Crise viticole : plus de 70 % des vignerons bordelais en difficulté veulent poursuivre

Le recensement des viticulteurs en difficulté effectué par la Chambre d'agriculture de la Gironde à la demande la préfecture confirme l'importance de la crise. Si les primes à l'arrachage définitif de la vigne semblent désormais indispensables, il faudra aussi trouver des pistes sérieuses pour permettre le changement d'activité de nombreuses vignes comme de nombreux vignerons le demandent.
Manifestation des viticulteurs accompagnés de nombreux élus à Bordeaux le 6 décembre 2022.
Manifestation des viticulteurs accompagnés de nombreux élus à Bordeaux le 6 décembre 2022. (Crédits : Agence Appa)

Mise sur pied par la précédente préfète de la Gironde, Fabienne Buccio, après la manifestation des viticulteurs du 6 décembre dernier, la cellule de crise préfectorale dédiée aux problèmes viticoles en Gironde est bien lancée. Sa deuxième réunion a été organisée par le nouveau préfet de Gironde et de Nouvelle-Aquitaine, Étienne Guyot, le 9 février, en présence notamment de la Chambre régionale d'agriculture, des organisations syndicales et des représentants de la filière, du CIVB (Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux) à la Fédération des vignerons indépendants en passant par le Collectif Viti33, à l'origine de la manifestation, mais aussi de représentants de la Région et du Département.

« Je salue la mobilisation constructive de tous. Nous devons veiller à la prise en compte de l'ensemble des situations individuelles concernées et à la mise en œuvre simple et rapide des mesures. Je remercie l'ensemble des acteurs pour leur implication. Je réunirai à nouveau cette cellule de crise après que les précisions seront données par le ministre », a déclaré en substance le préfet Guyot à l'issue de cette seconde réunion de la cellule de crise.

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Ils sont nombreux à vouloir poursuivre

À partir de la demande initiale formulée par Fabienne Buccio, la Chambre d'agriculture de la Gironde a démarré un recensement des exploitations viticoles en difficulté, dont elle a présenté le résultat le 9 février. Ce recensement identifie 1.372 exploitants viticoles qui se sont déclarés en difficulté. Ils représentent un tiers des 3.880 exploitations dont le revenu principal est issu de la viticulture et 35.000 hectares de vignes, sur un total d'un peu plus de 100.000 hectares pour le vignoble bordelais. La répartition des exploitations en difficultés montre une forte concentration de ces dernières dans l'Entre-Deux-Mers, entre Dordogne et Garonne, et plus particulièrement dans la partie sud-est du département. Territoire départemental dont était issue la plupart des viticulteurs qui ont manifesté en décembre à Bordeaux. Le portrait-robot du vigneron en difficulté est celui d'un professionnel âgé de 51 ans, à la tête d'une exploitation viticole de 26 hectares.

La surprise vient sans doute du fait que plus de 900 viticulteurs, représentant 70,3 % de cet ensemble de 1.372 exploitations en difficulté, veulent poursuivre leur activité agricole et/ou viticole. Selon ce recensement, près de 300 de ces viticulteurs en difficulté envisagent de se diversifier vers d'autres productions, sans pour autant évoquer de choix statistiquement significatifs. Le recensement prend toutefois la peine d'en donner un échantillonnage, avec les productions arboricoles (oliviers, noisetiers...), de céréales, l'élevage, voire le maraichage ou la culture du chanvre. Tandis qu'ils sont 23 % de viticulteurs à vouloir arrêter leur activité. Ils sont âgés en moyenne de 60 ans et n'ont pas trouvé de repreneur pour leur exploitation. Dans 66 % des cas ils souhaitent prendre leur retraite mais 34 % envisagent tout de même de poursuivre une activité hors agriculture.

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Des procédures juridiques suivies de près

Point important à souligner : 5 % de ces viticulteurs qui veulent arrêter sont engagés dans un règlement amiable, un mandat ad-hoc ou bien une procédure collective au tribunal judiciaire, du type redressement... Ces exploitations représentent 6.400 hectares de vigne, pour une surface moyenne de 19 hectares.

« Nous avons justement eu une petite réunion de travail ce mardi 21 février avec des représentants de la MSA pour nous pencher sur le cas des vignerons impliqués dans une procédure », évoque Philippe Abadie, directeur du pôle entreprises de la Chambre d'agriculture de la Gironde.

Comme la plupart des observateurs du vignoble, ce dernier estime qu'un tournant historique a été pris.

« Une partie des viticulteurs a exprimé le souhait de diversifier son activité. Sachez qu'auparavant seuls les vignerons qui n'avaient pas de succession exprimaient ce souhait... Ils vendaient ou mettaient en fermage. Mais vu l'intensité de la crise qui frappe aujourd'hui le vignoble, il n'y a plus personne pour reprendre », calcule Philippe Abadie.

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Une crise viticole jamais vue en Gironde

Ce malaise profond, qui voit les vignerons travaillant en fermage abandonner faute de pouvoir gagner de l'argent, ne date pas d'hier. Et pour la plus grande partie de sa production en volume, le vignoble bordelais est pris dans un mécanisme baissier qui ressemble à une vis sans fin.

« Ce n'est pas la première fois que les ventes baissent. Mais là c'est différent. Il y a vraiment une très forte contraction et qui dure depuis 2018. Depuis cette date, les ventes ne dépassent plus la barre des 4 millions d'hectos et descendent parfois au-dessous comme l'an dernier, où elles ont dégringolé jusqu'à 3,8 millions d'hectos...Ce qui est un vrai record, du jamais vu ! Si ce chiffre a déjà été atteint par le passé, plus personne ne s'en souvient », souligne Philippe Abadie.

Symbole frappant de ce malaise : alors que les récoltes n'ont pas cessé de diminuer en volume, les cuves des exploitants continuent à rester pleines de vin, les domaines croulent sous les stocks...

La baisse s'accélère et des mesures correctives sont attendues

Et la tendance n'est pas en train de se retourner dans le bon sens. Comme le souligne Philippe Abadie les ventes en vrac, dont la référence est le tonneau de 900 litres, se concluent entre le mois de décembre de l'année précédente et celui de mars de l'année courante.

« Les contrats de vente se négocient pendant cette période. Il faut savoir que les négociants achètent les deux tiers des vins en vrac. Les volumes qui ne se sont pas signés au cours de cette période ne se rattrapent jamais. Sauf accident, comme après le Covid, où cette règle a été bousculée. Eh bien en décembre 2022 ces ventes étaient en baisse de 20 % par rapport à celles de décembre 2021. Et si l'on prend les sorties de chais, terme qui englobe la totalité des ventes (vrac, bouteilles) elles étaient en recul de 11 % entre août et décembre 2022 : période où il y a le plus de ventes », déroule Philippe Abadie.

La fermeture du marché chinois a pesé lourd dans cette intensification historique de la crise, marquée par une chute toujours plus marquée de la consommation de vin en France. Si elle n'est pas facile à mettre en place, la demande faite par les vignerons en difficulté d'arracher de la vigne moyennant une prime à l'hectare semble faire son chemin. Pour l'instant, le gouvernement s'est contenté d'annoncer le 6 février dernier une campagne de distillation, dotée de 160 millions d'euros, pour soutenir les viticulteurs confrontés à une crise de surproduction tout en ouvrant la porte à un arrachage ciblé.

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