Elicit Plant, la ferme charentaise qui a levé 16 millions d'euros pour économiser l'eau

C'est une ferme isolée en pleine campagne de l'est charentais, à trente minutes d'Angoulême, qui innove pour réduire les besoins en eau des cultures. Grâce à sa technologie brevetée, Elicit Plant vient de réaliser une première levée de fonds de 16 millions d'euros. Et compte désormais diffuser son traitement auprès d'agriculteurs à l'international.
Maxime Giraudeau
La startup créée en 2017 développe un traitement permettant d'aider la plante à moins laisser l'eau s'évaporer de ses feuilles.
La startup créée en 2017 développe un traitement permettant d'aider la plante à moins laisser l'eau s'évaporer de ses feuilles. (Crédits : Elicit Plant)

Dans un monde où les sécheresses à répétition menacent les produits de l'agriculture, la course à l'adaptation des cultures est engagée. Et la startup Elicit Plant veut y apporter sa solution. Créée en 2017 depuis l'est de la Charente, la jeune pousse a breveté un produit qui permet de réduire le stress hydrique de la plante, c'est-a-dire ses besoins en eau.

Depuis la ferme familiale qu'il a reprise en 1999 à Moulins-sur-Tardoire, l'agriculteur passionné d'agronomie Aymeric Molin a monté un véritable centre technologique et de recherche autour de la gestion hydrique des grandes cultures. Tout ça loin des cœurs urbains et de leurs incubateurs portés sur l'innovation.

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"Quand une plante est soumise à un stress, elle va adapter sa physiologie et modifier sa teneur en phytostérol. Elle agit sur sa perméabilité membranaire. L'idée est de faire avoir cette réaction à une situation de stress en anticipation. C'est comme un vaccin, il faut préparer le corps à réagir. Avec notre traitement, la plante va fermer ses pores partiellement et va moins évaporer d'eau", décortique pour La Tribune Aymeric Molin.

Avec une pulvérisation appliquée sur la plante en croissance, l'agriculteur peut espérer 15 à 20 % de gain de rendement. Un atout de taille pour diminuer le recours à la ressource en eau, qui fonctionne pour l'instant sur les cultures de maïs et de soja. Un dossier est en cours d'instruction sur le tournesol.

Diffusion par les coopératives

Grâce à cette technologie déjà brevetée et commercialisée en France depuis le printemps dernier, le directeur général et son équipe d'une trentaine de salariés ont annoncé le 7 février une levée de fonds en série A d'un montant de 16 millions d'euros. Un tour de table mené par Sofinnova Partners et auquel ont participé les fonds ECBF et French Tech seed, Aquiti gestion et Crédit agricole Charente Périgord expansion. La somme réunie doit permettre de financer la poursuite du programme recherche et développement, puis d'engager le déploiement à l'international.

Elicit Plant

Sur les trente salariés de l'entreprise, quinze travaillent au laboratoire de Moulins-sur-Tardoire en Charente. (Crédits : Elicit Plant)

La startup se laissait un an en janvier 2021 pour trouver 7,5 millions d'euros. Entretemps, tout s'est accéléré. "Nous avons obtenu l'Autorisation de mise sur le marché en avril 2021, et nous avons eu de très bons résultats d'essais. On a voulu lever davantage pour développer plus rapidement la partie internationale de l'entreprise. Des recrutements sont prévus au Brésil et en Ukraine", explique Aymeric Molin.

Elicit Plant a donc auguré une première année de commercialisation de son produit en bouclant un chiffre d'affaires à 500.000 euros. Bien loin encore d'un équilibre économique, ambitionné pour 2024 voire 2025. Pour y parvenir, l'entreprise se diffuse tout d'abord auprès des coopératives nationales. Une vingtaine a déjà intégré le produit de réduction du stress hydrique et une centaine le testera en 2022 pour ensuite le proposer à ses agriculteurs. A elles d'accorder, ou non, une viabilité et une visibilité à la technologie charentaise.

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Et si, à 40 euros du litre, le directeur général reconnaît "un positionnement dans un prix premium", il veut garantir un retour sur investissement deux fois plus élevé pour l'agriculteur. "Si nous n'atteignons pas ce niveau de performance, on ne propose pas la technologie. C'est le cas actuellement sur le colza."

Le cultivateur, le chercheur et l'entrepreneur

La levée de fonds acquise permettra prochainement de démarcher les coopératives à l'international. Un nouveau champ d'action, combiné à l'essor du centre charentais, qui pourrait faire grimper les effectifs à plus de 70 salariés d'ici 2023. Dans la tête des trois fondateurs, qui restent actionnaires majoritaires au capital, "tout ça reste de la science fiction" tant l'essor se fait à grande vitesse.

Pour le trio, tout se combine en 2017. Aymeric Molin est alors partagé entre un emploi de fonctionnaire en charge des politiques publiques à la préfecture de région, à Bordeaux, et son activité d'agriculteur, qu'il exerce sur le domaine familial repris en 1999 à Moulins-sur-Tardoire. Celui qui se présente comme un féru d'agronomie, a auparavant travaillé pour le ministère australien de l'agriculture, histoire de "comprendre comment développer une agriculture en milieu aussi aride". Le rêve de tout agronome certainement. En tout cas celui d'un agriculteur qui possède des terres autour de Chazelles en Charente, dans un pays au sol aride fait de pierre calcaire.

Elicit Plant

Les plantes traitées avec la technologie d'Elicit Plant optimisent l'utilisation de la ressource en eau. (Crédits : Elicit Plant)

C'est à une centaine de kilomètres de la ferme charentaise que la rencontre se joue. La sœur d'Aymeric croise un ancien chercheur en cosmétique à Niort, titulaire d'une trouvaille sur une modification physiologique de la plante. Ne lui manque qu'une ferme et un terrain de jeu agricole pour mener les essais. C'est comme cela qu'Olivier Goulay et Aymeric Molin s'associent. Ils seront rejoints par Jean-François Deschamps, entrepreneur et fin connaisseur des startups.

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Le produit apporté par le chercheur en cosmétique a subit quelques modifications pour être adapté à l'agriculture. Mais les essais se révèlent vite concluants et, dès 2019, le laboratoire de campagne installé dans la ferme confirme les hypothèses. Le produit fonctionne et a vocation à être déployé. "Ce qu'on veut c'est se distinguer d'un certain nombre de produits concurrents qui n'apportent que peu de performances. On veut passer par les coopératives qui possèdent des services de recherche et développement puissants. Ils testeront eux-mêmes la viabilité de notre produit", vise Aymeric Molin. Il est beau leur produit, mais il devra faire ses preuves face aux multiples technologies qui émergent dans l'agritech et face aux lobbys dirigés par les industriels. Il signe en tout cas le début d'une aventure en terre fertile et convoitée.

Maxime Giraudeau

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Commentaire 1
à écrit le 10/02/2022 à 18:19
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Ok maintenant une graine adaptée au terrain et climat, à savoir que l'on récupère chaque année est déjà programmée contre ça. Mais bon en effet récupérer ses graines, plus fortes, plus productives, plus pérennes d'année en année, est interdit par le ...

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