"On est en plein dans le calme avant la tempête" Jean-Marie Picot

"L'activité du tribunal décroît statistiquement [...] Comme si le Covid avait amélioré la situation générale... Mais nous savons qu'il n'en est rien !" La mise garde de Jean-Marie Picot, le président du tribunal de commerce de Bordeaux, est limpide. Dans une interview à La Tribune, il appelle les chefs d'entreprises en difficultés à ne pas se voiler la face et agir dès aujourd'hui pour ne pas subir la tempête économique promise pour 2021.
Jean-Marie Picot préside le tribunal de commerce de Bordeaux depuis décembre 2019.
Jean-Marie Picot préside le tribunal de commerce de Bordeaux depuis décembre 2019. (Crédits : Agence Appa)

LA TRIBUNE - Après le déconfinement, vous expliquiez vous attendre à une fin d'année "très dure" sur le plan économique. Où en est-on à la mi-octobre ?

JEAN-MARIE PICOT - Depuis le mois de juin, j'ai constaté à Bordeaux, comme dans tous les tribunaux de commerce de France, une évolution mais dans le sens contraire. C'est-à-dire qu'on a le sentiment d'être en plein dans cette période calme avant la tempête. On a moins d'instances en contentieux général, moins en référés et moins en dépôts de bilan. L'activité décroît statistiquement, ce qui est aussi lié au fait au fait que l'Urssaf n'assigne plus. Aujourd'hui, on est donc plutôt autour de douze litiges en référé par semaine contre 45 après le déconfinement. Comme si le Covid avait amélioré la situation générale... Mais nous savons qu'il n'en est rien. Cela signifie donc que, pour l'instant, les mesures qui ont été prises permettent aux entreprises, au moins en trésorerie, de continuer à survivre.

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Est-on dans une forme de gel de l'économie, de mise sous perfusion ?

Nous savons qu'un apport de trésorerie ne fait pas une survie d'entreprise, en tous les cas pas durablement. Nous sommes donc obligés de constater que des entreprises qui sont nécessairement en difficultés, comme c'est le cas chaque année, ne se précipitent pas en ce moment pour venir tirer les conséquences de leurs difficultés économiques. Elles seraient probablement venues nous voir l'an dernier mais parce que l'an dernier elles n'auraient pas eu de prêt garanti par l'Etat ni les autres aides publiques liées au Covid. Mais quand vous ne pouvez plus payer vos fournisseurs et vos charges vous êtes en général amenés tôt ou tard à déposer le bilan et à entrer en procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Cette année ce n'est pas le cas ! Nous avons moins d'entreprises qui considèrent être en cessation de paiements et qui viennent se mettre sous la protection du tribunal.

L'année 2020 sera en France, pour tous les tribunaux de commerce, beaucoup moins chargée que d'ordinaire. Les entreprises ne considèrent pas qu'il est nécessaire de constater tout de suite leur état de santé réel. C'est un défaut d'anticipation qui m'inquiète énormément. Les entreprises viennent souvent au tribunal de commerce trop tard, quand elles sont en état de coma avancé...

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Dans le contexte actuel, cela peut aussi être analysé comme un signe d'espoir de ces chefs d'entreprises qui attendent trois ou six mois pour voir comment se portera l'économie et leur marché à ce moment-là...

Je suis d'accord avec vous mais seulement si ces entreprises se soignent. Si elles ne le font pas, je ne vois pas comment cela pourrait aller mieux. Je ne crois pas aux miracles ! Il y a en France beaucoup de structures qui viennent en aide aux entreprises en difficultés dont le tribunal de commerce qui dispose d'une cellule de prévention des difficultés. Je suis d'ailleurs en train d'adresser des convocations d'entreprises qui sont dans un état pitoyable aujourd'hui. Ces entreprises peuvent venir dialoguer avec un juge pour envisager les mesures à prendre afin de prévenir des difficultés plus importantes. Il y a des procédures de mandat ad hoc, de conciliation, etc... Elles ont certes un coût mais elles permettent de solder telle ou telle difficulté avec les fournisseurs, les organismes sociaux, les banques ou l'administration fiscale sans attendre une situation irrévocable.

Ces entreprises qui sont dans un état pitoyable. Quel est leur profil ?

A l'image de l'économie française, ce sont principalement des TPE et petites PME. Quelques-unes ont plus de 50 salariés. Il y a des entreprises de l'hôtellerie-restauration qui est un secteur que nous regardons de très près.

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Vous estimez qu'on se trouve dans le calme avant la tempête. Quand craignez-vous de voir se matérialiser cette tempête ?

Je pensais que ce serait en fin d'année 2020 mais on n'y est pas encore. C'est possible que le mois décembre soit plus compliqué sauf si l'Etat continue à injecter de l'argent public dans l'économie et dans les entreprises. Tant qu'il y aura de l'argent, il n'y aura pas d'excès de défaillances d'entreprises mais je ne suis pas certain que cela soit un remède. Ces aides ont constitué une action prophylactique urgente mais maintenant il faut en sortir parce qu'une entreprise ne peut pas vivre à crédit en permanence. Et quand on en sortira, il y aura de la casse, je ne vois pas comment on pourrait y échapper que ce soit dans trois ou six mois.

Avant l'arrivée de cette tempête économique, quel est le message que vous adressez aux chefs d'entreprises ?

Une entreprise qui ne va pas bien c'est comme un individu qui est malade. On peut nier la maladie et se dire qu'elle va se résoudre d'elle-même mais on conseille quand même en général d'aller voir un médecin ! Or, le médecin des entreprises c'est notamment le tribunal de commerce qui a les moyens d'accompagner les entreprises et de les aider à anticiper leurs difficultés. Il faut oublier les séries américaines : le tribunal de commerce n'est pas une cour d'assises, il est là pour aider les entrepreneurs, pour apaiser les tensions, pour réguler les problèmes que rencontrent les commerçants. Et il sait le faire depuis 1563 !

Face à la hausse attendue de l'activité dans les prochains moins, vous avez proposé au mois de juin, dans les colonnes de Sud Ouest, que "les facilités procédurales actuelles soient pérennisées afin de limiter les délais de plaidoiries". Une proposition qui n'a pas été bien accueillie par les avocats. Qu'en est-il aujourd'hui, le fonctionnement du tribunal de commerce va-t-il évoluer ?

Je ne souhaite pas revenir ni m'exprimer sur cet épisode pour ne pas nourrir de polémiques qui ne rendent service à personne. Le fonctionnement du tribunal de commerce ne change pas et, dans la majorité des cas les plus simples, les dossiers se font sans plaidoirie et sont mis en délibéré. Tout cela fonctionne bien : ceux qui veulent plaider le demandent et se voient fixer une date pour le faire. Je n'ai rien à ajouter sur ce sujet.

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