C'est comme si les éoliennes se prenaient un vent. Le 16 septembre 2022, les préfets étaient enjoints par le gouvernement, via une circulaire, d'accélérer l'implantation de parcs éoliens. Un an après, c'est la douche froide pour de nombreux aménageurs qui déplorent même une baisse massive du nombre d'autorisations accordées. En Nouvelle-Aquitaine, région qui représente 8 % de la puissance installée en France, seuls 24 % des projets ont obtenu le sésame préfectoral en 2022, selon le décompte de la société Eolise, basée dans la Vienne. La tendance devrait se confirmer cette année alors qu'en 2018 les trois quarts des parcs étaient validés. De leur côté, les services de l'État ne communiquent pas leurs données.
Prise dans un étau entre objectifs gouvernementaux et lois biodiversité, les administrations régionales, en l'occurrence les Dreal, n'ont pas trouvé la baguette magique pour tout concilier. La France est en retard sur les énergies renouvelables et la loi censée accélérer leur déploiement doit encore se mettre en mouvement. « Depuis un an, on est passé de 25 à 27 mois de durée moyenne d'instruction pour un parc éolien. C'est vraiment inquiétant, c'est deux fois plus que les délais théoriques », se désole Baptiste Wembre, responsable développement d'Eolise, une société de huit salariés créée en 2016 qui n'a toujours pas mis en service un seul parc éolien. Un blocage qui tient surtout pour l'entreprise à des difficultés d'acceptation sociétale, frein majeur pour l'éolien. Le vent souffle de face pour la filière, victime d'une administration aux moyens limités pour traiter les dossiers en temps record. Mais qui paye aussi son manque de considération pour l'environnement.
« Le juge administratif est devenu le meilleur ami des chauves-souris »
En France, un tiers des contentieux liés à l'éolien passent devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. Une juridiction qui a retoqué ces dernières années de nombreux projets à cause d'études d'impact sur la biodiversité trop légères ou de mesures de compensation pas assez efficaces. Une décision du 8 juin 2023 prononce par exemple l'annulation d'un arrêté préfectoral donnant le feu vert à un parc de quatre mâts en Charente-Maritime, notamment en raison d'études insuffisantes sur les chauves-souris et oiseaux des plaines. « Le parc éolien envisagé conservera un impact significatif sur des espèces patrimoniales faisant l'objet de protections fortes, en particulier l'outarde canepetière, dont la population a diminué de 94 % entre 1978 et 2000, et qui encourt un risque d'extinction à court terme », tranche ainsi la cour.
Plus d'un tiers des chauves-souris a disparu en dix ans Selon l'Office Français de la Biodiversité, 38 % des chauves-souris ont disparu en France entre 2006 et 2016. Dans le même temps et même si elle n'est pas la cause unique du déclin, la puissance éolienne installée a été multipliée par dix. Les 36 espèces de chiroptères présentes dans le pays jouent un rôle crucial de régulation en tant que prédateur d'insectes ravageurs des cultures comme la pyrale du maïs et de moustiques. Leur disparition impacte donc directement la santé environnementale et humaine.
Au moins quatre autres dossiers ont été mis hors-circuit par la cour administrative d'appel en Dordogne et dans les Charentes depuis juin 2022. Dans chaque affaire, un collectif requérant met en cause le manque de documentation sur les espèces menacées par l'arrivée d'éoliennes. Et à chaque fois, la juridiction leur donne raison au regard du droit de l'environnement. « Le juge administratif est devenu le meilleur ami des chauves-souris », glisse à La Tribune Luc Derepas, son président.
Les éoliennes bridées
Les porteurs de projets s'appuient pourtant sur des méthodes poussées pour mesurer l'impact des engins à pales. « Les directives sur les chiroptères [les chauves-souris, ndlr] nous complexifient le travail. On fait des écoutes sur le terrain à pied avec un micro, ça c'est réglementaire. Certains, comme nous, font des études complémentaires en hauteur, sur le mat, pour avoir une idée bien plus précise de l'activité des chauves-souris. Comme ça, on peut brider les éoliennes en fonction », décortique Baptiste Wembre. Bien souvent, les parcs doivent établir des plans de bridage, où les éoliennes, à la production déjà intermittente, restent à l'arrêt sur certaines plages horaires. Ou encore éviter les lisières de bois et installer des systèmes à ultrasons. Quand la chauve-souris fait plier le mat.
Le Grand rhinolophe est une espèce menacée par le déploiement des éoliennes en France et en Europe. (crédits : Maxime Leuchtmann / Nature Environnement 17).
La prise en considération demeure pourtant très variable. « Il n'y a rien nulle part qui détermine la façon dont doivent être menées les études. On voit encore passer énormément d'études très lacunaires concernant la prise en compte de la biodiversité », regrette Maxime Leuchtmann, responsable de projets naturalistes pour Nature environnement 17. Le manque de connaissances fait ainsi apparaître une recrudescence des procédures juridiques. « On est souvent obligés de passer par des recours pour faire entendre la voix de la biodiversité », enchaîne-t-il. « La planification des énergies renouvelables reste indispensable mais on doit compléter les connaissances pour déterminer les zones où l'on interdit tout développement de l'éolien, ce qui nous éviterait des procédures administratives. »
Étude en cours
Sans cela, l'État et les aménageurs se heurteront toujours au droit de l'environnement. Tel un mur infranchissable à moins de demander une dérogation au principe d'interdiction de destruction d'une espèce protégée. Une exception accordée de façon rarissime en raison des avis négatifs émis par le Conseil national de la protection de la nature. L'amélioration des connaissances scientifiques est capitale car le temps presse : la puissance éolienne installée en France doit être multipliée entre 2,5 et 4 d'ici 2050 selon les différents scénarios énergétiques de RTE. En Nouvelle-Aquitaine, la Dreal co-finance un vaste programme d'étude, dont Nature Environnement 17 fait partie, sur les habitats et les conditions de vie des chiroptères, du piémont pyrénéen jusqu'aux bocages deux-sévriens. Dans le but de redonner des ailes aux éoliennes comme aux mammifères de nuit.
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