cher pour des produits européens

Les 5 GW que Carbon prévoit dans son usine de Fos-sur-Mer pèsent cependant peu au regard des 56 GW avancés par le Chinois Jinko. Mais Pierre-Emmanuel Martin pointe aussi le gigantisme de ces installations chinoises qui, d'ailleurs, ne tournent plus à plein : « 56 GW c'est un site de 20.000 ouvriers ! C'est assez compliqué à envisager en France. Notre dimensionnement à 5GW permet d'optimiser les économies d'échelle. »

De son côté, la société Terapolis créée en 2022 a mis en place des contrats cadres à l'échelle de l'Europe. « Il faut pouvoir passer des contrats avec des hauts niveaux de puissance et de production. La filière européenne doit donc se démultiplier », préconise Carole Descroix. La dirigeante croit d'ailleurs aux gigafactorys européennes. « Nous sommes évidemment attentifs au prix, même si nous sommes prêts à payer plus cher pour des produits européens, de l'ordre de 15-20 %. Et nous sommes également sensibles à la sécurité de l'approvisionnement. Le fait d'avoir des lignes de production proches de chez nous est assez fondamental. Le pan responsabilité sociétale et environnementale est aussi un des points forts sur lesquels nous travaillons », indique-t-elle, appelant cependant à être vigilant sur les surcoûts induits par la fabrication locale. « Ne tardez pas trop pour prendre vos commandes de panneaux solaires chez Carbon ! », répond Pierre-Emmanuel Martin.

Un panneau se valorise à 94 %

En bout de chaîne, l'éco-organisme Soren intervient dans le financement de la collecte, le traitement des panneaux photovoltaïques usagés en France et leur rémploi. « Un panneau se valorise à plus de 94 %, avec 80 % des matières qui se recyclent. En s'appuyant sur des technologies de traitement à haute valeur ajoutée, notre vision est de pouvoir récupérer les matières de ces panneaux dans leur forme la plus pure. C'est la condition sine qua non pour que, dans le futur, ces matières recyclées puissent être utilsées par des fabricants en France », explique Anaïs Gouabault, responsable opérations et technique chez Soren.

Depuis 2015, ce sont 27.000 tonnes qui ont été ainsi collectées, dont 5.200 tonnes rien que l'année dernière. « L'idée est de structurer le plus tôt possible la filière pour être en capacité de suivre les volumes grandissants de panneaux qui vont être recyclés. Il s'agit d'être pionniers en la matière en France en ayant des technologies de recyclage qui permettent à la fois de prendre du volume et de partir sur de la haute valeur ajoutée », détaille-t-elle.

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Enfin, Andreas Rüdinger pointe aussi la nécessité d'une réflexion sur la transition énergétique qui ne prenne pas seulement en considération le solaire. « Dans la période d'austérité budgétaire actuelle, l'argent mis aujourd'hui sur le photovoltaïque est peut-être aussi de l'argent qu'on ne mettra pas sur d'autres filières. Notamment sur l'industrie éolienne, qui était un des fleurons européens. Comme avec le photovoltaïque dans les années 2000, l'Europe est en train de se faire menacer de perdre la course dans ce domaine », met-il en garde

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Commentaires 4
à écrit le 27/06/2024 à 8:57
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Si la Chine un jour fabrique des panneaux solaires ultras résistants dans le temps, performants et résilients nous serions complètement idiots de gaspiller des milliards d'argents publics dans des réseaux d'incompétents notoires au lieu de leur achet...

le 27/06/2024 à 22:45
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@ dossier 51 - ex citoyen blasé : Ah bon et indépendance souveraineté stratégique vous en faites quoi ..? on serait bien idiot de se lier mains et poings liés et être soumis à un chantage par un régime qui veut nous abattre économiquement et poli...

le 27/06/2024 à 22:45
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@ dossier 51 - ex citoyen blasé : Ah bon et indépendance souveraineté stratégique vous en faites quoi ..? on serait bien idiot de se lier mains et poings liés et être soumis à un chantage par un régime qui veut nous abattre économiquement et poli...

le 29/06/2024 à 8:49
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"@ dossier 51 - ex citoyen blasé" Non mais c'est quoi cette réponse !? LOL ! ^^

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