Papeterie de Condat : l'arrêt de la production vient percuter la stratégie de réindustrialisation

187 emplois sur un total de 420 sont menacés malgré plus de 33 millions d'euros d'aides publiques. La décision du groupe Lecta d'arrêter la ligne de production numéro 4 de la Papeterie de Condat, en Dordogne, menace l'existence de la dernière unité industrielle capable de fabriquer en France du papier couché double face. Sur lequel les maisons d'édition publient leurs livres. Mais pas que. Salariés et élus se mobilisent et attendent un soutien du gouvernement dans le cadre du plan national de réindustrialisation. Tandis que le suicide d'un salarié témoigne de l'extrême tension qui règne à la papeterie.
Gallimard, Hachette... le papier couché double face est le papier de référence pour les éditeurs, mais aussi pour les publicités ou encore les emballages haut de gamme.
Gallimard, Hachette... le papier couché double face est le papier de référence pour les éditeurs, mais aussi pour les publicités ou encore les emballages haut de gamme. (Crédits : Reuters)

« Le prix Goncourt est imprimé sur du papier Condat. Les maisons d'édition, comme Gallimard, achètent leur papier aux Papeteries de Condat. Il s'agit d'un papier de haute qualité que la Papeterie de Condat est la seule à fabriquer en France. Mais la direction du groupe espagnol Lecta, propriétaire de la papeterie, a décidé d'arrêter la ligne de production numéro 4, qui fabrique ce papier. Elle prétend que cette ligne de production n'est pas rentable, mais, examinés en détail, ses arguments ne tiennent pas », attaque Francine Bourra, maire de Le-Lardin-Saint-Lazare (Dordogne), où est implantée l'usine, par ailleurs dirigeante de Soudage Technique Industrie (STI) une petite entreprise spécialisée dans la formation à la soudure.

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Contacté par La Tribune, Lecta n'a pas souhaité en dire plus que dans son communiqué du 20 juin dans lequel le groupe espagnol, également implanté en Italie, fait connaitre sa décision d'arrêter l'activité de la ligne de production numéro 4. Le groupe invoque « la forte baisse du marché des papiers graphiques » et précise qu'un « projet de réorganisation a été annoncé aux représentants du personnel, qui seront consultés à ce sujet. »

Le papier couché est enduit d'une ou plusieurs couches supplémentaires pour marquer davantage les contrastes et les couleurs tout en économisant l'encre par rapport au papier non couché, qui garde son côté brut. Ces deux types de produits constituent les papiers graphiques. Un marché pas facile à suivre au plan statistique, puisque ces deux catégories sont coagulées au sein du bloc papiers graphiques.

L'État trop ouvert aux arguments de Lecta ?

Le projet de Lecta consiste à arrêter définitivement la production de papier couché double face, en mettant fin au fonctionnement de la ligne 4 et en procédant au licenciement de 187 salariés sur un total de 420, dans ce groupe qui a réalisé un chiffre d'affaires de 526,2 millions d'euros l'an dernier. Et c'est bien cette option que refusent d'accepter les salariés de l'usine et les élus, aussi bien en Dordogne qu'à la Région. Car depuis plusieurs années les collectivités et l'État ont beaucoup fait pour les Papeteries de Condat. Avec en particulier une avance remboursable de 14 millions d'euros accordée par l'Ademe pour l'équipement de Condat avec une chaudière fonctionnant à partir de combustibles solides de récupération (CSR) et une aide de 19 millions d'euros apportée par la Région Nouvelle-Aquitaine.

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Des appuis importants confirmés par le préfet de Dordogne, Jean-Sébastien Lamontagne, qui se montre beaucoup plus optimiste que la moyenne vis-à-vis du plan annoncé par Lecta, massivement refusé par les salariés et les élus.

« Aux côtés des collectivités locales, l'État a accompagné ces dernières années la modernisation de Condat en Dordogne : ce sont en effet les financements mobilisés par le groupe Lecta, soutenus par les pouvoirs publics, qui permettent aujourd'hui le maintien sur le site d'une activité industrielle autour du papier de spécialité (ligne 8). La montée en puissance de cette ligne de production de papier de spécialité et la mise en œuvre de la chaudière biomasse CSR (combustibles solides de récupération -NDR) sont les leviers qui doivent permettre de retrouver à l'avenir de nouvelles capacités d'investissements », déroule ainsi le préfet du département.

Incompréhension et déception pour Alain Rousset

À l'initiative quand il s'est agit de soutenir la papeterie, le président du conseil régional, ne cache pas son agacement auprès de La Tribune : « Dire que nous sommes déçus est faible, nous n'arrivons pas à comprendre les décisions du board de Lecta, alors même qu'elle reste la seule entreprise française qui produit du papier couché pour les éditeurs. Je poserai des questions au président de Lecta, les infos qui me reviennent font qu'il y a des éléments assez troublants, qui concernent l'Etat et l'Ademe puisqu'ils ont financé la chaudière de la nouvelle ligne de production. »

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Le drame qui vient endeuiller un PSE impopulaire

Une analyse qui semble assez peu partagée dans le territoire. Car les élus ont la nette impression que, dans ce dossier, les services de l'État partagent pour le moment quasi intégralement les arguments avancés par Lecta pour justifier la fin de la ligne 4 et le licenciement des 187 salariés. La première réunion du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) devait avoir lieu ce mercredi matin 28 juin. Mais à la suite de l'assemblée générale du personnel qui s'est tenue hier avec les syndicats pour faire le point sur l'avenir du groupe, un salarié employé par Lecta en sous-traitance aux cuisines de l'entreprise s'est donné la mort en rentrant chez lui. Ce suicide a provoqué une énorme onde de choc dans la papeterie et repoussé à plus tard toutes les réunions qui étaient prévues aujourd'hui dans le cadre du PSE.

« Avec ce décès nous sommes tous sous le choc », a confirmé dans la matinée pour La Tribune, à la suite des syndicats, Dominique Bousquet, nouveau maire de Terrasson et président (LR) de la Communauté de communes de du Terrassonnais-Thenon-Hautefort. « La direction et les employés de Condat souhaitent exprimer leurs condoléances et toute leur sympathie à la famille et aux amis du défunt », a ajouté la direction.

Rentabilité : le faux problème de la ligne numéro 4...

Totalement investi dans le destin et le mode de fonctionnement de la plus grande entreprise de sa collectivité territoriale, Dominique Bousquet livre une analyse fine pour démonter les arguments de Lecta, un peu comme s'il codirigeait lui-même le groupe.

« Au départ nous sommes un peu plus cher que nos concurrents, de 30 euros la tonne. Mais n'oublions pas que le papier couché se négocie aujourd'hui à 900 euros la tonne et que cet écart de 30 euros n'est pas rédhibitoire. Avec la nouvelle chaudière dont va être équipé la papeterie, et qui va fonctionner avec des combustibles solides de récupération (CSR), ce surcoût de 30 euros va totalement disparaître, ce qui fait que nous reviendrons dans les clous.

En 2022 la Papeterie de Condat a essuyé des pertes énormes. La cogénération n'a pas fonctionné et l'entreprise s'est retrouvé en position d'acheter son gaz très cher pour le revendre au rabais... on reste incrédule devant tant d'incompétence. Le groupe a réalisé un bénéfice net record au premier semestre 2022, à 19 millions d'euros, avant de commencer à perdre de l'argent ! »

... et la ligne 8 une fausse bonne idée

Le plan annoncé par Lecta consiste à concentrer désormais les investissements sur la ligne de fabrication numéro 8, destinée à la fabrication de papier glassine. Autant dire qu'entre ces deux lignes de production il y a tout un monde. Puisque, au contraire de la ligne numéro 4, avec la glassine la seconde est dédiée aux étiquettes et autres papiers adhésifs.

« La ligne numéro 8 ne peut pas vivre sans la 4. Les dirigeants du groupe le savent. Ils veulent récupérer ces énormes machines et les envoyer en Espagne ou en Italie. Avant sur site il y avait trois lignes de fabrication, trois machines et le modèle économique de la papeterie reposait là-dessus. Il faut savoir, d'une part, que la papeterie ne maîtrise pas encore la fabrication du papier glassine et que, d'autre part, ce produit conduit à un marché à faible valeur ajoutée complètement saturé, celui des étiquettes... Sachez que la tonne de papier glassine se paie traditionnellement 100 euros la tonne, contre 300 euros pour le papier couché double face » éclaire la maire Francine Bourra, qui est aussi une ancienne de chez Condat.

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Si la ligne 8 est susceptible de fabriquer aussi du papier couché une face et des papiers spéciaux, l'idée qu'elle est le pire des choix est partagée par les centrales syndicales et sans doute aussi une majorité d'élus périgourdins. De même que semble faire l'unanimité, la thèse selon laquelle l'arrêt total de Condat dégagera de nouvelles parts de marchés en France pour les usines espagnoles et italiennes de Lecta. Les élus devaient rencontrer ce jeudi 29 juin les responsables du groupe Lecta. Une réunion en visio étant programmée vendredi 30 juin au matin avec le chef de cabinet du ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire. Mais là aussi, la conviction que les services de l'État ne voient le dossier que par le petit bout de la lorgnette et penchent du côté de Lecta a tendance à miner le moral des troupes.

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Commentaire 1
à écrit le 29/06/2023 à 14:59
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Nous autres autochtones ne comprenons pas d'abord et avant tout que personne n'ai entendu un des directeurs, il y a plusieurs années déclarer que les papeteries seraient fermées dans dix ans et je pense que l'année prochaine on devrait y être. Les ac...

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