Encore un projet de surf park qui fait des vagues en Gironde

DÉCRYPTAGE. Le projet de surf park à Canéjan, en Gironde, est désormais suspendu à la décision du tribunal administratif de Bordeaux après un recours en annulation de son permis de construire. Les porteurs privés de cette nouvelle piscine à vagues défendent un équipement sportif tandis que les opposants dénoncent une infrastructure non essentielle, nuisible pour l’environnement et pesant sur les ressources en eau. Le tout à 50 kilomètres des plages de l'Atlantique.
Esquisse du projet de Surf Park de Canéjan, au sud de Bordeaux.
Esquisse du projet de Surf Park de Canéjan, au sud de Bordeaux. (Crédits : Surf Park de Canéjan)

Alors que huit projets de surf Park ont déjà été portés sans jamais se concrétiser en France, le chantier de celui de Canéjan, au sud de Bordeaux, n'échappe pas à une levée de boucliers. La Sepanso Gironde et Surfrider Foundation, soutenues par un collectif local porté par Canéjan en Transition, ont attaqué en juillet devant le Tribunal administratif le permis de construire délivré en février 2023 par la mairie de Canéjan à la SCI Paola représentée par le promoteur immobilier Philippe Algayon. Dans ce dossier, deux visions du surf et de l'environnement s'affrontent. Au point d'être irréconciliables ?

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Le projet : deux bassins et des activités annexes

Le spot de surf artificiel c'est celui de quatre surfeurs -Edouard Algayon, Nicolas Padois, Mehdi Aït-Foukhir et Eneko Elosegui- qui visent une ouverture en 2025. Le terrain, privé, a été trouvé dans la zone d'activité du Courneau, à Canéjan en Gironde sur le site de l'ancienne usine IBM puis Solectron, fermée en 2007. Il s'agit en l'occurrence d'une friche industrielle en partie artificialisée de 3,6 hectares.

L'ensemble du projet couvrira 20.000 m2. Il prévoit la création d'une piscine à vagues de 19.000 m3 d'eau, composée de deux bassins de 100 et 160 mètres capables de brasser en moyenne 200 à 300 surfeurs par jour. Un bâtiment pouvant accueillir du public sera également construit. Le modèle économique reposera aussi sur des services annexes intégrés au centre sportif. « Au Portugal, sur chaque spot de surf, ils ont implanté des centres de haut rendement sportif où il est possible de dormir, se restaurer, s'entrainer Nous nous sommes inspirés de ce type de concept », explique Édouard Algayon qui promet, dans cette perspective, une centaine d'emplois à l'année.

L'investissement sera de l'ordre de 20 à 30 millions d'euros, ce qui nécessitera de lever des fonds et de la dette. La technologie sera celle de la société Wavegarden, une société du Pays basque espagnol pour laquelle l'un des associés a travaillé pendant plusieurs années. « Je me suis occupé de la gestion de projet, des études économiques techniques jusqu'à l'exploitation et j'ai pu ramener les meilleurs méthodes de chaque projet autour du monde pour ce projet ici en France », assure Eneko Elosegui.

D'autres projets régionaux dans le brouillard

La Nouvelle-Aquitaine a connu ou connaît plusieurs autres projets de surf park dont ceux de Wavegarden (Lacanau) et Okahinawave (Libourne) en Gironde, de Wavelandes (Saint-Julien-en-Born), dans les Landes ou d'Okahinawave au Futuroscope, près de Poitiers, dans la Vienne. Tous sont au point mort ou accusent des retards de plusieurs années. Ceux de Castets dans les Landes et Saint-Jean-de-Luz ont été stoppés. Celui du Futuroscope, annoncé dès 2019 par l'entreprise Okahinawave qui travaille sur le sujet depuis le début des années 2010, est désormais envisagé en 2024 au plus tôt, s'il voit effectivement le jour.

L'argument sportif

« Les surf park ont souvent été considérés comme des parcs d'attraction. Mais non, il s'agit de complexes sportifs qui permettent la pratique du surf et qui sont complémentaires à l'océan », insiste Nicolas Padois, associé et président de l'école de surf Ocean Roots, à Arcachon. Cette infrastructure va permettre de produire quinze vagues pendant une session d'une heure pour les pratiquants, tous publics confondus, de l'initiation des jeunes scolaires aux professionnels.

« C'est un terrain d'entrainement parfait. Le fait de produire des vagues en choisissant la fréquence, la hauteur et la forme va permettre de répéter les manœuvres pour une meilleure technique qu'il s'agira ensuite de mettre à profit dans l'océan », vante Nicolas Padois pour qui il est désormais temps d'aller plus loin. « D'un point de vue sportif, si on regarde l'évolution du surf ces 20 dernières années, nous arrivons en termes de développement à un plafond de verre aussi bien en nombre de licenciés, un million, qu'économiquement. L'olympisme est l'aboutissement de tout ce développement. Mais que propose-t-on ensuite ? », souligne-t-il.

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À ce stade, la Fédération française de surf (FFS) a officiellement pris position pour soutenir le projet. « L'implantation de vagues artificielles est un projet structurant permettant l'accès au surf à des publics éloignés de la pratique que ce soit pour des raisons géographiques ou pour des raisons physiques. Cet équipement sportif est aussi d'un intérêt avéré pour l'entrainement de nos équipes de France dont l'ambition est de performer sur le plan international », expliquait Jacques Lajuncomme, président de la FFS dans un courrier de soutien adressé à la mairie de Canéjan, appuyant un projet « construit dans le souci du respect de l'environnement ».

Wakeparadise Milan

Un surf park de l'entreprise Wakeparadise près de Milan, en Italie (crédits : Matze Ried).

Les arguments environnementaux

« Notre projet a un impact neutre sur la consommation d'eau. Il est scientifiquement détaillé. Les services de l'État ont donné un avis favorable sans demander d'études supplémentaires ! », avance Édouard Algayon.

« Pour le premier et unique remplissage de la piscine, nous utiliserons de l'eau du réseau pour moitié, et de l'eau pluviale pour l'autre moitié. Une piscine municipale consomme chaque année près de quatre fois plus d'eau que ce que nous consommerons en une seule fois ! Par la suite, il n'y aura plus de consommation d'eau. Nous serons autonomes grâce à des systèmes de récupération d'eau pluviale installés sur les bâtiments attenants existants. 20.000 m3 d'eau de pluie seront récupérés et compenseront largement le volume d'eau évaporée entre 14.000 et 18.000 m3 », explique Édouard Algayon.

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Sur le volet énergie, 11.000 m2 de panneaux photovoltaïques seront installés sur le toit des bâtiments attenants au surf park, pour une production annuelle d'électricité de 1.400 MW, soit une quantité supérieure aux besoins de l'équipement (1.200 MW). « Cela va permettre de produire 120 % de nos besoins en énergie sur le surf park. Donc 20 % sera réinjectée tout au long de l'année sur le réseau », ajoute Édouard Algayon qui précise que tous les chiffres sont disponibles dans le permis de construire.

Des associations contre-attaquent

Pas de quoi apaiser les opposants à ce projet. « Évidemment que nous ne sommes pas du tout convaincus ! Nous ne croyons pas au techno-solutionnisme », réagit Vanessa Balci, porte-parole de l'association Surfrider pour contester le projet de Canéjan. Les associations qui ont déposé un recours devant le tribunal administratif de Bordeaux expliquent avoir relevé de très nombreux problèmes mettant en cause la légalité du permis. Et de citer une consommation en eau potable largement sous-estimée. « Or, ces données ont été déterminantes pour obtenir le feu vert des autorités et la signature du permis de construire par le maire », explique le collectif.

« L'étude des documents publiés à la suite de l'octroi du permis de construire montre des incohérences, des contradictions, des minimisations d'impact qui nous alertent », insiste Vanessa Balci. « Mais au-delà de ça, nous considérons que ce projet est illégitime. Nous sommes en 2023, nous subissons des événements climatiques extrêmes. Il s'agit pour nous, collectivement, de commencer à réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour nous adapter. Nous considérons qu'il est illégitime aujourd'hui d'accepter que des projets industriels, sous prétexte qu'ils en ont les moyens, puissent avoir une action de prédation sur nos ressources vitales communes pour un loisir futile à 50 kilomètres de la plage ! »

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Okahina Wave Futuroscope

Visuel du projet Okahina Wave au Futuroscope, près de Poitiers (crédits : DEIS).

La pétition lancée par les associations pour dire non au projet a recueilli plus de 60.000 signatures. La fédération des élus écologistes d'Aquitaine a pour sa part qualifié l'infrastructure de « projet du 20e siècle », arguant qu'« aucun surf park ne peut prétendre être autonome en énergie et en eau ».

La mairie de Canéjan, qui a publié sur son site des éléments relatifs au permis de construire, n'a pas souhaité prendre la parole dans le cadre de la procédure en cours. Selon les informations fournies par le passé, elle avait en revanche rappelé qu'aucun élément objectif, relevant des prescriptions d'urbanisme n'avait pu justifier un refus de signer le permis. Corinne Hanras, adjointe au maire de Canéjan, lors de la séance du conseil municipal du 29 juin 2023 faisait également part de cette réflexion : « Ce que l'on peut regretter c'est que les parlementaires ne se soient pas encore saisis de cette question. Qu'ils ne se soient pas encore véritablement intéressés aux projets de cette nature. L'Agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine reconnait elle-même l'absence de classification existante pour un tel équipement en l'absence de cadre national ou européen. »

En attendant, à l'heure où les deux parties semblent irréconciliables, le tribunal administratif de Bordeaux va devoir trancher sur la légalité du permis de Canéjan.

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