Dans le vignoble bordelais, un plan d'arrachage à 67 millions d'euros et des questions

Entre l'Etat, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) et la Région Nouvelle-Aquitaine, une enveloppe globale de 67 millions d'euros a été mise sur la table ce mercredi 2 février au Salon international de l'agriculture. Objectif : proposer une première porte de sortie aux viticulteurs bordelais en difficulté qui veulent arracher leurs vignes. Mais cette appréciable ligne de financement ne suffira pas à régler toute la question de l'arrachage définitif de milliers d'hectares de vigne. Et le dispositif qui doit porter ces aides financières est encore loin d'être bouclé.
Manifestation des viticulteurs à Bordeaux le 6 décembre dernier.
Manifestation des viticulteurs à Bordeaux le 6 décembre dernier. (Crédits : Agence APPA)

La dernière édition du Salon international de l'agriculture, à Paris, pourrait marquer un virage très attendu dans le vignoble bordelais après l'annonce par le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, d'un premier plan de financement de 57 millions d'euros, pour l'arrachage de 9.500 hectares à raison de 6.000 euros de prime à l'hectare. Une première épreuve, très attendue par les nombreux professionnels girondins en difficulté, mais dont les modalités d'application restent à établir. Comme annoncé début février, Marc Fesneau a également confirmé la mise en place d'une ligne de financement de 160 millions d'euros sur deux ans destinée à financer des opérations de distillation, cette fois-ci dans l'ensemble des vignobles français.

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« En principe, à Bordeaux, il devrait y avoir deux grandes catégories de vignes. Avec tout d'abord les parcelles qui vont être arrachées pour renaturation pendant vingt ans. En clair, et pendant toute cette période, les parcelles arrachées ne pourront plus être exploitées. Cela devrait concerner 6.400 hectares et plus de 300 viticulteurs », explique un très bon connaisseur du dossier, qui ne veut toutefois pas s'avancer à ce stade sur le montant financier en jeu pour cette première catégorie.

Dans la seconde catégorie se retrouvent les viticulteurs qui veulent continuer à exploiter, tout en sollicitant un arrachage définitif de seulement une partie de leurs vignes pour réorienter partiellement leur activité.

Le CIVB votera l'apport de 19 millions d'euros en avril

Du point de vue financier, ces deux types de catégories devraient bénéficier de primes d'un montant de 6.000 euros à l'hectare. Sachant que l'Etat s'est engagé à fournir le plus gros du financement des 57 millions d'euros, soit un apport de l'ordre de 30 millions d'euros, qui sera ensuite complété par une nouvelle ligne de huit millions d'euros. Montage confirmé par la direction du CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux), présidé par le négociant Allan Sichel, qui s'engage de son côté à abonder ce financement à hauteur de 19 millions d'euros.

« Sur le principe il n'y a pas de problème mais le déblocage de cette aide devra être voté par l'interprofession lors de l'assemblée générale du mois d'avril », précise-t-on au CIVB, où l'on souligne que « la capacité de l'interprofession à intervenir a été déterminante dans les discussions avec l'Etat ».

Le CIVB explique aussi qu'il travaille sur ce dossier avec le Département de la Gironde, dont Jean-Luc Gleyse est le président, pour le mettre également à contribution.

La Région va d'abord débloquer 10 millions d'euros

Cette première annonce de financement par Marc Fesneau a été faite depuis le stand de la Région Nouvelle-Aquitaine au Salon international de l'Agriculture, entouré d'Alain Rousset, président de la Région, Jean-Louis Dubourg, président de la Chambre d'agriculture de la Gironde, Bernard Farges, vice-président du CIVB, Allan Sichel et Stéphane Héraud, président de l'Association générale pour la viticulture (AGPV) et ex-président de la cave coopérative girondine de Tuttiac.

Alain Rousset a profité de la venue de tous ces représentants du monde agricole et viticole sur le stand régional pour annoncer le déblocage de 10 millions d'euros, sur plusieurs années, dans un cadre budgétaire purement régional pour commencer, avant que l'Union européenne ne vienne « massifier » dans un second temps cette intervention par le biais du Feader (Fonds européen agricole pour le développement rural) localement géré par la Région. Le CIVB observe que les détails de la mise en œuvre de ces dispositifs seront précisés dans les prochaines semaines. Avec semble-t-il de bonnes raisons puisque le montage de ce dossier socialement et politiquement explosif met les nerfs des spécialistes de l'ingénierie en finances publiques à rude épreuve.

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Un montage financier plus complexe qu'il n'y paraît

« Oui, nous pouvons confirmer le montant de 57 millions d'euros mais, je le répète, c'est un potentiel dont Bordeaux fait la demande depuis des mois ! Les modalités de ce plan vont être délicates à mettre en place car il n'y a plus de primes à l'arrachage définitif, ça n'existe plus ! Donc il faut trouver un biais pour débloquer des lignes de financement, ce qui nous mène à l'arrachage définitif pour raisons sanitaires -ce qui se justifie en cas d'abandon des vignes- et pour renaturation. C'est complexe à mettre en place, croyez-moi », insiste ainsi cette source qui préfère rester anonyme.

Sur le terrain, la crise viticole a provoqué le 6 décembre dernier une forte mobilisation des viticulteurs girondins, en particulier dans l'Entre-Deux-Mers, à l'initiative du collectif Viti33 mené par le viticulteur et maire de Le Pian-sur-Garonne (Sud Gironde), Didier Cousiney. Plus le temps passe et plus la situation des viticulteurs en difficulté se dégrade. Une situation sur laquelle les membres du collectif sont revenus pour faire savoir leur détermination à durcir le mouvement, lors d'une réunion organisée ce mardi 28 février.

Le leader de Viti33 ne rejette pas l'annonce du ministre

Contacté par La Tribune à l'annonce de ce premier plan de financement, le leader de Viti33 se montre attentif.

« Nous avons eu des informations parfois divergentes, donc il va falloir attendre encore. Mais toutes les nouvelles dans ce dossier sont bonnes à prendre, même si les propositions dont nous avons entendu parler ne correspondent pas à ce que nous demandons. Ces annonces d'arrachage n'arrivent pas à 10.000 hectares, alors que nous avons demandé un minimum de 15.000 hectares. Comment tout cela va s'articuler avec la situation des viticulteurs en difficulté, nous n'en savons rien. Bon, disons qu'on aura déjà obtenu quelque chose même si c'est très loin de nos attentes. Nous continuons à demander l'arrachage de 15.000 voire de 30.000 hectares primés à 10.000 euros l'hectare... vous voyez l'écart », analyse Didier Cousiney.

Un écart financier en l'occurrence de un à deux. Cette première annonce ne fera donc sans doute pas le printemps des vignerons qui jouent leur survie, mais elle ressemble à un début d'ouverture dans un dossier qui semblait jusqu'ici sans issue.

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Arracher 30.000 voire 40.000 hectares

Porte-parole de la Confédération paysanne et viticulteur en Pomerol, Dominique Techer n'a pas de problème économique avec son exploitation. Mais il s'est toujours montré intraitable avec la politique menée par l'establishment viticole bordelais, qu'il accuse d'avoir attendu le dernier moment pour prendre conscience de la situation catastrophique du vignoble.

« Cette annonce n'est à aucun point de vue à la hauteur de la situation. Parce qu'elle fait l'impasse sur l'excès de production. On peut parler de 30.000 et même de 40.000 hectares en trop ! Chaque fois qu'un baby boomer meurt, ce sont des dizaines de cubis et de caisses de vin qui disparaissent. C'est pour ça que la déconsommation de vin va continuer ! À la Confédération paysanne, nous appelons de nos vœux la mise en place d'un plan départemental de restructuration des vignes, ne serait-ce que parce que tout le monde s'interroge sur la diversification.

La population des viticulteurs est vieillissante et les gens n'ont plus envie de continuer dans les conditions aussi dures qu'aujourd'hui. Nous demandons la création d'un établissement public foncier départemental pour faire un mini remembrement. Parce que là, les exploitations viticoles girondines c'est des confettis, ce qui crée des situations inextricables », prévient Dominique Techer.

Aussi insuffisante soit-elle, cette première annonce gouvernementale devrait néanmoins commencer à faire baisser la pression dans les chais du vignoble bordelais au moins pendant les prochaines semaines.

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