Les « molécules du futur » d'Alpha Chitin toucheront-elles le marché français en 2024 ?

La chitine et le chitosane se posent en alternative au plastique et à certains produits chimiques. La startup Alpha Chitin débute l'export de ces molécules bio-sourcés mais n'a pas encore l'autorisation de les vendre en France sur certains marchés. Après avoir levé 4,5 millions d'euros, elle en recherche dix supplémentaires cette année pour financer un projet qui relève, selon elle, de la souveraineté industrielle. L'usine est installée à Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques.
L'usine d'Alpha Chitin à Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques.
L'usine d'Alpha Chitin à Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques. (Crédits : Alpha Chitin)

En déambulant dans son usine inaugurée il y a tout juste un an, Philippe Crochard, président d'Alpha Chitin, a du mal à cacher son pessimisme, son exaspération même :

« Nous avons fait le choix de nous implanter en France pour que l'Europe ait la souveraineté industrielle et l'autonomie stratégique sur deux biomolécules du futur, la chitine et le chitosane, produite quasi-exclusivement en Asie. Or, alors que nous pouvons débuter la vente à l'export, où la demande est en forte croissance, nous attendons encore l'autorisation de commercialisation en France sur certains marchés, espérée cette année. L'an dernier, nous avons dû détruire notre production..., souligne-t-il. Pis, comme nous ne réalisons pas encore de chiffre d'affaires, nous ne pouvons pas prétendre à toutes les aides », avoue cet entrepreneur multirécidiviste.

En créant il y a dix ans avec son associé Jérome Delay cette startup de chimie verte et biosourcée, son 22e projet dans une multitude de secteurs et de pays (jeu, informatique, restauration...), il était loin de soupçonner que le chemin serait aussi long. Et sinueux. La Région Nouvelle-Aquitaine, via son fonds Naco, et plusieurs investisseurs privés viennent certes de leur confier 4,5 millions d'euros. « Mais nous avons besoin d'une dizaine de millions d'euros supplémentaires dès cette année, qui sera critique. Lever des fonds en tant que startup industrielle reste très difficile en Europe. Nous cochons pourtant toutes les cases », pointe le dirigeant, auparavant installé en Asie et rentré avec ce projet de chimie verte dans sa valise.

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Une alternative aux produits chimiques

Les deux associés ne remettent aucunement en cause leur choix, fin 2019, de privilégier le bassin de Lacq à leur région d'origine, l'Isère, et la France à d'autres pays, pour créer leur pilote industriel. La chitine et sa version raffinée, le chitosane, qui appartiennent tous deux à la même famille que les sucres ou la cellulose, sont promis à un bel avenir. Elles figurent sur la liste des vingt biomolécules les plus prometteuses réalisée par l'Union Européenne, qui considère Alpha Chitin « innovante et stratégique ».

Alpha Chitin

La chitine est tirée de la peau de larves de mouches d'insectes (crédits : Alpha Chitin).

De même, Bertrand Piccard de la Fondation Solar Impulse est venu redire la semaine dernière qu'il croit en la capacité de cette lauréate du plan France 2030 à trouver une alternative aux pesticides dans l'agriculture. Sans parler du World Economic Forum, convaincu que la chitine peut remplacer le lithium-ion pour créer des batteries biosourcées et renouvelables.

« Il y a une très grande variété d'applications présentes et futures pour ces molécules que font l'objet de recherches avec des universités et instituts partenaires tout comme de potentiels clients. Elles entrent dans la fabrication de bioplastiques, mais ont également la capacité de transporter des médicaments et permettraient de remplacer les injections de vaccins chez les humains (Covid, grippe...) et les animaux (grippe aviaire, influenza...) par des sprays nasaux. Elles offrent aussi une alternative aux produits chimiques pour fixer des teintures sur un sac ou encore réaliser des cosmétiques », énumère Jérome Delay, invitant à plonger la main dans un bac rempli de larves.

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« Un procédé unique au monde »

Ce sont elles qui livrent une partie de la matière première, car la chitine est tirée de la peau de ces larves de mouches d'insectes, élevées en 14 à 21 jours puis transformées grâce à « un procédé d'extraction unique au monde » clame Alpha Chitin, en une poudre blanchâtre. « Nous avons fait le choix de fabriquer les mêmes molécules également avec des champignons de Paris, des rebuts d'un cultivateur local. Bientôt nous aurons une troisième variante de chitosane à base de krill, des crevettes pêchées en Norvège, et une quatrième avec une autre espèce de champignons cultivée par nous-mêmes pour être capable de répondre aux demandes des différents marchés. Tous nos chitosanes sont de qualité, traçables et produits en respectant l'environnement et les animaux », détaille le responsable de la recherche et de la production.

Sous-entendu, pas comme en Asie, où se trouve le plus grand producteur mondial, Hismer, détenu par l'État chinois, qui exploite d'énormes élevages de crevettes et crabes. « Nous avons refusé des propositions de rachat de la part d'investisseurs chinois et d'autres pays étrangers. Nous avons des demandes pour monter des usines à Taïwan, en Inde en Amérique du Sud ou encore au Maroc », alerte Philippe Crochard. Toutes refusées pour le moment.

Au total, la startup a déjà dépensé 16 millions d'euros et un investissement supplémentaire de 14 millions d'euros est planifié pour agrandir l'usine dès cette année. A date, Alpha Chitin est capable de produire 240 tonnes par an, mais elle espère des volumes dix fois supérieurs en 2028. « Cela nécessiterait de construire une usine, soit une enveloppe de 145 millions d'euros supplémentaires, ce qui permettrait de passer de 12 à 250 salariés. Nous avons toujours l'ambition de devenir la référence mondiale du chitosane », confirme le président.

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