La crise ne fait que débuter pour les lieux culturels bordelais

Vendredi 13 mars, les lieux culturels de tout le pays sont contraints de tirer le rideau, brutalement et pour une durée parfois encore indéterminée. Si, à Bordeaux, la municipalité a opté pour une aide d'urgence aux associations culturelles pour compenser une partie des pertes, l'impact sur le secteur demeure inégal. Revue d'impact et de prévisions pour la saison prochaine avec l'Opéra National de Bordeaux, les scènes de musiques actuelles du Krakatoa et de la Rock School Barbey, ainsi que la compagnie de danse Lullaby.
Maxime Giraudeau
Depuis la fin du mois de juin, l'Opéra national de Bordeaux propose à nouveau des représentations en jauge réduite. Ce n'est pas le cas des salles telles que le Krakatoa et la Rock school Barbey.
Depuis la fin du mois de juin, l'Opéra national de Bordeaux propose à nouveau des représentations en jauge réduite. Ce n'est pas le cas des salles telles que le Krakatoa et la Rock school Barbey. (Crédits : Thibaud Moritz / Agence APPA)

Annulations de concerts, report des événements et absence de calendrier de réouverture : c'est ainsi que peut se résumer la triade de l'incertitude exprimée par les structures culturelles du spectacle vivant. "Nous pouvons fermer en un jour mais pas rouvrir en un jour !" A l'image de la sentence prononcée par Didier Estèbe, directeur du Krakatoa à Mérignac, l'une des quatre Scènes de musiques actuelles (Smac) de la Métropole, les professionnels tentent de s'organiser au mieux. Mais si les salles accueillant un public assis, comme l'Opéra National de Bordeaux, ont pu rouvrir le 2 juin et proposer un accueil en jauge réduite, les salles debout avec les Smac et autres lieux de concerts en première ligne, demeurent strictement closes.

"Nous n'avons absolument aucune perspective... Les équipes du Krakatoa terminent le 24 juillet et nous rouvrirons le 24 août. J'ai 24 concerts programmés à la rentrée mais je ne sais pas si je pourrai les maintenir ou non. [...] Si la jauge d'accueil du public est à 100 % dès septembre, nous pourrons absorber les pertes. Mais si les concerts sont interdits jusqu'au 31 décembre par exemple, nous devrons assurer avec nos activités de résidence d'artistes et de médiation culturelle. Tout ça reste très hypothétique, nous n'avons aucune capacité de projection", déplore Didier Estèbe, directeur du Krakatoa.

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Maintient des subventions

Sans calendrier de réouverture, qui devra être proposé par le gouvernement, c'est toute l'organisation des salles debout qui est en question, entre la venue des artistes, l'emploi des prestataires techniques et des intermittents notamment. Avec pour conséquence, l'engagement de frais sans savoir si les événements auront bien lieu. Le cœur du problème est ici pour le spectacle vivant, bien plus que pour les pertes engendrées jusqu'ici par l'arrêt de l'activité. Si le Krakatoa chiffre à 13.000 euros son manque à gagner, pour un budget annuel d'1,3 million d'euros (soit 4 % sur 4 mois), c'est parce que les organisateurs ont réussi à reporter treize événements pour n'en annuler que cinq.

Du côté de la Rock School Barbey, qui accueille chaque année 560 personnes en formation musicale en plus des concerts, les pertes, plus lourdes, sont estimées à 50.000 euros entre le 15 mars et le 15 juin, avec un budget annuel d'1,8 million d'euros (soit 16 % sur trois mois). Tandis que les subventions publiques accordées aux deux structures, comptant respectivement pour 38 % et 42 % de leur budget, ont été maintenues. Les Smac ont pu maintenir une activité réduite avec leurs interventions en médiation culturelle et en formation musicale à distance.

220 représentations au programme

Pour l'Opéra National, le problème est à prendre dans le sens inverse. Le plus gros pourvoyeur de visiteurs de la métropole pour le spectacle vivant, avec 250.000 entrées par an, a été contraint d'annuler 82 représentations, entraînant 2,5 millions d'euros de pertes, dont 1,8 rien qu'en billetterie. Le budget annuel s'élevant à environ 30 millions d'euros, dont la ville de Bordeaux contribue pour moitié. Les rentrées d'argent ont été coupées nettes, mais le crève-cœur se situait bien sur le plan artistique pour les 400 salariés de la structure. "Les directeurs artistiques ont gardé le contact avec chacun des artistes pendant une période de très grande angoisse, souligne Olivier Lombardie, administrateur général de l'Opéra National de Bordeaux. Le travail devenait vain car on ne savait pas quand on rouvrirait. La qualité artistique est liée à l'entraînement collectif."

Temporiser avant de revenir en jauge réduite. Les équipes de l'Opéra, réparties sur le Grand Théâtre et sur l'Auditorium (900 et 1400 places), ont ainsi proposé des spectacles gratuits à la fin du mois de juin pour renouer avec le public et la performance artistique. Presque un luxe pour un lieu culturel alors que la saison touche désormais à sa fin. 220 représentations sont déjà certaines de se tenir en 2020/2021 à l'Opéra. Le plus dur semble passé.

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Du spectacle vivant au spectacle visio ?

Ce qui n'est pas du tout le cas pour les compagnies indépendantes. Avec des commandes de spectacles réduites et très conditionnelles, le spectacle vivant est en congés forcés. "Nous avons perdu 50 % de nos missions et interventions sur le territoire", témoigne Alain Gonotey, chorégraphe et responsable pédagogique de la compagnie de danse Lullaby qui assure représentations et missions culturelles dans les quartiers défavorisés. "Il y a besoin de ces interventions dans les quartiers autour de Bordeaux. C'est important que les équipes artistiques maintiennent leurs propositions car les familles ciblées n'ont pas les revenus pour accéder à la culture." La compagnie a néanmoins limité les pertes en maintenant son programme de formation payant avec ses 24 élèves. Mais comment se projeter quand les lieux de culture demeurent pour partie fermés et que la distanciation heurte l'essence même du spectacle vivant ?

"Les salles de spectacle réfléchissent à des systèmes vidéos, avec une partie du public en présentiel et l'autre en visio. De mon point de vue, il faut laisser les professionnels inventer et expérimenter au niveau local, moins les contraindre dans leur mode de gestion. C'est comme ça qu'on peut créer des dynamiques", s'avance Alain Gonotey. Pour l'Opéra National, Olivier Lombardie, qui ne préfère pas recourir à des représentations diffusées en vidéo, est bien plus catégorique : "Le port du masque pour les professionnels sur le plateau rend impossible la tenue des représentations avec une mise en scène traditionnelle. [...]
L'administrateur général de l'Opéra national craint une baisse de la qualité artistique due à la distanciation, avec pour conséquence la diminution de la fréquentation. In fine, c'est l'emploi des artistes permanents qui pourrait même être menacé.

1er janvier 2021

Une crainte exprimée, même si la ville de Bordeaux a proposé dès le 22 avril, une aide d'urgence pour la culture ayant subit des pertes de trésorerie. Sur le budget total porté à 1 million d'euros, 279.500 euros ont été répartis entre 24 structures culturelles lors de la première vague, avec le Théâtre National de Bordeaux Aquitaine en tête qui a reçu 70.000 euros de compensations. Le second tour de table est prévu pour fin juillet et le dossier est à retrouver ici.

Avant une rentrée culturelle qui s'annonce déjà chaotique, les quatre Smac de la métropole ont adressé une lettre à la Direction régionale des affaires culturelles où elles plaident pour une concertation et un calendrier de réouverture progressive. La députée LREM de la Gironde Dominique David a également rencontré les représentants des SMAC pour recueillir leurs préoccupations et tenter de les faire remonter. "Je préfère qu'on me dise de rouvrir le 1er janvier 2021 plutôt qu'on ne me donne pas de date", conclut Didier Estèbe.

60 millions d'euros de budget culture en 2020


Le budget culture de la ville de Bordeaux s'élève à 60 millions d'euros, soit 9 % du budget total de la commune. En France, il est de 12,5 % en moyenne dans les villes de plus de 100.000 habitants selon l'observatoire des politiques culturelles. Entre 2014 et 2018, le budget culture alloué pour chaque Bordelais est passé de 315 à 273 euros. En Nouvelle-Aquitaine, le budget de la culture est de 69 millions d'euros et de 13,7 millions d'euros pour le spectacle vivant. En pleine crise du coronavirus, la Région a annoncé une baisse de 200.000 euros sur l'aide d'1,5 million d'euros accordée à l'Opéra National de Bordeaux dans une volonté de mieux répartir les subventions culturelles sur le territoire.

Maxime Giraudeau

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