Le 29 juillet 2022, le gouvernement engageait le projet de parc éolien au large de l'île d'Oléron en Charente-Maritime, en le reléguant à quarante kilomètres des côtes contre dix initialement prévus. Conséquence du débat public marqué par de vives protestations autour d'une installation qui devait s'implanter au cœur d'un Parc naturel marin. Vingt mois plus tard, scientifiques et candidats à l'appel d'offre se cassent la tête : à 65 et jusqu'à 71 mètres sous l'eau, on parle du parc éolien offshore sur fondation fixe le plus profond au monde.
« Le fait de sortir du Parc naturel marin était loin de résoudre tous les problèmes. On manque de données, d'où la nécessité d'avoir une action coordonnée de la recherche académique », lance Francis Beaucire, géographe. Ce 13 mars dans l'hémicycle de la Région Nouvelle-Aquitaine à Bordeaux, les universitaires réunis en colloque scientifique appellent à la mobilisation face à des développeurs énergétiques tourmentés. Comment proposer un dossier compétitif à l'État alors que les contraintes techniques sont gigantesques ?
« Il nous manquera les études sur les états initiaux des fonds marins au moment de la remise de l'offre. On va se retrouver avec des dossiers qui évoquent des hypothèses mais sans savoir à 100 % ce qu'on va faire », évoque à La Tribune la représentante d'une société candidate à l'appel d'offre. A quarante kilomètres des côtes, par plus de 60 mètres de fond, la construction d'un parc relève du chantier titanesque. C'est pourtant bien le lauréat de l'appel d'offre qui sera chargé de son financement. Celui-ci sera désigné d'ici le début de l'année 2025 par l'État, parmi neuf candidats déclarés.
Des candidats incertains
Les entreprises, pour la plupart organisées en consortium, planchent sur un dossier aux éléments techniques, logistiques et environnementaux inédits. Même pour les plus chevronnées. « C'est probablement le chantier le plus technique que l'on aurait à opérer dans l'éolien offshore posé alors que ça fait 50 ans qu'on livre des chantiers dans des conditions extrêmes », affirme Alexis Darquin, directeur d'Equinor Renouvelables France, candidat sous le nom d'Océole au côté de Q Energy.
En plus de l'éloignement des côtes, l'envergure des 70 mâts prévus pose aussi un défi de taille. Les développeurs mènent une course au gigantisme avec des éoliennes dont la puissance atteint désormais 24 MW de puissance, comme pour le futur parc en Manche, soit quatre fois plus que les turbines installées au large de Saint-Nazaire, seul parc français en activité. Si Oléron s'inscrit dans la tendance, il va falloir transporter des fondations dites « Jacket » (dotés de trois ou quatre pieds, en opposition aux fondations monopieu) qui pourront peser plusieurs milliers de tonnes. Seule une poignée de bateaux dans le monde sont capables d'installer ces cathédrales sous-marines.
« Officiellement il y a neuf candidats. Mais au fur et à mesure qu'ils se rendent compte des défis techniques, ils ne déposeront peut-être pas tous leur dossier », opine Marc Lafosse, océanographe et fondateur du bureau d'études Énergie de la Lune. D'autant qu'une fois le résultat annoncé, le lauréat sera tenu de respecter ses engagements sous peine de s'exposer à des pénalités financières. Pour se prémunir des frictions, les candidats veulent faire valoir que le prix de vente final de l'électricité devra être plus élevé que sur les autres parcs français. EDF Renouvelables s'est engagé sur un prix de vente à 45 et 44 euros le MWh pour les appels d'offre dont elle a été lauréate à Dunkerque et en Centre Manche.
Le travers de la course au prix
« En plus des conditions techniques, le contexte économique sur les matières premières et l'accès au financement feront que le prix de l'électricité à Oléron sera plus cher », prédit Ken Ilacqua, responsable de l'éolien offshore pour Q Energy. Son partenaire d'Equinor ajoute :« En théorie le prix devrait être plus important que ce qu'on a vu sur la façade nord, mais il faut noter que la France reste le marché le moins risqué grâce aux mécanismes d'indexation proposés par le gouvernement »
Chez Ocean Winds, l'alliance entre Engie et EDPR, on s'attend à (et on espère) des prix de vente plus élevés. « Les modifications définies par l'État dans les emplacements des projets [...] ainsi que la prise en compte des attentes des usagers de la mer, peuvent également avoir des impacts sur le prix à la hausse », indique-t-on dans une réponse écrite. Les autres candidats n'ont en revanche pas souhaité répondre à nos sollicitations.
« Le prix cible de 60 €/MWh fixé par l'État ne tient plus pour Oléron au vu des contraintes imposées », pose Sylvain Roche, économiste associé à Sciences Po Bordeaux spécialisé en transition énergétique. Un niveau indiqué par la Programmation pluriannuelle de l'Energie qui se heurte aux exigences d'un parc éloigné des côtes.
Et pourtant, la question du prix de vente de l'électricité est déterminante dans le cadre du dialogue concurrentiel. « Le prix proposé par le futur producteur est un critère de choix important pour juger du partage de la valeur économique du parc avec la collectivité. Il compte pour environ 70 % dans la notation des candidats entre eux (conformément aux règles européennes en la matière) », indique la Commission de régulation de l'énergie. Une donnée qui pourrait ainsi pénaliser les candidatures misant sur les filières industrielles françaises et européennes, moins compétitives que les homologues asiatiques.
L'impact sur les oiseaux, grande inconnue
« Si le prix est vraiment bas, ça pose la question de savoir si on peut vraiment faire un projet territorial, évoque la développeuse qui a souhaité rester anonyme. Un critère prix trop agressif, ça va entraîner des effets pervers. Ce qu'on veut, c'est que les efforts du tissu industriel français soient récompensés. » A l'instar des ports de Nouvelle-Aquitaine fédérés pour investir sur l'industrie de l'éolien offshore ou du cluster d'entreprises Aquitaine Blue Énergies constitué en 2021.
Derrière les aspects de prix et de contraintes techniques, ce sont aussi les enjeux environnementaux qui vont occuper les candidats. Et particulièrement le futur lauréat qui devra réaliser une étude d'impact sur une zone quasiment vierge de toute connaissance. « On a bien du mal à mesurer les impacts car les données que l'on a sont collectées à l'intérieur du Parc naturel marin, déplore Emeline Pettex, chercheuse en écologie marine à l'Université de La Rochelle. À cette distance, l'impact va essentiellement concerner les oiseaux marins comme le fou de Bassan, les goélands bruns, les labbes ou le Puffin des Baléares [classé en danger critique d'extinction, ndlr]. Mais tant qu'on n'a pas les caractéristiques techniques du parc, on ne peut pas l'estimer. »
Des travaux de mesure environnementale encore synonymes d'un surcoût pour les candidats. Ou quand l'idée d'une production électrique compétitive dans un parc éloigné des côtes et porté par un projet territorial devient un mirage. Pour éviter de dupliquer le cas Oléron, la Commission Européenne a impulsé l'idée d'une nouvelle harmonisation des appels d'offre rendant moins prégnante l'importance du critère prix. Les 26 ministres de l'Énergie ont repris la proposition à travers une charte cosignée pour ainsi favoriser les industries européennes. Histoire de ne pas faire de l'éolien offshore le nouvel échec industriel de l'Europe après le photovoltaïque.
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