![L'usine Avebene de Ryam, à Tartas (Landes), vient d'entrer en service pour produire du bioéthanol à partir des sucres générés par l'usine voisine de fabrication de cellulose.](https://static.latribune.fr/full_width/2385689/riyam.jpg)
Avec ses hautes cheminées et ses fumées blanches, le site industriel de Ryam à Tartas, dans Les Landes, se repère à des kilomètres à la ronde. Depuis près de 80 ans, l'usine fabrique de la cellulose de haute pureté pour les téléphones portables, les lunettes et autres médicaments. Cette matière biosourcée est extraite du pin maritime du massif forestier des Landes de Gascogne. Mais, depuis le 12 avril 2024, des camions citernes remplis de bioéthanol sortent également quotidiennement de l'usine où une nouvelle installation aussi vaste que labyrinthique a été construite en 14 mois seulement.
C'est en 2017 que l'entreprise américaine Ryam (2.800 salariés dans le monde pour 1,8 milliard d'euros de chiffre d'affaires) a racheté ce site de production de cellulose au groupe canadien Tembec. Jusque-là une seconde usine, plus petite et baptisée Avebene, fabriquait des lignosulfonates, un coproduit de la cellulose utilisé notamment en agriculture. Mais Ryam a décidé d'y investir 36 millions d'euros pour y produire également du bioéthanol que l'on retrouve à la pompe à essence dans les carburants E-10 et E-85. Une manière de se diversifier en mettant un pied sur un marché porté par la dynamique de la transition énergétique.
Un tuyauterie complexe
Ce bioéthanol n'est pas produit à partir de ressources alimentaires mais en valorisant les coproduits de la fabrication existante de cellulose. « Cela nous permet de réduire de 93 % l'empreinte carbone de ce bioéthanol de seconde génération par rapport à un carburant classique pétro-sourcé », affirme Christian Ribeyrolle, le directeur du site et senior vice-président en charge des bio-matériaux au niveau mondial pour Ryam. Il faut dire que l'industriel américain a poussé assez loin le curseur de la décarbonation sur ce projet.
« Le bioéthanol est fabriqué à partir de la fermentation des sucres issus de la production de cellulose. Ces derniers sont distillés puis purifiés grâce notamment à un alambic de 27 mètres de haut ! », détaille Ludovic Berdinel, le directeur du site. Et cette bioraffinerie, alimentée à plus de 95 % par de l'électricité, est équipée d'une double boucle énergétique en circuit fermé avec l'usine de cellulose voisine. La première pour récupérer la chaleur fatale et diminuer la consommation d'eau et d'énergie, la seconde pour réinjecter les résidus de l'usine de bioéthanol dans le circuit initial de l'usine de cellulose. Une tuyauterie complexe capable de produire 21 millions de litres de bioéthanols chaque année qui sont déjà vendus à un pétrolier pour plusieurs années.
Du carburant de synthèse à l'horizon 2029
Et pour parachever cette démarche circulaire, Ryam met au point avec Verso Energy un projet de capture des émissions de CO2 biogénique [émissions issues de la combustion du bois, NDLR] et d'installation d'un électrolyseur pour générer de l'hydrogène vert. Avec ces ingrédients, les deux partenaires prévoient de synthétiser du carburant d'aviation durable (eSAF). « Le premier litre devrait sortir de l'usine fin 2029 puis nous prévoyons de produire jusqu'à 85.000 tonnes de SAF chaque année pour répondre à la demande croissante puisque les compagnies aériennes européennes auront l'obligation d'incorporer des SAF dans leurs avions », poursuit Christian Ribeyrolle. L'Union européenne impose en effet 6 % de SAF en 2030 avant 34% en 2040 puis 70 % à l'horizon 2050. Et pour mener ce projet à bien, Ryam dispose encore d'une trentaine hectares disponibles. De son côté, Verso Energy est également à la manœuvre en Haute-Vienne pour déployer un projet similaire sur l'usine de papier de Sylvamo.
Disponible en quantité limitée
Le revers de la médaille c'est que la quantité de ce bioéthanol décarboné, comme du eSAF par la suite, est mécaniquement plafonnée par l'activité de l'usine principale de cellulose puisqu'elle n'en est qu'un coproduit valorisé. De quoi toucher du doigt le principal sujet d'incertitude autour des biocarburants : leur trop grande rareté.
Utilisés aujourd'hui pour le carburant routier, le bioéthanol intéresse aussi la cosmétique, la chimie et la pneumatique, autant de filières cherchant à se décarboner. Et s'ils sont identifiés comme la seule réponse immédiate et tangible à la décarbonation du transport aérien, le prix et les quantités disponibles restent encore des obstacles majeurs. « Est-ce qu'on aura assez d'électricité et de biomasse pour produire suffisamment de carburants durables pour répondre à la demande globale ? La réponse est non, il n'y en aura pas pour tout le monde ! », prévient Christian Ribeyrolle. « Le monde de l'aérien ne peut donc pas raisonner en vase clos, il faut une vision globale française et européenne des besoins globaux en énergie et, ensuite, il appartiendra au politique de trancher la délicate question du partage. »
Et c'est aussi l'effet prix qui contribuera à répartir la ressource. Le bioéthanol est actuellement plus cher que l'essence mais bénéficie d'une fiscalité incitative. Les SAF, de leur côté, sont environ cinq fois plus chers que le kérosène classique.
Des cultures expérimentales en Gironde
C'est précisément pour envisager une culture de SAF à l'échelle de plusieurs milliers d'hectares, qu'une vaste étude a été lancée par la Fondation Bordeaux Université avec l'Université et l'aéroport de Bordeaux. Sur une cinquantaine d'hectares en Gironde, Lot-et-Garonne et dans l'Oise, Sylvain Delzon expérimente depuis six ans le « relay cropping », qui consiste à intercaler deux cultures en même temps sur la même parcelle. « Cela permet de ne pas entrer en compétition avec l'alimentation humaine tout en limitant au maximum l'impact carbone de la culture et donc du futur carburant qui en sera extrait », explique ce directeur de recherches en écophysiologie et agroécologie à l'Université de Bordeaux. En l'occurrence, il s'agit de tester la culture de soja, de cameline ou de tournesols pour produire du carburant dans un champ de blé qui, lui, est dédié à l'alimentation.
Le soja ou la cameline sont semés au printemps dans les inter-rangs de blé avant d'être récoltés en octobre tandis que le blé, semé en octobre, est récolté fin juin début début juillet (crédits : Sylvain Delzon)
Et si cela paraît relativement simple sur le papier, l'équation est en réalité extraordinairement complexe au regard du nombre de variables à prendre en compte. « Pour chacune de ces cultures, nous mesurons le taux de conversion en huile pour produire du kérosène mais aussi le volume de fertilisants utilisés, la vitesse de croissance, les besoins d'irrigation et, bien sûr, la faisabilité technique d'un double semi puis d'une double récolte », liste Sylvain Delzon. Et, malheureusement, aucune de ces trois espèces ne coche toutes les cases alors même que « l'objectif est clair, il faut diminuer l'empreinte carbone du carburant d'au moins 70 % sur l'ensemble du cycle de vie ! »
Les ambitions d'Elyse Energy à Lacq
Plus au Sud, sur l'ancien bassin gazier de Lacq (Pyrénées-Atlantiques), c'est un autre projet de grande ampleur qui est dans les tuyaux. Porté par Elyse Energy et quatre partenaires (Avril, Axens, Bionext et IFP Investissements), il s'agit d'y construire la première unité commerciale française de biocarburant aérien durable de synthèse (eSAF) « à partir de biomasse composée de résidus issus majoritairement de la sylviculture locale et de déchets de bois en fin de vie ».
Là encore, Elyse Energy promet de réduire l'empreinte carbone « d'au moins 70% en cycle de vie par rapport au kérosène conventionnel » et projette, à l'horizon 2028-2029, la production de « 75.000 tonnes de carburant d'aviation durable la moitié à partir de biomasse et l'autre moitié qui sera considérée comme un carburant synthétique issu d'hydrogène produit par électrolyse de l'eau donc à partir d'électricité renouvelable ou nucléaire. » 300.000 tonnes de bois, en partie issus des forêts locales seraient consommées chaque année.
L'usine BioTJet d'Elyse Energy sur le bassin de Lacq s'appuiera sur la technologie BioTFuel, ici en photo, développée dans les Hauts-de-France depuis 2021. (Crédits : TotalEnergies)
La forêt n'est pas une ressource comme une autre
Mais bien qu'annoncé avec enthousiasme par Emmanuel Macron l'an dernier, le projet est loin de susciter autant d'adhésions sur le terrain. Face à la mobilisation lors de la récente concertation préalable, Elyse Energy a corrigé sa copie pour tenter de convaincre le collectif de 37 associations de défense de l'environnement « Touche pas à ma forêt - pour le climat ».
L'entreprise assure qu'elle utilisera « trois types de ressources naturelles et/ou renouvelables : de l'électricité (70% des besoins), des déchets de bois et des résidus agricoles (20% des besoins) et de la biomasse forestière (10% des besoins) » et promet que « l'utilisation de biomasse forestière (même limitée en proportion) et d'eau font l'objet d'une forte vigilance. » Elyse Energy s'engage à limiter sa consommation d'eau, à réduire la consommation de bois forestier au profit de sous-produits d'activités existantes et de favoriser le transport ferroviaire.
Face à ces promesses, la Sepanso reste très sceptique par rapport au bénéfice réel de ce type d'installations. L'usage du bois pour se chauffer ou produire de l'électricité est loin d'être aussi vertueux pour le climat qu'on aimerait le croire et sa promotion à outrance est très problématique pour l'avenir de nos forêts, prévient l'association de protection de la nature et de l'environnement très implantée en Aquitaine. « Les forêts, réservoirs naturels de carbone, ne sont pas une énergie renouvelable comme une autre », appuie Philippe Barbedienne, membre de la Sepanso. « Le problème fondamental c'est l'exploitation de la biomasse forestière pour fabriquer du carburant aérien sans en questionner les usages alors que dans la durée cela nuira au massif forestier. »
Sujets les + commentés