Nouveaux matériaux : les startups face à l'équation du rapport qualité-prix

Plus durable, recyclable ou biosourcé. La qualité a un coût. Et les nouveaux matériaux développés par Quiet, Armen et Arrosia n'y échappent pas. Ces trois startups de Nouvelle-Aquitaine mettent en avant des arguments solides pour convaincre les acheteurs de prendre en compte le prix mais aussi les impacts extra-financiers.
Les bateaux made in France d'Armen Initiative sont recyclables grâce à leur coque en polyéthylène haute densité.
Les bateaux made in France d'Armen Initiative sont recyclables grâce à leur coque en polyéthylène haute densité. (Crédits : Sacha Gaudin / LT)

« Le prix, on ne s'en cache pas. Ça apporte une innovation ! », assume Sophie Moritel, fondatrice de Quiet. Cette startup a créé une vaisselle silencieuse en verre trempé et élastomère pour améliorer le confort du personnel de travail en restauration collective (cantines, entreprises, établissements de santé...). Six euros pièce pour une assiette Quiet contre de 1,3 à 3,60 euros pour des modèles classiques.

Pourtant la jeune entreprise basée à Talence (Gironde) est victime de son succès. Fraîchement rentrée du CES de Las Vegas, elle a décidé d'interrompre ses ventes jusqu'au dernier trimestre 2024 et proposer des forfaits d'expérimentation. Le but est de perfectionner les produits et d'augmenter les outils de production pour passer de 10.000 euros de chiffre d'affaires en trois mois d'activité à plusieurs centaines de milliers d'euros en 2025. Si toutes les jeunes pousses qui développent des nouveaux matériaux n'ont pas cette problématique, les enjeux sont assez similaires.

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Des matériaux plus vertueux

Pour justifier un prix trois à six fois plus cher, Sophie Moritel mise sur la résistance de ses assiettes. L'élastomère a des propriétés antidérapantes sur un plateau et recouvre entièrement le dessous de l'assiette. Quiet peut ainsi se vanter d'avoir servi 4.800 repas sans avoir une seule assiette cassée alors qu'en restauration collective, le taux de casse est habituellement de 20 % par an. Et quand bien même une assiette Quiet serait cassée, les morceaux de verre trempé restent collés à l'élastomère et elle peut être ramassée en un seul mouvement. Dans l'attente d'une confirmation des laboratoires pour pouvoir recycler ses matériaux, Quiet collecte déjà sa vaisselle cassée « dans le but de lui donner une seconde vie », souligne la fondatrice.

Autant de qualités qui parlent à Théo Moussion, fondateur d'Armen Initiative. Il propose des bateaux made in France et 100 % recyclables grâce à une coque en polyéthylène haute densité (PEHD). Ce matériau est généralement utilisé pour faire des cuves de stockage et des bouchons de bouteille plastique. « Ce sont ses propriétés mécaniques qui nous intéressent », indique le fondateur. Les embarcations d'Armen sont 5 à 10 % plus chères que des bateaux classiques composés d'aluminium. Mais le PEHD promet d'allier durabilité - avec une durée de vie de plus de 50 ans - et réduction des coûts d'entretien, comme le propose aussi Neo Sailing Technologies avec ses monocoques fabriqués à la pointe du Médoc. La coque ne nécessite pas d'antifouling (peinture pour préserver la coque de prolifération des organismes aquatiques). La partie intérieure de l'embarcation est quant à elle, composée à 100 % de PEHD recyclé par la société Le Pavé. En fin de vie, le bateau pourra donc être broyé et directement transformé.

Valoriser l'impact extra-financier

Et pour convaincre leurs clients, Quiet et Armen mettent leurs matériaux innovants au service de problématiques bien identifiées. Au-delà des propriétés mécaniques du PEHD et de l'élastomère, ces deux startups sont parties d'un constat touchant chacun leur profession. D'après Théo Moussion, passionné de nautisme, « le recyclage des bateaux est un énorme problème ». Selon les Douanes, entre 40.000 et 200.000 bateaux seraient à l'abandon en France dans les ports, sur les plans d'eau ou chez des particuliers. Pourtant 12.570 nouvelles immatriculations ont été recensées en 2023. Armen veut changer les choses à petite échelle et ambitionne la vente d'une dizaine de bateaux recyclables en 2024 pour atteindre un chiffre d'affaires de plus de 500.000 euros. L'entreprise accompagnée par Bordeaux Technoports répond aux usages de la plaisance et à la réglementation professionnelle.

Forts de leurs 40 ans d'expériences cumulés en restauration collective, Sophie Moritel et ses deux associés cherchent aussi à résoudre une problématique liée à leur métier. La mission de la startup talençaise est de créer de meilleures conditions de travail en plonge. En effet, le ministère du Travail indique qu'une exposition à niveau sonore de 80 décibels est « préoccupante ». Or le bruit ambiant en plonge est estimé à plus de 80 décibels selon l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Tout en sachant que la surdité est la troisième maladie professionnelle derrière l'amiante et les troubles musculo-squelettiques. La vaisselle Quiet diminue de 85 % le bruit d'entrechoquement des assiettes en plonge et baisse ainsi de 35% le volume sonore global dans les réfectoires.

Relancer une filière locale

De son côté, l'entreprise Arrosia s'est donnée comme ambition de relancer la filière du gemmage, le nom donné à la récolte de résine de pin. « Je voulais travailler avec une matière première naturelle qui n'avait encore jamais été explorée dans le champ du design et qui avait marqué l'identité culturelle d'un territoire », explique la fondatrice Camille Suarez. La startup est spécialisée dans la récolte de la résine de pin et s'approvisionne uniquement dans la forêt des Landes de Gascogne. Non respectueux de l'environnement, le gemmage avait cessé en France dans les années 60. Cependant depuis les années 2010, Biogemm, aujourd'hui actionnaire d'Arrosia, a développé des méthodes d'extraction respectueuses du vivant, « l'équivalent d'une prise de sang pour les humains », nous dit Camille Suarez.

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L'objectif est de fabriquer des objets design pour les secteurs de l'ameublement et de la décoration (podiums, tabourets, accessoires de bureaux...). Arrosia est active sur le secteur du BtoB avec des prestations sur mesure pour des architectes, des services de création. Une gamme BtoC a vu le jour à la fin du mois de janvier avec la création d'une boutique associée, Jemà, dans laquelle sont disponibles des vases ou encore des appliques murales. Des produits vendus respectivement 54 et 295 euros. Camille Suarez vante un procédé unique au monde : « Le fait de transformer de la résine brute en matériaux, c'est notre innovation, notre « secret sauce » ! Je serai une dirigeante comblée lorsque j'aurai réussi à relancer une filière ancestrale. Je ne suis pas à la quête du chiffre à plusieurs zéros ! » indique-t-elle

Longtemps confrontée aux réticences des industriels vis-à-vis de ce matériau innovant, l'entreprise basée à Anglet dans le Pays basque a décidé de se transformer en manufacture et ne dépend d'aucun sous-traitant. « Les industriels cherchent l'équivalent du plastique au niveau des propriétés et du prix. Je trouve que c'est dommage, chaque matériau a sa singularité. J'ai envie de défendre toutes les personnes qui proposent des matériaux nouveaux », avance Camille Suarez pour qui la démocratisation des nouveaux matériaux passera par un changement des mentalités... et des critères d'achats.

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