La batterie européenne au défi de concilier compétitivité et durabilité

Nouveaux éléments chimiques, réglementations environnementales, recyclabilité : la filière batterie européenne fait face à des exigences et des opportunités capitales pour son développement. Derrière la course à l'innovation se joue une bataille géostratégique où l'Europe porte la délicate ambition d'articuler compétitivité et durabilité.
Maxime Giraudeau
La filière européenne de la batterie planche sur de nombreux programmes de recherche pour gagner en compétitivité, comme dans le centre Saft de Bordeaux.
La filière européenne de la batterie planche sur de nombreux programmes de recherche pour gagner en compétitivité, comme dans le centre Saft de Bordeaux. (Crédits : Agence APPA / Sébastien Ortola)

C'est une filière sous tension alternative. En Europe, les décideurs misent largement sur le potentiel de l'industrie de la batterie pour décarboner la société, en immense partie dans le secteur des transports responsable de 23 % des émission de CO2 sur le continent (Eurostat). Mais les règles du jeu politique et économique ne jouent pas en sa faveur pour acquérir une compétitivité sur un marché mondial. Si toute la chaîne de production est mobilisée, une équation demeure irrésolue.

« Il est aujourd'hui très difficile pour les industriels d'associer performance environnementale, garanties sociales et viabilité économique », pointe Eliana Quartarone, professeur du département chimie de l'université de Pavie. Ces mots prononcés durant les Battery innovation days, qui ont eu lieu à Bordeaux ces 14 et 15 novembre, reflètent bien les interrogations et défis de la filière réunie sur l'événement. Comment l'Europe va-t-elle pouvoir se démarquer sur un marché où elle est moins compétitive que la Chine ? Peut-être en misant sur l'innovation.

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Le sodium souverain

Si le lithium-ion constitue l'élément chimique dominant parmi les technologies utilisées, les recherches menées sur le sodium sont porteuses d'espoir. « Après des premières recherches dans les années 1970, un regain d'intérêt sur le sodium-ion s'est manifesté au début des années 2010 quand une tension est apparue autour du lithium », explique Laurence Croguennec, directrice de recherche au CNRS. Certains industriels en attendent, selon les applications, des propriétés dont découlent plus de sécurité, un meilleur temps de charge ou encore une plus longue durée de vie. Avec un intérêt particulier pour les petits objets électriques ou la micro-mobilité. Les recherches françaises ont notamment abouti en 2016 à la création de la startup Tiamat, qui envisage de lancer une gigafactory de la batterie sodium-ion en 2025. Tel un adieu au lithium ? Non.

« On ne peut pas mettre les deux technologies en concurrence, la technologie sodium-ion a démontré ses performances, ses avantages en terme de disponibilité des éléments et qu'elle pouvait remplacer le lithium pour de nombreuses applications. Elle permettra de répondre à une demande toujours plus grande », remarque la chercheuse. D'un point de vue géostratégique, c'est une autre histoire. Le sodium est particulièrement abondant dans l'eau de mer alors que les ressources mondiales de lithium se concentrent en Amérique du Sud, en Australie, aux États-Unis et en Chine. Autrement dit, c'est pour l'Europe l'occasion d'acquérir un approvisionnement souverain.

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Trouver le chemin de la circularité

Tant sur la partie production que sur la partie recherche, le Vieux continent peut d'ailleurs compter sur ses poids lourds. Les constructeurs automobiles, les avionneurs comme les fabricants de batteries financent des projets d'innovation pour répondre aux besoins croissants et spécifiques des secteurs. C'est le cas de Saft qui concentre toutes ses activités recherche sur son site de Bordeaux, pour les marchés aéronautique et ferroviaire principalement.

Et, comme pour ses concurrents, les priorités de développement tiennent dans quatre caractéristiques cruciales : « augmenter la densité d'énergie, la durée de vie, la sécurité et réduire les coûts », pointe Patrick Bernard, directeur recherche chez Saft. L'industriel conçoit des batteries dites stationnaires - en opposition aux batteries motrices - composées de lithium ou de nickel-cadmium. Des éléments mis sous tension par la bataille des ressources et qu'il est donc crucial de sécuriser. Saft œuvre ainsi avec une usine sœur basée en Suède et capable de recycler les composants chimiques. Une circularité cruciale aussi pour limiter l'impact environnemental.

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Batteries et polluants éternels

La durabilité est d'ailleurs le domaine où l'Europe veut exceller. Mais à un tel point qu'elle pourrait brider son industrie. Suite aux nombreuses alertes d'élus et d'organisations, la Commission Européenne envisage de proscrire l'utilisation des Pfas, ces « polluants éternels » dont les effets dévastateurs sur la santé environnementale et humaine est avérée, entre risque de cancers et contamination de l'eau. L'interdiction sera-t-elle totale ou partielle pour les secteurs d'activité alors que 97 % de l'exposition est due à l'alimentation ? C'est toute la préoccupation de la filière batteries, très gourmande en Pfas (PVDF et PTFE en l'occurrence) qui lui permettent de stabiliser l'électrochimie des cellules.

« Être durable peut représenter un avantage compétitif et on le promeut. Mais en se passant des Pfas on sera moins compétitifs car si on les supprime aujourd'hui, la durée de vie d'une batterie sera divisée par deux ! », agite Claude Chanson, directeur général de Recharge, l'association européenne des industriels de la filière. Selon lui, la recherche n'est pas mature pour lancer une réglementation. « Ça fait plus de dix ans que l'on travaille à trouver une alternative et on n'a pas trouvé. On ne voit pas pourquoi on éliminerait un risque qui est maîtrisé dans notre filière », rajoute-t-il pour La Tribune, juste après un débat passionné avec un représentant de la Commission Européenne.

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Il paraît pourtant opportun d'initier une réglementation et de chercher une alternative avant que la production de batteries ne se massifie pour de bon. Mais dans le même temps, ce passage à l'échelle ne pourra être viable qu'à la condition d'être le plus compétitif possible face à une concurrence asiatique et américaine si bien organisée. Le lobbyisme des industriels s'annonce intense à Bruxelles, alors que d'autres réglementations européennes arrivent. D'ici 2025, des seuils de composants nocifs à ne pas dépasser seront imposés aux fabricants. En 2027, les consommateurs auront la possibilité de remplacer la batterie de leur téléphone. Des évolutions de bon sens et pourtant précurseurs à l'aune d'un marché global.

Maxime Giraudeau

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Commentaire 1
à écrit le 17/11/2023 à 19:44
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Dans les piles à combustible, il me semble qu'il y a aussi des PFAS sous forme de membrane Nafion. Pas facile d'être écologiste niveau énergies électriques (batteries de voiture, pile à combustible, etc), à part la production.

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