HelloAsso : "Il y a un modèle alternatif à la logique purement économique"

LE MONDE D'APRES. "Je ne veux pas d'une parenthèse et que tout redevienne comme avant. La crise doit faire évoluer les réflexes et les postures de chacun d'entre nous. Le lien social, le local, la solidarité sont des valeurs défendues depuis longtemps par le tissu associatif !" Dans un long entretien à La Tribune, Léa Thomassin, la présidente d'HelloAsso, revient sur les conséquences de la crise sanitaire et économique pour le monde associatif, sur le modèle économique atypique d'HelloAsso fondé sur le don et sur la trajectoire hors norme de cette entreprise, basée à Bordeaux, qui fête ses dix ans en 2020.
Léa Thomassin, au 1er rang, et une partie de l'équipe d'HelloAsso dans les locaux de l'entreprise à la Cité numérique, à Bègles.
Léa Thomassin, au 1er rang, et une partie de l'équipe d'HelloAsso dans les locaux de l'entreprise à la Cité numérique, à Bègles. (Crédits : Thibaud Moritz / Agence APPA)

LA TRIBUNE - Depuis fin 2019, vous êtes la présidente d'HelloAsso. une entreprise qui propose aux associations des services entièrement gratuits et ne fonctionne que grâce aux contributions volontaires des particuliers. Est-ce qu'au moment de créer HelloAsso avec Ismaël Le Mouël en 2010, vous espériez permettre aux associations de récolter plus de 200 M€ en dix ans ?

LÉA THOMASSIN - Absolument pas ! En mars 2009 quand on a décidé de se lancer dans ce projet c'était en utilisant des signatures d'e-mails solidaires. A ce moment-là, on n'avait aucune idée de là où on allait précisément. Pendant ces dix ans, il y a eu plusieurs phases très différentes à commencer par une traversée du désert pendant trois ans autour de ces signatures d'e-mails solidaires... Cette période a été très compliquée et on s'est retrouvé à deux doigts d'abandonner. Mais bien souvent on ne se rend pas compte à quel point on est proche du succès quand on pense à abandonner et, finalement, l'activité d'HelloAsso a vraiment démarrer dans les mois suivants. Ce qui nous a sauvés c'est la solidarité entre les trois associés de départ, la volonté commune de ne pas lâcher et le fait d'avoir rencontré quelques centaines d'associations qui nous ont fait évoluer en nous demandant des modules de dons en ligne. On a finalement mis en place cette solution en 2012.

C'est de là que date le réel démarrage de l'entreprise telle qu'on la connaît aujourd'hui ?

D'une certaine manière oui puisqu'en l'espace de quelques mois on a vu plus de 500 associations s'inscrire sur HelloAsso pour bénéficier de cet outil de collecte de dons en ligne. Dès le départ, il a été conçu avec un modèle de rémunération fondé sur un don supplémentaire au profit d'HelloAsso. Une idée inspirée des Etats-Unis qui n'existait pas en France. On a donc été des précurseurs et dix ans plus tard c'est encore un choix très rare par rapport au modèle classique des paiements lignes fondé sur des commissions. Donc à partir de 2013, on a pivoté pour se concentrer sur ce nouveau modèle en étoffant la solution avec beaucoup de développements informatiques : campagne de financement participatif, gestion des adhésions, gestion de la billetterie, etc.

A partir de fin 2017, un nouveau cap est franchi avec une levée de 6 M€ auprès du Crédit mutuel...

Oui, depuis 2013 on doublait chaque année notre activité en termes de sommes collectées et donc de chiffre d'affaires. Mais l'équipe est restée relativement stable avec une quinzaine de personnes fin 2017. Puis HelloAsso a connu un changement d'échelle avec 50 recrutements en 18 mois ! Cela s'est accompagné d'une professionnalisation de notre activité et d'une pérennisation de notre modèle. La logique n'était alors plus tant au développement qu'à la structuration de nos équipes et de notre activité. Il y avait une inquiétude réelle de perdre l'identité de l'entreprise avec l'arrivée de tous ces "nouveaux". On y a donc consacré beaucoup de temps pour éviter de perdre l'ADN de la structure voire même d'imploser. Tous les collaborateurs ont travaillé sur le thème "comment ne pas mettre notre âme" pour répondre à la question "qu'est-ce qui nous rend fier chez HelloAsso ?". Cela a permis en 18 mois de définir des valeurs et des principes de travail.

Tous ces sujets sont pour moi essentiels parce que je suis convaincue que la « dette technique », qui au fil du temps peut paralyser des systèmes de codes informatiques s'ils sont mal conçus au départ ou mal adaptés par la suite, s'applique aussi aux organisations. Et cette « dette organisationnelle » est encore plus importante ! Si l'entreprise se construit dès le départ sur de mauvaises base en termes d'organisation, de manières de travailler, de management alors c'est très dur de recomposer différemment derrière. Il faut donc évoluer, former les équipes et s'interroger en permanence.

Dix ans après la création d'HelloAsso, le monde associatif, dans sa diversité, s'est-il converti aux outils numériques ?

C'est un tissu très vivant et il y a eu en dix ans une appropriation colossale du numérique même s'il reste beaucoup d'inégalités parmi les 1,5 million d'associations qui existent en France. Il y a des associations nouvellement créées qui intègrent les outils numériques dès leur création de manière efficace et fluide. Et il y en a d'autres, souvent plus anciennes, qui ont plus de mal à s'y mettre avec parfois des écarts énormes dans la perception du numérique comme c'est le cas au sein de la population en général.

On observe deux temps forts de la vie associative : la vie étudiante et la retraite si bien que l'âge moyen du responsable associatif en France tourne autour de 62 ans ! On a donc une équipe dédiée pour les contacter et les accompagner. Depuis 2015, on a développé des cours en ligne mais aussi 25 sessions de formation un peu partout en France pour aller à la rencontre de ce public. On a ensuite développé le réseau Pana (points d'appui au numérique associatif) pour s'appuyer sur les acteurs locaux afin d'essaimer les usages numériques. Ce ne sont pas des cadors du digital mais des personnes référentes qui peuvent aiguiller et conseiller les personnes éloignées du numérique en répondant à des questions très simples et pratiques sur les blogs, les sites, les réseaux sociaux, les données en ligne, etc. Donc malgré les progrès réels, cette fracture numérique reste très saillante et représente un enjeu très important pour nous.

HelloAsso Léa Thomassin

Léa Thomassin (crédits : Thibaud Moritz / Agence APPA)

Quel rôle joue le tissu associatif dans la France d'aujourd'hui : celle des Gilets jaunes en 2019 et celle de la pandémie de Covid-19 en 2020 ?

Ces évènements sociaux, qui sont très différents, nous interpellent beaucoup parce qu'ils sont source d'énormément d'initiatives collectives et d'engagements spontanés sous des formes nouvelles. De ce point de vue, c'est extrêmement positif et rassurant ! A mon sens, le rôle du secteur associatif est de pérenniser ces engagements. Créer une association revient à écrire collectivement noir sur blanc un objet social qui réunit et une manière de travailler ensemble pour atteindre cet objet. C'est cela qui permet de formaliser un engagement et c'est essentiel.

Plus globalement, on est face à une remise en question globale des corps intermédiaires, syndicats comme associations, qui relèveraient selon certains d'un temps dépassé. A mon sens, c'est une erreur très dangereuse parce qu'il y a des associations aujourd'hui qui sont centenaires et qui jouent un rôle essentiel dans l'éducation populaire, l'action sociale, la culture, le sport, etc. Leur rôle est aujourd'hui vital dans notre société même si trop de personnes n'en ont pas forcément conscience. En réalité, 80 % des activités que l'on a en dehors du cadre professionnel ou scolaire relèvent d'acteurs associatifs : sports, loisirs, cultures, garderie, centres sociaux, prise en charge de la précarité, du handicap, des familles fragiles, etc. Le secteur associatif est omniprésent mais il est aussi tellement éclaté et constitué de petites structures qu'il n'a pas la visibilité, ni la capacité de communication que peuvent avoir d'autres acteurs économiques.

Craignez-vous une casse importante au sein du mouvement associatif à cause de la crise sanitaire et économique ?

Oui, cela pourrait être catastrophique, je le crains, puisque le secteur associatif est comme d'autres secteurs dans une situation d'urgence avec peu de moyens et de bénévoles et une logistique contrainte. Les associations font preuve de résilience et sont par nature ouvertes à de nouveaux enjeux, sujets et publics. Ces qualités sont primordiales aujourd'hui alors qu'on entre dans des mois qui vont être très compliqués avec beaucoup d'entreprises, d'associations et de personnes qui vont souffrir... Les associatifs sont habitués à fonctionner avec des bouts de ficelles et sont de ce point de vue assez résilients mais, dans le secteur du sport et de la culture notamment, si le confinement dure jusqu'au mois de septembre cela risque d'être dramatique pour beaucoup d'associations. Aujourd'hui, notamment dans l'action sociale, les associations cherchent des fonds pour protéger leurs bénévoles et poursuivre leurs actions.

De notre côté, nous restons opérationnels pour aider tous ces acteurs associatifs à passer la crise. L'enjeu immédiat est de leur fournir un outil simple de remboursement pour leurs évènements annulés, de leur proposer des formations en ligne aux outils digitaux pour continuer à fonctionner - 2.000 associations y ont déjà participé - et de leur permettre de collecter des fonds via la plateforme https://www.don-coronavirus.org/ que nous avons lancé avec des partenaires et sur laquelle nous avons déjà réuni plus de 2 M€. L'élan de solidarité est donc au rendez-vous et il est absolument nécessaire parce que les publics fragiles vont se démultiplier pendant et après la crise.

Vous évoquez le monde d'après la crise, comment l'envisagez-vous et avec quelle place pour le tissu associatif ?

Les dynamiques de coopération qui prévalent dans les associations sont porteuses d'espoir pour inventer de nouvelles formes de résilience et de solidarité face au modèle traditionnel qui s'épuise. Ce confinement qui s'installe dans la durée est l'occasion d'une prise de conscience individuelle et collective vis-à-vis de notions comme la santé, la générosité, la solidarité et le service public. Je note que le regard change sur les personnes qui sont aujourd'hui en première ligne.

J'espère que ce sentiment va se matérialiser par des soutiens financiers aux associations parce qu'elles auront un rôle essentiel dans la phase de reprise. Je ne veux pas d'une parenthèse et que tout redevienne comme avant : la crise doit faire évoluer les réflexes et les postures de chacun d'entre nous et le lien social, le local, la solidarité, les circuits courts sont des valeurs défendues depuis longtemps par le tissu associatif qui sera là demain pour répondre à ce besoin de lien social local. Plus largement, le monde d'après la crise devra s'ouvrir à des idées innovantes telles que le revenu universel et la solidarité réelle à l'échelle de toute la population.

Parallèlement, l'engagement sociétal va-t-il devenir incontournable pour les entreprises ?

A mon sens oui parce que les défis sont tels, que ce soit sur le réchauffement climatique, les inégalités et désormais la crise sanitaire et économique, que lorsqu'on crée une entreprise, sa finalité sociale et son sens doivent désormais être au cœur de la démarche. Cela dit, je ne crois pas que cette vision soit encore partagée par tous les entrepreneurs mais c'est la direction dans laquelle vont notamment les jeunes générations : les jeunes diplômés, entrepreneurs et salariés veulent travailler dans une structure qui a du sens, qui est respectueuse de la nature et des humains et qui prend soin de son impact en externe comme de ses équipes en interne. Si les boîtes traditionnelles n'arrivent plus à recruter ces profils là, elles vont s'interroger sur ce qu'elles font et sur la manière dont elles le font ! On voit d'ailleurs des évolutions avec des politiques RSE de plus en plus engagées et concrètes tandis que l'entrepreneuriat social et solidaire se développe avec de vraies réflexions sur l'impact social et environnemental. Même les fonds d'investissement s'y mettent progressivement !

HelloAsso Léa Thomassin

Léa Thomassin (crédits : Thibaud Moritz / Agence APPA)

Est-ce que HelloAsso, en prouvant que son modèle économique atypique fondé sur le don fonctionne, peut ou doit inspirer d'autres entrepreneurs ?

Je l'espère parce que, quand on s'est lancé à l'époque, tout le monde nous a rigolé au nez en nous disant "vous êtes fous de miser sur le don alors qu'il n'y aucune culture du pourboire en France !" Avec le recul, c'est donc une grande fierté de montrer qu'en 2019 plus de 700.000 personnes ont laissé une contribution volontaire à HelloAsso pour un total de 3,5 M€ ! D'autant qu'un utilisateur sur deux a donné en 2019 contre seulement 10 % au départ ! Notre conviction c'est que quand on parle au meilleur des gens, ils donnent le meilleur d'eux-mêmes. Et on a essayé de le faire avec beaucoup de transparence sur notre fonctionnement et sur notre mission d'accompagnement du secteur associatif dans sa digitalisation. A mon sens, il y a aujourd'hui une réflexion qui s'amorce sur notre manière de consommer - plus de local, en circuit court, en zéro déchet - et cela peut s'appliquer à nos usages numériques en proposant aux consommateurs de rémunérer un service selon la valeur qu'ils lui accordent. Wikipédia est un exemple extraordinaire : il y a cinq milliards de visiteurs par mois et seulement un million de donateurs mais c'est déjà un engagement énorme.

Cela signifie qu'il y a un modèle alternatif à la logique purement économique, que l'on peut donner de l'argent à des initiatives qui nous tiennent à cœur même si elles vont à rebours de cette logique. Il faut se convaincre collectivement qu'il n'y a pas qu'un seul modèle économique sur internet fondé sur la publicité et la collecte des données personnelles. Il y a d'autres choses à inventer dont celui du don !

Quels sont les enjeux d'HelloAsso pour 2020 ?

L'objectif était de pérenniser l'entreprise en atteignant la rentabilité économique cette année mais le confinement a des conséquences importantes pour nous même si nous continuons à fonctionner en télétravail. L'activité de billetterie, qui représente 50 % de nos recettes, est réduite à zéro tandis que les campagnes d'adhésions sont aussi en forte baisse. Plus largement, après la phase de forte croissance, HelloAsso est aujourd'hui dans une phase de consolidation. Huit recrutements sont prévus en 2020 à Bordeaux, notamment sur l'accompagnement, mais on n'a pas vocation à grandir beaucoup plus. L'objectif est aussi de perfectionner nos services actuels comme l'application mobile qui permet de contrôler les entrées des évènements et on va aussi étoffer notre offre sur la billetterie. Ensuite, on veut permettre à une association de gérer chez nous tous ses encaissements via un outil de vente en lignes notamment pour les Amap et les ventes de t-shirt ou autres. En revanche, on n'a pas vocation à tout faire : on ne veut proposer que du paiement mais en le faisant bien. Pour le reste, on développera l'interconnexion avec des partenaires qui proposent des outils de sites web, d'emailing, de CRM, de comptabilité, etc. L'idée est de bâtir une sorte de marketplace avec des solutions complémentaires et interopérables. C'est principalement par ce biais que viendront les nouvelles fonctionnalités.

HelloAsso a annoncé participer au mouvement Parental Act. Pourquoi ?

L'entreprise prend l'engagement d'accorder un mois de congé rémunéré pour le conjoint à la naissance d'un enfant. C'est une manière d'affirmer l'égalité entre hommes et femmes et de changer les mentalités et les réflexes qu'on a pour que les recruteurs et dirigeants d'entreprises ne se posent pas la question du congé maternité comme un handicap. Cela permettra de surmonter un obstacle important et d'autoriser tout le monde à être parent, y compris les 30 % de pères qui ne prennent pas leur congé paternité aujourd'hui ! 250 entreprises, qui peuvent se le permettre, se sont engagées dans cette démarche et le gouvernement semble avoir entendu cet appel.

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HelloAsso en chiffres :

  • Installée à la Cité numérique, à Bègles, près de Bordeaux, HelloAsso emploie 65 salariés.
  • En 2019, 100.000 associations ont récolté 104 M€ via HelloAsso auprès de 1,4 million de donateurs particuliers, soit un paiement toutes les 15 sec. Cela représente 40.000 nouvelles associations en un an.
  • 146.000 projets associatifs créés via HelloAsso en 2019 dont 48% de billetteries pour des spectacles, tournois, conférences, tombolas...
  • 100 % des départements français sont désormais couverts par HelloAsso.
  • En dix ans, HelloAsso a permis aux associations de récolter 200 M€ auprès de plus de deux millions de contributeurs.
  • Le montant médian donné par les utilisateurs est de 1,67 €.
  • Les associations dédiés aux arts et à la culture sont les premiers utilisateurs d'HelloAsso avec 23 % du total.

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