Industrie : « Pour renverser la vapeur, je crois en la dimension territoriale » (Olivier Lluansi)

ENTRETIEN. Olivier Lluansi a été conseiller industrie et énergie de François Hollande, puis a été nommé délégué aux « Territoires d'industrie » en 2019 par Edouard Philippe, en charge du déploiement de cette stratégie nationale de « reconquête industrielle ». Désormais chargé par le gouvernement d'une mission sur l'avenir de la politique industrielle française, Olivier Lluansi a fait le point sur ses objectifs lors d'un déplacement sur le bassin de Lacq, en Béarn.
Olivier Lluansi entouré des acteurs économiques et politiques du bassin industriel de Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, le 12 janvier 2024.
Olivier Lluansi entouré des acteurs économiques et politiques du bassin industriel de Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, le 12 janvier 2024. (Crédits : AH / La Tribune)

LA TRIBUNE -  Vous avez été chargé fin novembre d'une mission sur l'avenir de la politique industrielle par les ministres de l'Économie et de l'Industrie. Quel est l'objectif de ces travaux ?

OLIVIER LLUANSI - Le but de la mission qui m'a été confiée est de proposer des objectifs pour la réindustrialisation de notre pays. Quelle part de notre création de richesse l'industrie devrait-elle représenter en 2035 ? Toujours 10 %, 12 % ou même 15 % ? Et si l'on souhaite réindustrialiser, quels sont les leviers pour y parvenir, sachant que la part stagne depuis 2009, à l'un des niveaux les plus bas d'Europe ? Pour renverser la vapeur, je crois en la dimension territoriale, qui dispose d'un potentiel caché.

C'est tout le sens de « Territoires d'industrie », programme que j'ai eu la chance d'initier en 2019. L'originalité de la démarche est d'être « montante » : ce n'est pas l'État qui prescrit, mais les territoires qui portent leur ambition et leurs projets. « Territoires d'industrie » est ainsi devenue une « usine à projets » de réindustrialisation pour les PMI et les ETI. Dans ce cadre, j'étais déjà venu rencontrer les industriels du bassin de Lacq. J'avais alors découvert un territoire qui m'avait surpris par son dynamisme. Après plusieurs réunions avec des industriels à Paris en décembre, j'ai donc tenu à consacrer ma première visite à ce bassin, qui illustre à merveille le « virage vert » que notre industrie doit prendre. Je vais aller à la rencontre d'autres territoires, dont Belfort-Montbéliard (où est installé notamment Alstom, ndlr) et peut-être Laval, Troyes et la région lyonnaise, avant de rendre mes conclusions vers début avril.

2.000 projets identifiés d'ici 2027

Entre 2018 et 2022, près de 1.800 projets, des agrandissements de sites ou encore la création de formations, portés par des entreprises et collectivité locales ont été financés par le programme « Territoires d'industrie », soit 1,37 milliard d'euros d'argent public provenant essentiellement du Plan de relance. Pour la seconde phase du programme, annoncée en mai 2023 et courant jusqu'en 2027, plus de 2.000 projets ont déjà été identifiés.

Quels sont, selon vous, les points forts du bassin de Lacq ?

Il me semble qu'il y a plusieurs caractéristiques. Tout d'abord, ce niveau de collaboration impressionnant entre élus, représentants des salariés, industriels installés et porteurs de projet, qui me parait essentielle. Il y une véritable confiance entre les acteurs du bassin et une vision commune. Deuxièmement, je pense qu'il faut saluer l'anticipation dont l'on a su faire preuve ici en préparant la réorientation vers la chimie verte d'un territoire qui s'est développé grâce à ses réserves de gaz désormais quasiment épuisés. La spécialisation dans la chimie et aujourd'hui sa bascule avec la transition écologique ont permis à Lacq de se différencier d'autres territoires. C'est cette conviction qui a permis au territoire de ne pas se désindustrialiser. Mieux, il a réussi à maintenir globalement 8.000 emplois industriels et prévoit même de passer à 10.000 dans les prochaines années.

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Est-ce que vous pensez que cette recette peut s'appliquer ailleurs ?

Oui, mais pour réussir à faire croitre la part de l'industrie dans notre PIB, nous devons surtout collectivement acter la fin du mythe d'une « France sans usines » dont Serge Tchuruk (ancien dirigeant d'Alcatel, ndlr) fût le porte-parole. Depuis 1975, la production a été délocalisée dans les pays à bas coûts, comme l'ont fait les Etats-Unis et le Royaume-Uni, mais contrairement à l'Allemagne. Si c'est un choix collectif de réindustrialiser, il faut du courage et de l'audace. Redéployer l'industrie en la décarbonant signifie augmenter le besoin en électricité et donc la création d'infrastructures telles que des lignes de haute tension. Cela signifie aussi investir massivement, ce que le public ne peut pas faire seul. L'accompagnement financier du privé est essentiel pour faire éclore des projets industriels.

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Le bassin de Lacq en plein développement

Les chiffres donneraient presque le tournis : pas moins de quatre milliards d'euros d'investissements sont annoncés dans le Béarn, autour de Pau et Tarbes, d'ici 2027. Le projet le plus important, deux milliards d'euros au total, est porté par Elyse Energy qui compte produire des carburants verts, notamment pour les avions, à partir de 2027. Ce ne sont pas uniquement les derniers venus, dont Alpha-Chitin produisant depuis 2023 une bio-ressource à partir de larves et de champignons, qui se développent à Lacq. Le japonais Toray, présent depuis quarante ans, vient également de lancer la construction de sa sixième ligne de production de fibre de carbone à Abidos, qui devrait entrer en service en 2025.

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Commentaire 1
à écrit le 17/01/2024 à 9:29
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Oui, disons surtout qu'il faut réussir à chercher des sous tandis que le secteur privé est complètement incompétent et qu'en plus il monopolise la plupart des financements publics pour être complètement incompétent.

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