L'aviation légère rêve de dessertes régionales et d'électrification

DÉCRYPTAGE. Alors que des lignes aériennes intérieures ferment, l'aviation légère lie son avenir à celui de la mobilité régionale. La décarbonation des avions de moins de 19 places pourrait bien leur offrir un bol d'air inespéré ainsi qu'aux petits aéroports qui maillent l'Hexagone. Mais même si la demande est au rendez-vous, il faudra réussir à mobiliser tous les acteurs - constructeurs, aéroports et énergéticiens - pour viser des lignes régionales électriques à l'horizon 2030-2035.
Développé conjointement par Daher, Safran et Airbus, l'Ecopulse a réussi son premier vol d'essai début décembre. Ce démonstrateur doit permettre de faire voler dès 2027 un avion hybride-électrique. Il est ici stationné à l'aéroport de Pau.
Développé conjointement par Daher, Safran et Airbus, l'Ecopulse a réussi son premier vol d'essai début décembre. Ce démonstrateur doit permettre de faire voler dès 2027 un avion hybride-électrique. Il est ici stationné à l'aéroport de Pau. (Crédits : PC / La Tribune)

Les sommets pyrénéens sont enneigés mais sur le tarmac de l'aéroport de Pau, ce sont bien les carlingues colorées qui scintillent sous le soleil hivernal de ce mois de décembre. Le bleu vif du démonstrateur électrique Ecopulse de Daher, Airbus et Safran répond au rouge rutilant de l'Intregal S d'Aura Aero et au biplace turquoise d'Elixir Aircraft. Ne manque à l'appel que le Cassio 1, de VoltAero, qui n'a pas pu venir à cause de la météo. Quant au futur avion régional hybride-électrique 19 places d'Aura Aero, il n'est bien sûr pas encore prêt malgré déjà pas loin de 500 pré-commandes. C'est pourtant bien ce segment de l'aviation légère, qui regroupe les aéronefs de moins de 20 places, qui était dans les têtes des 150 professionnels réunis aux Green Aéro Days les 6 et 7 décembre pour esquisser les contours et les limites d'un nouveau marché aérien régional.

« Carburants durables (SAF), carburants de synthèse, moteurs hybrides, électriques ou à hydrogène : la décarbonation de l'aviation prendra plusieurs voies successives mais elle commencera à coup sûr par l'aviation légère, jure ainsi Nicolas Patriarche, le président du syndicat mixte de l'aéroport de Pau. Ces avions ont des coûts de développements moins élevés et des processus de certifications moins lourds. » Deux qualités qui pourraient leur conférer un rôle de premier plan dans la mobilité inter-régionale de demain qui sera, nécessairement, « décarbonée ». De quoi ouvrir un nouveau marché assimilé à une bouffée d'oxygène pour un transport aérien régional en berne quand il n'est pas tout simplement à l'arrêt. Et l'agilité de ces appareils sur pistes courtes, leurs énergies vertes et leur moteurs bien plus silencieux que leurs homologues thermiques, sont autant d'atouts pour séduire les riverains et élus des aérodromes et aéroports secondaires.

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« Un potentiel de 6.000 liaisons aériennes »

Mais de quoi parle-t-on exactement ? « D'un potentiel de 6.000 liaisons aériennes, rien qu'en France ! », assure Marion Verdier. Convaincue que « ces avions décarbonés vont entraîner une émulation du transport aérien régional », la directrice du cabinet de conseil Step s'est attachée à quantifier ce futur marché. Le résultat c'est un maillage de 140 aéroports et aérodromes en France métropolitaine susceptibles d'accueillir des trajets de 200 à 400 km mobilisant un parc d'environ 400 appareils.

Aura Aéro

L'Intégral S de l'entreprise toulousaine Aura Aéro sur le tarmac de l'aéroport de Pau (crédits : PC / La Tribune).

Compte tenu de la concurrence de la voiture, du train et de l'aviation commerciale classique, « il faut viser un coût de 500 euros pour trois passagers pour être à la fois rentable et compétitif. C'est faisable à condition d'avoir suffisamment de rotations », précise Marion Verdier qui quantifie le marché à horizon 2035 à « environ deux millions de passagers annuels, soit 600 millions de voyageurs-kilomètres ». Autant dire une paille en comparaison des 870 milliards de voyageurs-kilomètres comptabilisés en France en 2021.

Mais c'est aussi un volume suffisant pour décider de la seconde vie voire de la survie de nombreuses plateformes secondaires. « Cette aviation intra ou inter-régionale permettra de multiplier les vols directs pour des trajets de 400 à 600 km pour lesquels l'aviation civile classique est soit trop chère soit inacceptable d'un point de vue climatique, abonde Jérôme Le Bris, directeur d'Air'Py Aéroport Pau Pyrénées. Le patron de cette plateforme dont le trafic est encore inférieur de 40 % à l'avant Covid verrait ainsi d'un très bon œil « de nouvelles liaisons, par exemple, vers Marseille, Nantes, Rennes, Clermont-Ferrand, Poitiers ou Perpignan avec des vols réguliers ou à la demande. »

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Car l'objectif est bien là : occuper ces liaisons régionales transversales délaissées par le train comme par les compagnies aériennes et venir en appui des grands aéroports pour offrir des dessertes point à point, sur le principe d'un taxi volant, permettant de rallier rapidement un aéroport de premier plan. « Aujourd'hui des lignes ferment car elles ne sont pas assez rentables mais un trajet Brest-Nantes, par exemple, c'est 40 minutes en avion électrique contre plus de 3h en voiture ou en train », relaie également Guillaume Abeguilé, de la société bretonne Green Aerolease. « Et les petites plateformes ont vraiment une carte à jouer car pour ces vols de 30 ou 40 minutes, il est impératif d'avoir des temps de contrôle et d'embarquement qui ne dépassent pas 20 minutes. Ce que les grands aéroports semblent incapables de proposer en l'état », souligne Jean-François Guitard, le directeur externe des aéroports de la Côte d'Azur.

Un enjeu de calendrier

Et si l'avion électrique est aujourd'hui un tropisme très européen et particulièrement dynamique dans le Sud-Ouest de la France, ce marché régional se déploiera aussi à l'international. Mais ce nouveau paysage mettra encore quelques années à se dessiner : la certification des premiers aéronefs électriques étant attendue pour 2027-2028, les premières lignes commerciales régionales pourraient apparaître en 2030 au plus tôt puis s'affirmer à l'horizon 2035.

Elixir Aircraft

Elixir Aircraft teste une turbine compatible avec 100 % de SAF (sustainable air fuel). (crédits : PC /La Tribune).

« Il y a une vraie question de calendrier alors qu'on voit déjà des aéroport et aérodromes fermer, alerte cependant Jean-François Guitard. Or, soyons clair, quand un aéroport ferme aujourd'hui en France c'est un aller-simple, il n'y aura pas de retour en arrière ! » À Maubeuge (Nord), Oyonnax (Ain) ou encore Sallanches (Haute-Savoie), les aérodromes n'auront pas la possibilité de tenter leur chance sur ce nouveau marché puisque leur fermeture est d'ores-et-déjà actée par des collectivités à la recherche de leurs précieux hectares de foncier déjà artificialisés.

Des aéroports producteurs d'énergie

En Charente-Maritime, l'aérodrome de Jonzac, s'inscrit dans la trajectoire inverse, décidé à se dessiner un avenir. Rebaptisé Aéropole Antoine de Saint-Exupéry, la plateforme dispose désormais d'une piste en dur de 1.400 mètres permettant d'accueillir des vols d'entraînement de l'école de pilote d'Airbus, de l'aviation d'affaires et même de servir de base secondaire contre les feux de forêts. « La desserte régionale, des saut de puce ou même du tourisme entre les vignobles du Bordelais et du Cognaçais sont autant de briques potentielles de croissance pour nous et pour l'aérodrome voisin de Libourne. Et pour cela on réfléchit aussi à la question du multi-énergies », considère Jannick Aubier, la cheffe de projet de l'aéropole.

Car au-delà de l'offre et de la demande, l'énergie ou plutôt les énergies constituent un point clé pour alimenter ce futur marché alors que certains grands aéroports régionaux se mettent au SAF, comme à Bordeaux, ou à l'hydrogène, comme à Toulouse. « Aujourd'hui, si vous avez des bornes de recharge électrique, vous n'avez pas d'avion à charger. Tout l'enjeu sera donc de savoir quand opérer la bascule vers le multi-énergies avec d'abord des bornes électriques puis de l'hydrogène », Eric Giraud, directeur d'Aerospace Valley. Mais se posera aussi la question de l'alimentation de ces bornes et la bonne nouvelle c'est que beaucoup d'aérodromes ont du foncier disponible. À Saint-Tropez (Var), Jean-François Guitard prévoit ainsi de déployer des panneaux photovoltaïques sur six hectares pour produire et éventuellement stocker 6 GW. « C'est pour nous la première des priorités : si on n'a pas le courant, on ne pourra pas charger les avions ! »

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Voltaero Cassio 1

Le Cassio 1 construit par Voltaéro en Charente-Maritime (crédits : Voltaéro).

Quid des infrastructures au sol ?

Et si tout le monde a bien conscience que les énergéticiens et les collectivités locales vont devoir se mobiliser pour permettre à ce marché de voir le jour, certains craignent que cela ne prenne trop de temps. « Pour nous, les infrastructures au sol sont un risque clairement identifié, avertit Arthur Grunwald, le directeur des programmes de Voltaéro. On apporte une solution mais si l'écosystème n'est pas au rendez-vous ça ne fonctionnera pas et, pour l'instant, on a le sentiment que les énergéticiens et les aéroports ne se saisissent pas suffisamment de l'enjeu. » À tel point que le constructeur charentais-maritime fabrique ses propres chargeurs et envisage de fournir un service clef en mains aux petits aéroports.

D'autant que, contrairement au kérosène, carburant universel ou presque, la montée en puissance de la recharge électrique puis hydrogène posera d'innombrables questions sur le terrain juridique et de la sécurité. « Aujourd'hui il n'y a pas de standards de charge, pas de normes de sécurité ou de distance, pas de qualification pour les personnels au sol, tout cela reste à faire et on craint que les avions électriques n'arrivent avant les infrastructures », poursuit Arthur Grunwald alors que le premier vol du Cassio 330 est envisagé pour la fin 2024. Mais Jérôme Le Bris tempère ses inquiétudes : « L'enjeu du multi-énergies est réel mais c'est parfaitement logique d'attendre d'avoir une demande tangible pour investir dans les infrastructures au sol, c'était le cas pour les voitures électriques et ça le sera aussi probablement pour les avions, je ne suis pas inquiet. »

Vers des flottes d'avions opérés par les Régions ?

Les collectivités actionnaires des aéroports sont donc explicitement appelées à se mobiliser : « Le nombre de rotations et le coût réel de ces dessertes régionales pour l'usager dépendront grandement de la politique des collectivités locales et de leurs aéroports », souligne Marion Verdier. Et les conseils régionaux pourraient même devenir des opérateurs aériens. C'est en tous cas le pari de la société Green Aérolease qui prévoit de louer des flottes d'avions électriques à des grands groupes, des groupements de PME ou aux pouvoirs publics : « Les Régions pourraient tout à fait opérer demain des flottes d'avions électriques pour opérer des liaisons régionales ou inter-régionales. Pour certaines liaisons, ce sera plus efficace et moins coûteux », assure ainsi Guillaume Abeguilé, le responsable de l'aviation décarboné chez Green Aerolease.

Il reste à savoir si les élus répondront présents. On retiendra qu'Alain Rousset, le président de la Région Nouvelle-Aquitaine, a fait le déplacement jusqu'à Pau pour participer aux Green Aérodays. Avec douze départements et près de 600 km du Nord au Sud, la Nouvelle-Aquitaine constituerait un terrain d'expérimentation tout trouvé pour ces nouvelles mobilités.

Motoplaneur solaire

Imaginé par l'ingénieur Jean-Baptiste Loiselet, le motoplaneur solaire SolEx est équipé d'une hélice rétractable (crédits : PC / La Tribune).

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Commentaire 1
à écrit le 02/01/2024 à 11:51
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L'avion électrique transformera les liaisons courte distance, mais le développement de ces nouvelles liaisons doit se faire par le secteur privé, pas par les pouvoirs publics qui peuvent par contre y aider.

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