Au 12 juin 2022, alors qu'une vague de chaleur s'abat sur le sud du pays, 36 départements français sont déjà concernés par des mesures de restriction d'eau, parmi lesquels la Charente-Maritime, la Vienne et les Deux-Sèvres. Trois territoires où est prévue une centaine d'implantations de retenues d'eau, aussi appelées bassines, pour soutenir l'irrigation agricole. Le Varenne de l'eau - sorte d'états généraux de la gestion de la ressource - qui s'est terminé le 1er février dernier prévoit un nouveau cadre pour la construction et la gestion de ces infrastructures. Les Projets territoriaux de gestion de l'eau (PTGE), qui organisent la consultation et la mise en place des retenues dans les départements, seront désormais suivis par les préfets. Autrement dit, ils seront chargés d'accélérer la construction des retenues, comme le souhaite le gouvernement, à l'image des déclarations de l'ancien ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, à l'été 2019.
Dans le département des Deux-Sèvres, qui avec le Marais poitevin, abrite le deuxième zone humide de France en superficie, 16 retenues d'eau doivent être construites. C'est la Coopérative de l'eau, dont la gouvernance est partagée entre agriculteurs et services territoriaux de l'état, qui porte ces projets depuis une dizaine d'années au sud du département. Et qui se heurte à une vive opposition des associations environnementales, dont la dernière mobilisation a réunit plus de 6.000 personnes le 26 mars 2022 dans les plaines bocagères du sud Deux-Sèvres. L'impact environnemental de ces mégastructures, qui atteignent parfois plus de 10 hectares, est pointé du doigt puisque les retenues d'eau captent la ressource des nappes phréatiques.
Face à cela, faut-il encourager l'implantation de retenues d'eau en agriculture pour lutter contre la sécheresse ?
« Sans retenues d'eau, les prélèvements agricoles seront supprimés ou fortement diminués d'ici 2025 sur le territoire du Marais poitevin. Au lieu d'être 10 agriculteurs par commune, nous ne serons plus que deux. Il n'y aura plus d'issue pour l'élevage, le maraîchage et donc pour la diversité des cultures. Nous commençons déjà à le voir. Notre coopérative de l'eau dit que, sur ce territoire, les retenues d'eau sont une des solutions qui doivent s'inscrire dans un mix hydrique.
Les agriculteurs irriguent pour produire et sauver leurs cultures en été dans un contexte de sécheresses qui s'amplifient. La directive cadre européenne et l'agence de l'eau nous incitent à la construction de retenues de substitution. Le terme "substitution" est important : il s'agit de prélever l'eau en hiver pour l'utiliser en été, en substitution d'un prélèvement qui, habituellement, est effectué en période estivale.
Notre projet repose sur trois piliers. Le premier c'est l'hydrologie : avec le changement climatique, le projet ne doit pas être dimensionné seulement aux besoins agricoles mais aussi aux capacités du milieu naturel. Au départ, nous étions sur un volume de 16,8 millions de mètres cubes avec un prélèvement d'été complété par un autre en hiver. Nous avons réduit à 11 millions de mètres cubes prélevés seulement l'hiver. Dans les années 2000, l'agriculture prélevait 20 millions de mètres cubes sur ce territoire.
Le prélèvement d'eau est fait de manière superficielle. Sur le Marais poitevin, la nappe phréatique est en communication directe avec les rivières. C'est une partie du débat qu'il faut éclaircir : l'eau à prélever n'est pas en concurrence avec celle dont nous avons besoin pour maintenir le niveau des nappes en été.
Le deuxième pilier concerne le modèle agricole. Les agriculteurs seront co-financeurs du projet mais, en plus, l'accès à l'eau sera conditionné à la mise en place d'une transition sur leur exploitation. Nous voulons que cette ressource sécurise une agriculture vivrière (lait, blé, tournesol, protéines végétales...). Si un agriculteur refuse d'effectuer un diagnostic et de prendre des engagements, il n'aura pas d'eau.
Le dernier pilier concerne la gouvernance et le partage de l'eau. Sur notre territoire, sa gouvernance est gérée par l'établissement public du Marais Poitevin. Comment fait-on pour distribuer un volume d'eau moindre à un nombre d'agriculteurs demandeurs plus important ? L'eau est un bien commun, il faut poser les règles. Le règlement intérieur de cette instance prévoit donc que les priorités d'usage seront destinées à l'élevage, l'agriculture biologique, les labels HVE et surtout, aux projets qui favorisent l'installation d'agriculteurs.
Le travail de concertation avec les associations environnementales, qui a duré plus de six mois, a demandé de l'écoute et d'être capable de sortir de ses positions. Les agriculteurs comprennent que sans reconquête de biodiversité, on se tire une balle dans le pied. Imaginer que la retenue d'eau est la seule solution, c'est beaucoup trop simpliste et court-termiste. »
« Non aux bassines et méga-bassines, surtout en contexte de sécheresses. L'eau est une ressource, un besoin vital. Les départements des Deux-Sèvres et de la Vienne sont soumis à restriction depuis déjà plusieurs semaines. C'est une situation exceptionnelle mais qui se renouvelle depuis 2017. L'eau est inestimable mais épuisable. Il faut requestionner son partage en fonction des différents besoins : ceux de la population mais aussi ceux du règne végétal et animal.
Les projets de bassines ont été pensés il y a des années, donc toutes les études faites à l'époque prenaient en compte une situation hydrique qui, depuis, a changé. Nous sommes obligés, avec les sécheresses, de repenser les différentes priorités d'accès à l'eau. L'usage agricole constitue une des priorités mais pas la première.
La loi sur l'eau et les milieux aquatiques rappelle bien que l'eau est un patrimoine commun. La question de la ressource y est clairement posée : la priorité première c'est la fourniture d'une eau potable en quantité suffisante et de bonne qualité. La seconde, c'est la préservation des milieux aquatiques. Et en troisième priorité "seulement", il y a l'usage de l'eau à des fins économiques, dont l'agriculture, mais aussi tout ce qui va concerner la production d'énergie et d'électricité.
Les bassines ne concernent qu'une minorité d'agriculteurs, ceux qui sont sur un modèle d'un certain âge. Principalement ce sont des cultures de maïs destinées à l'alimentation du bétail et à l'export. Ce ne sont pas des productions maraîchères qui vont servir à l'alimentation du bassin de vie local. 10 % d'agriculteurs vont avoir un accès privilégié à l'eau et priver d'un bien commun les 90 % restants.
Il y a une vraie crise de l'eau. La société civile, les associations et les citoyens se manifestent parce que l'eau est un besoin vital dont on manque de plus en plus. Il y a un paradoxe à vouloir soutenir à tout prix la construction des bassines qui sont des projets obsolètes à un moment où l'on doit repenser le modèle agricole.
La situation est tendue humainement. Le monde agricole a notre soutien mais son modèle ne permet pas d'apporter des politiques réfléchies et des concertations qui correspondent aux écosystèmes. Le fait que l'accès à l'eau soit conditionné à des pratiques plus vertueuses, pourquoi pas, encore faut-il que ces critères soient bien appliqués. Depuis une quinzaine d'années, on voit bien qu'il n'y pas de contrôle sur ces pratiques optionnelles. Ça décrédibilise complètement les porteurs de projet.
Les bassines ne vont rien changer à part créer des inégalités supplémentaires entre agriculteurs. La société civile et les associations ont essayé de discuter du sujet mais elles n'ont pas été entendues. L'eau est un bien commun, donc, désormais, il y a des recours à déposer pour prouver l'illégalité de ces ouvrages. »
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