Batteries : « Nous diviserons par cinq l'empreinte des métaux énergétiques » (EMME Bordeaux)

INTERVIEW. « Il y a un vrai sujet de décarbonation de la chaîne des composants pour les batteries électriques dont l'empreinte carbone n'est pas bonne [...] Nous allons diviser par cinq l'empreinte des métaux énergétiques », assure à La Tribune Antonin Beurrier, président directeur général d'EMME (Electro mobility materials Europe). La société entend créer sur la zone industrialo-portuaire de Grattequina, près de Bordeaux, une unité industrielle de conversion de nickel et de cobalt pour alimenter le marché des batteries des voitures électriques. Le dirigeant revient sur les tenants et aboutissants de ce projet à 480 millions d'euros -dont 300 millions d'investissement- qui fait l'objet d'une concertation publique jusqu'au 20 mai 2024 et qui s'inscrit dans l'opération Choose France présentée ce lundi.
Antonin Beurrier, président directeur général d'Electro mobility materials Europe (EMME) à Bordeaux.
Antonin Beurrier, président directeur général d'Electro mobility materials Europe (EMME) à Bordeaux. (Crédits : Studioregard)

LA TRIBUNE - Vous dirigez l'entreprise EMME qui porte un ambitieux projet de conversion de nickel et de cobalt pour alimenter le marché des batteries des voitures électriques. Quel a été votre parcours ?

ANTONIN BEURRIER - Je suis un investisseur industriel. J'ai travaillé dans des grands groupes industriels comme Michelin, Sadvick, Xstrata et me suis orienté progressivement vers l'industrie des métaux pour des applications spécialisées. Puis l'émergence des technologies de batterie a fait naître de nouvelles applications assez déterminantes et j'ai fait des métaux critiques une spécialité. Le nickel, le cobalt, le lithium sont devenus essentiels à la chimie des batteries pour les véhicules électriques. Après une partie de ma carrière dans les comités exécutifs de grands groupes essentiellement à l'étranger, et notamment en Asie pacifique, j'ai décidé de monter ma société d'investissement en Suisse avec pour objectif d'investir dans deux verticales : les métaux énergétiques, et c'est là-dedans que s'inscrit le projet EMME, ainsi que l'économie bleue dans une perspective de protection et de valorisation de l'océan.

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Qu'est-ce qui vous a convaincu de vous lancer dans ce projet ?

J'ai vu l'Asie pacifique se préparer à cette révolution industrielle tant dans la maitrise des matières premières que dans leur conversion pour des usages de batteries. Dans le même temps, je voyais que l'Europe n'avait pas pris la mesure de ce qui était en train de se passer alors même qu'il y avait un appel à l'électrification des flottes dans une perspective de décarbonation de l'automobile. Il y avait donc un sujet. D'où ma décision de monter un projet pour que l'Europe se dote d'une capacité de conversion.

Mais au-delà des sujets de sécurité des approvisionnements et donc de souveraineté industrielle française et européenne, il y a un vrai sujet de décarbonation de la chaine des composants pour les batteries électriques dont l'empreinte carbone n'est pas bonne. Pour la réduire, il faut sourcer les matériaux propres, avoir des unités de conversion propres et enfin envisager de recycler ces matériaux. Et c'est ce que nous voulons faire. Nous allons diviser par cinq l'empreinte des métaux énergétiques en étant sélectifs dans le choix des mines et métallurgies, par la logistique et nos process qui doivent être net zéro carbone.

D'un point de vue technique, quelle sera l'activité de cette usine ?

Cette usine est prévue pour convertir des produits déjà raffinés par procédé métallurgique. Il ne s'agit donc pas de minerais mais d'hydroxydes de nickel et de cobalt que nous convertirons en sels de nickel et de cobalt à destination des fabricants de matériaux actifs de cathodes, eux-mêmes insérés dans les cellules de batteries en aval de la chaine de production. Nous ne produirons pas de batterie, ni même de composants de batterie. Nous nous situerons au milieu de chaine. Or, en la matière, les chinois ont 15 ans d'avance ! Nous avons en Europe des gigafactorys, mais il y a un trou dans la phase amont.

Ce projet est considéré comme stratégique car il s'inscrit dans ce qui constitue le maillon faible. Dès sa mise en service en 2028, l'unité pourra convertir 20 000 tonnes de nickel et 1 500 tonnes de cobalt par an, ce qui en fera l'un des premiers sites spécialisés dans les applications batteries en Europe et en France. L'objectif est de produire en 2030 suffisamment de nickel et de cobalt pour couvrir l'équivalent de 20 à 30 % du marché français des véhicules électriques.

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Pourquoi avez-vous opté pour une implantation à Bordeaux ?

En Europe, la Finlande bénéfice de mines et de quelques capacités de conversion mais c'est à peu près tout. En France, une implantation dans les Hauts de France aurait sans doute été très pertinente. Mais Bordeaux nous a intéressé pour plusieurs raisons. D'abord parce que pour avoir une logistique la plus décarbonée possible, nous allons privilégier le maritime et le fluvial et nous aurons accès à un nœud ferroviaire. Il y a aussi une filière batterie déjà bien établie en Nouvelle-Aquitaine notamment sur toute la partie amont qui nous intéresse en sciences des matériaux. Il y a dans la région une vraie culture des matériaux et un capital humain. Le conseil régional a d'ailleurs lancé le projet Battena qui va permettre de former ouvriers, techniciens et ingénieurs. En ce qui nous concerne, nous commencerons par embaucher 200 personnes.

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Quelles seront vos sources d'approvisionnement ?

La matière première viendra de mines et de métallurgies d'un peu partout dans le monde. Pour sélectionner les sources d'approvisionnement, nous appliquerons le concept de qualification Irma (initiative pour une assurance minière responsable). Nous ciblons l'Indonésie, l'Australie, la Nouvelle-Calédonie, et pour la partie Atlantique, l'Amérique du Sud avec notamment le Brésil et l'Amérique du nord avec le Canada. Mais il sera possible d'utiliser d'autres entrants, en l'occurrence des produits métalliques encore plus raffinés. En 2030, nous espérons être en capacité de traiter ce que l'on appelle la black mass, c'est-à-dire les agrégats métalliques qui résultent du process de recyclage des batteries. Convertir de la black mass coûte trois fois plus cher aujourd'hui et il n'y a pas les volumes mais il y aura un marché. Il y aura tellement de métaux en circulation sur notre parc automobile, qu'il faut que nous soyons dotés des outils de conversion pour traiter cette « masse noire » et éviter qu'elle reparte en Chine.

Comment allez vous prendre en compte les aléas environnementaux et industriels ?

Sur la question de l'eau, nous sommes sur un terrain industriel avec un quai déjà aménagé et des terres-pleins très largement surélevés. Nous allons nous fondre dans ce qui existait et donc l'usine sera bien sûr surélevée pour se mettre hors d'eau. Toutes les mesures de protection seront basées sur des solutions naturelles d'écoulement des eaux pour nous permettre d'être en sécurité et de n'avoir aucun impact sur des tiers. Il n'y aura pas de digue ou de remblais artificiels. Nous allons faire venir les meilleurs ingénieurs hydrauliques qui sont hollandais pour avoir un double regard et qu'ils nous éclairent sur les meilleures pratiques.

Par ailleurs, le site est Seveso non pas pour des risques d'explosion ni d'incendie. Mais parce que le sulfate de cobalt et le sulfate de nickel ne peuvent pas aller dans l'eau dans la mesure où c'est toxique. Ce sont des risques que l'on sait gérer. Les études de danger et d'impact seront prêtes quand nous déposerons nos demandes d'autorisations environnementales et de permis de construire dans le courant de l'été. Ensuite la procédure est réglementaire, technique et démocratique, il y aura des enquêtes publiques.

Qui vous accompagne et vous soutient ?

L'un de mes associés est en Australie où est dessinée l'usine, mais je peux aussi compter sur l'ancienne cheffe des approvisionnements du groupe Tesla. D'un point de vue budgétaire, ce projet nécessitera 300 millions d'euros d'investissements directs auxquels il faudra ajouter 45 millions d'études, de recherche, de tests et 130 millions pour démarrer l'activité entre l'achat de stocks de matières et les embauches. Je ne m'étendrai pas sur les soutiens financiers car le tour de table financier devrait se terminer entre juin et juillet. En revanche, le projet va bénéficier, pour plus de la moitié, d'apports en fonds propres et quasi fonds propres. L'autre partie consistera à lever de la dette auprès de la banque européenne d'investissement et de l'ensemble des grandes banques françaises. Nous avons la chance d'être inscrits sur la liste provisoire des projets d'intérêt national majeur. Cela marque la reconnaissance du caractère stratégique et d'intérêt général du projet.

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Le trafic container du port de Bordeaux augmenterait d'environ 20%

Le Grand port Maritime de Bordeaux est propriétaire du terrain, convoité par EMME, qui a déjà fait l'objet d'un projet au début des années 2010. « A l'époque un appontement de 7 hectares avait été conçu mais l'activité n'a jamais vu le jour. Le port s'est donc retrouvé avec un terminal flambant neuf. Aujourd'hui, le projet EMME est un projet de plus grande ampleur qui s'étend sur 30 hectares », expose Jean-Frédéric Laurent, directeur général du Grand port Maritime de Bordeaux. « Il y a un double intérêt dans le cadre d'une stratégie d'accueil d'industrie post-fossile. Par ailleurs il augmenterait le trafic container du port de Bordeaux d'environ 20%, sachant que ce trafic représente 6% du trafic total. » Au-delà d'être propriétaire du foncier, le port joue un rôle important dans l'accompagnement du porteur de projet dans les démarches administratives auprès de collectivité, de l'État et des opérateurs de réseau.

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Commentaire 1
à écrit le 13/05/2024 à 9:59
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La France en est où sur la recherche fondamentale dans l'énergie ainsi que les nouvelles motorisations, je pense à des trucs utilisables sur des chalutiers par exemple.. Bref, je m'interroge?

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