Énergie : « L'industrie fait face à des surcoûts impossibles à surmonter » (Eric Trappier, UIMM)

INTERVIEW. "Des pans entiers de l'industrie pourraient être menacés, il faut un bouclier tarifaire pour les protéger", alerte Eric Trappier, le président de l'UIMM (Union des industries et des métiers de la métallurgie). Main d’œuvre, matières premières et coûts de l'énergie : de passage à Bordeaux pour visiter les sites de formation de la Maison de l'industrie, le patron de Dassault Aviation revient sur les tensions qui menacent le mouvement de réindustrialisation du territoire.
Eric Trappier, le président de l'UIMM, en déplacement à Bordeaux le 27 septembre 2023.
Eric Trappier, le président de l'UIMM, en déplacement à Bordeaux le 27 septembre 2023. (Crédits : PC / La Tribune)

LA TRIBUNE - Quel est votre degré d'inquiétude quant à la capacité de résistance des entreprises de l'industrie et de la métallurgie ?

Eric TRAPPIER - Le quoi qu'il en coûte nous a permis de traverser la crise du Covid sans trop de casse et on pensait pouvoir redémarrer quand, patatras, une deuxième crise tout aussi sérieuse, et peut-être encore plus dramatique dans son essence, nous tombe dessus avec le retour de la guerre en Europe. Cette nouvelle crise touche un tissu industriel qui est déjà fragilisé même s'il était reparti de l'avant dans un mouvement de relance, de numérisation et de modernisation. Dans ce cadre, le remboursement des prêts garantis par l'Etat (PGE) et la hausse de la production entraîne un besoin supplémentaire de fonds de roulement alors même que l'inflation augmente le coût de l'argent et que le tarif de l'énergie explose. La flambée des prix de l'énergie place les entreprises industrielles face à des surcoûts impossibles à surmonter. C'est le sujet numéro un de préoccupation de nos PME partout en France et les remontées du terrain traduisent beaucoup d'inquiétude des entreprises.

Qu'en est-il pour les sous-traitants tout au long de la supply chain aéronautique ?

Nous avons des outils pour nous serrer les coudes et nous soutenir. On a conservé la watch tower, la cellule de vigilance, créée pendant le Covid pour vérifier qu'il n'y a pas d'écroulement de la chaîne de sous-traitant. Par ailleurs, le fonds de soutien de près d'un milliard d'euros mis sur pied pendant le Covid nous permet aussi de pouvoir mobiliser au total deux milliards d'euros pour soutenir les entreprises qui ont le plus de difficulté, y compris par un apport en fonds propres si nécessaire. L'aéronautique est donc bien outillée mais ça peut être plus difficile pour d'autres filières industrielles. En réalité, il y a des pans entiers de l'industrie qui pourraient être menacés, il faut un bouclier tarifaire pour les protéger sinon il y a un vrai risque de casser la dynamique de réindustrialisation.

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Concernant les prix de l'énergie, quelles sont les solutions envisagées ?

Il faut trouver la bonne mécanique au niveau européen. Le Medef s'est exprimé sur le sujet et nous sommes assez en phase avec cette proposition de caper le prix du gaz, surtout le gaz qui sert à produire de l'électricité, comme cela a été fait en Espagne et au Portugal. J'ai le sentiment que la Commission européenne et le gouvernement ont bien compris les enjeux, il faut maintenant trouver la bonne formule sans décider d'un plafond qui empêche d'acheter du gaz à d'autres fournisseurs, notamment de GNL qui coûte plus cher.

Avez-vous pu quantifier l'ampleur des arrêts ou baisses de production dans les secteurs industriels les plus électro-intensifs ?

Non, pas encore précisément. Dans les fonderies, les forges, les verreries, les tuileries on sait qu'il y a des entreprises qui ne sont pas loin de mettre la clef sous la porte ou, en tous cas, qui stoppent leur production le temps que les prix de l'énergie baissent. Cela a des conséquences en cascade sur le reste de la chaîne de production.

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Chez Dassault Aviation, avez-vous pu sécuriser vos approvisionnements pour alimenter votre montée en cadence ?

On a sécurisé la chaîne d'approvisionnement, notamment le titane, mais c'est une sécurité qui est en réalité toute relative puisqu'on parle d'un ou deux ans. Mais pour l'instant ça tient et nous avons réussi à augmenter la cadence de production des Falcon et à tripler la cadence de fabrication des Rafale. On était en 2020 en capacité de construire un Rafale par mois et nous sommes aujourd'hui à trois par mois. Donc, c'est aussi la preuve que nous savons répondre à la demande d'une économie de guerre.

Qu'en est-il de l'attractivité de la filière pour attirer suffisamment de nouveaux salariés dans l'industrie ?

Tout le monde est en tension sur ce sujet ! Mais les plus grandes entreprises, comme Dassault Aviation, Airbus, Safran, Thales, restent attractives parce que ce n'est pas la mine et qu'il y a beaucoup d'avantages ! Dans la supply chain, en revanche, c'est souvent plus compliqué parce qu'il y a moins d'avantages et souvent des salaires inférieurs. Et c'est un sujet pour nous puisque nous sommes en bout de chaîne et nous subissons donc les retards s'il y en a. Il faut donc continuer à former les jeunes en apprentissage et les demandeurs d'emplois et à attirer davantage de femmes dans nos métiers.

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Notre industrie est encore à risque dans la compétition mondiale. Il y a une vraie prise de conscience de l'importance de l'industrie, il faut mesurer cet effort dans la durée. On a de vrais atouts : une bonne main d'œuvre et des savoir-faire anciens et modernisés dans des secteurs qui fonctionnent bien tels que l'aéronautique, l'automobile, l'électronique. On a aussi le meilleur système social du monde mais aussi le plus cher donc il faut pouvoir se le payer en gagnant en compétitivité. Pour cela il faut amplifier le soutien à l'innovation et la baisse de la fiscalité de production.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit 43,9 milliards d'euros pour le ministère des Armées, hors pensions et budget des anciens combattants, soit trois milliards de plus qu'en 2022. Êtes-vous rassuré par ces arbitrages ?

Je n'ai pas de commentaire à faire ce stade, c'est un peu tôt, si ce n'est qu'il me semble normal et cohérent que le budget de la défense soit renforcé puisque nous sommes en économie de guerre et que nous avons besoin de soutenir nos partenaires et de massifier les armées françaises. Il faut donc pouvoir fabriquer des équipements sans oblitérer la préparation du futur.

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Commentaires 6
à écrit le 29/09/2022 à 22:17
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Le lobby francais nucléaire a résisté tout alternatif et le pays se trouve donc maintenant dans un trou. Et ils veulent continuer à construire des réacteurs pour la bagatelle de 10 milliards chacun (au moins), donc 6,25€ le W pour construction de la ...

à écrit le 29/09/2022 à 13:22
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Bonjour, Je reste toujours étonné depuis 30 ans de l'absence de recherche de ressources énergétiques des entreprises, rares sont les toits couverts de panneaux solaires, d'éoliennes à axe vertical, de chaudières à cogeneration. Si ça semblait farfe...

à écrit le 29/09/2022 à 10:10
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Cette année est exceptionnelle à cause du choc de la guerre en Ukraine. Si les coûts ne deviennent pas plus supportables à moyen terme, il faudra faire un choix : 1) ou bien fermer une partie des entreprises structurellement non compétitives en Franc...

à écrit le 29/09/2022 à 9:55
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La matière première d'une économie, c'est l'énergie : informatique, transport, télécoms, production... Il aurait fallu que nos gouvernements consolident au moins cette ressource vitale. Mais non ! Aveuglés par l'obscurantisme des Lumières, et convain...

le 29/09/2022 à 12:28
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Vous oubliez ou ignorez que la matière grise est certainement la plus important des matières premières , aujourd'hui encore plus qu'hier !!!

le 29/09/2022 à 13:02
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La matière grise est une ressource dont tous les pays disposent, à moins de croire en une supériorité naturelle des cerveaux occidentaux. En délocalisant nos industries, nous avons aussi délocalisé nos compétences, donc la matière grise. On ne peut p...

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