LA TRIBUNE - La flambée des prix de l'énergie entraîne une prise de conscience sur l'urgence de s'engager dans la sobriété énergétique. Comment ce sujet est-il envisagé par le Baas ?
Gilles FONBLANC - La filière aéronautique, spatial, défense (ASD) répond depuis sa création à des enjeux de société très forts tels que la souveraineté, la communication ou encore la mobilité. Aujourd'hui, le défi majeur c'est celui du réchauffement climatique et de la mobilité décarbonée et nous y travaillons déjà depuis plusieurs années. Nous faisons des efforts sur la réduction de nos émissions de CO2 mais, c'est vrai, il reste beaucoup de choses à faire. On ne peut pas juste se satisfaire de ce qui a été fait, nous devons amplifier nos actions ! Dans cette logique, je sui convaincu que les défis industriels et environnementaux qui sont devant nous sont les deux faces d'une même pièce sur lesquelles il faut travailler simultanément.
Ce défi de l'avion décarboné n'est pas envisagé avant au moins dix ans, dans le meilleur des cas. Or, la crise énergétique risque de se matérialiser durement dans les prochains mois, voire les prochaines semaines. Comment faire face à cette menace ?
La Première ministre nous a demandé de déployer des plans d'économies d'énergie pour réduire de 10 % notre consommation. Nous allons le faire et, ces dernières années, nos adhérents ont déjà mis en œuvre des plans de réduction d'énergie pour poursuivre à la fois des objectifs économiques et environnementaux. ArianeGroup, par exemple, a visé une réduction de sa consommation énergétique de -20 % en 2022 par rapport à 2016. Mais aujourd'hui il y a une accélération, une amplification de cet enjeu lié au coût de l'énergie, avec un facteur 10 ou 15 par rapport aux prix pratiqués il y a un an !
Cette nouvelle priorité s'impose donc à toutes les entreprises de la filière et toutes les entreprises industrielles dans les semaines à venir. On le sait, ça va être compliqué. Il va falloir fonctionner autrement, modifier l'organisation du travail, modifier la nature des énergies que nous utilisons en allant vers le renouvelable, notamment le photovoltaïque et la biomasse... Il faut initier des actions à court, moyen et long terme. C'est aujourd'hui un sujet de premier niveau pour nos entreprises, comparable à la gestion de la pandémie en 2020.
Craignez-vous réellement l'hypothèse de rationnements d'électricité ou de délestages qui viendrait ralentir voire stopper l'activité ?
L'objectif principal c'est d'éviter absolument les délestages électriques ! Pour cela nous allons élaborer des plans d'économies d'énergie d'ici la fin du mois de septembre et le gouvernement précisera début octobre le cadre pour la suite. Mais il faut à tout prix éviter des impacts économiques sur notre activité, c'est la top priorité !
Justement, dans ce contexte particulier, comment se porte l'activité des entreprises aérospatiales de la région ?
Sur l'aéronautique civile, les niveaux de commande d'Airbus et de Boeing ont redémarré fortement dès le début de l'année 2021 avec des conséquences positives pour toute la supply chain. Mais le redémarrage est compliqué : Airbus prévoit désormais de ne livrer que 700 appareils sur l'année et a été contraint de repousser de six mois son objectif de production de 65 A320 Neo par mois. Sur la partie défense, les niveaux de commande restent élevés avec une tendance très positive initiée, notamment, avec les commandes de Rafale fin 2021. Enfin, sur le spatial, le marché des lanceurs est très dynamique avec de nouveaux lanceurs qui arrivent en Europe et aux Etats-Unis et on sent un renouveau du spatial, un véritable engouement autour du télescope James Webb ou encore la mission Artemis. Et tout cela mobilise les entreprises du spatial en France et en Nouvelle-Aquitaine.
Au total, l'enjeu pour la filière est donc d'arriver à tenir ces cadences dans un contexte où la chaîne d'approvisionnement a été excessivement secouée et désorganisée ces dernières années par la crise sanitaire et les tensions géopolitiques. L'objectif est d'arriver collectivement à livrer à l'heure l'ensemble des composants avec la qualité et la quantité attendues. Et cela met sous tension l'ensemble de la supply chain aéronautique et spatiale.
Dans certains secteurs, comme l'automobile, la pénurie de semi-conducteurs entraîne la mise à l'arrêt de certains sites comme l'usine de Stellantis à Sochaux. Est-ce le cas dans l'aéronautique et le spatial ?
Nous sommes moins dépendants de semi-conducteurs venant de Chine et nous travaillons davantage sur des cycles long de développement et de production. Cela suppose des politiques d'approvisionnement construite dans la durée avec, peut-être, davantage d'anticipation. Donc, au total, nous sommes moins exposés sur cet aspect. Et sur d'autres matières premières stratégiques pour nous comme le titane, la filière s'est rapidement organisée pour face et s'approvisionner autrement.
En plus de la gestion des composants, la filière fait aussi face à des difficultés de recrutement et des demandes d'augmentation salariales justifiées par l'inflation. Quel est l'ampleur du problème ?
Le secteur aérospatial reste un secteur qui attire et qui fait rêver mais les difficultés de recrutement sont en effet une réalité. Du côté du Baas, on a tout fait pendant la pandémie pour maintenir les stages et l'apprentissage chez les jeunes pour être prêts à redémarrer ensuite. Les réponses au changement climatique viendront de l'innovation et donc cela implique d'attirer et de conserver les meilleurs salariés dans nos entreprises. On travaille donc à valoriser tous nos métiers auprès des jeunes, dès le collège et le lycée, et à donner de la visibilité et des raisons de rester à nos salariés.
Il ne faudrait pas ajouter à la crise énergétique et environnementale une crise économique à cause d'une pénurie de talents. On voit qu'il y a eu ces derniers mois des mouvements sociaux dans plusieurs entreprises pour des hausses salariales et cela va continuer avec l'inflation qui est autour de 6 % sur un an en France.
L'usage des jets privés a fait l'objet d'une polémique il y a quelques jours. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Quand on regarde l'impact de l'aviation dans les émissions globales de CO2 c'est environ 2 % tandis que l'impact de l'aviation d'affaires ne pèse que 0,04 %. C'est donc très faible. Mais je suis convaincu qu'on ne peut pas se contenter de dire cela parce que même si c'est faible il faut agir et que tout le monde doit faire des efforts, d'autant que ce sujet porte une forte dimension symbolique. Je rappelle cependant que la filière aéronautique, et donc l'aviation d'affaires, s'est engagée depuis plusieurs années dans les économies d'énergie et dans les carburants durable (SAF). Et l'aviation d'affaires c'est 80 % de vols professionnels et 20 % de vols gouvernementaux, sanitaires et privés.
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