"C'est devenu une boutade entre nous. Qui pourra dire cet été que son équipe est au complet ? Même la nôtre ne l'est pas, car nous aurions dû être 80 cet été contre 50 à l'année, mais il nous manque encore plusieurs personnes, surtout en cuisine. Et ce alors que nous bénéficions de l'effet ouverture et de l'attrait d'un établissement classé cinq étoiles et Relais & Châteaux dans un cadre verdoyant ", explique Olivier Richard, maitre de maison à Brindos à Anglet.
Cet établissement, à la fois hôtel et restaurant avec vue sur un lac privé et appartenant jadis au rugbyman Serge Blanco, a rouvert ses portes il y a un mois après une profonde rénovation par le groupe bordelais Millésime.
Carte simplifiée, horaires restreints
A quelques kilomètres de là, le restaurant Le Seven, à la Chambre d'Amour, l'une des onze plages d'Anglet, a réussi aussi à attirer de nouveaux salariés, mais le compte n'y est pas : "Nous sommes 14 aujourd'hui et devrions être deux fois plus nombreux dans un mois, mais nous n'avons aucune candidature...", pointe son propriétaire Pascal Marien. Pour soulager son équipe, il a simplifié la carte et, après avoir fermé en janvier et février par manque de personnel, s'est résolu à fermer le mardi et plusieurs soirs en semaine : "Cela représente déjà un gros manque à gagner et ce sera encore plus le cas durant le pic de la saison estivale, qui est absolument nécessaire pour avoir les moyens d'être ouvert toute l'année".
Ces deux témoignages reflètent la tension dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, monnaie courante dans cette région touristique depuis des années mais qui est devenue pour beaucoup cette année insurmontable à l'approche de la saison estivale. Le manque de bras a même conduit certains restaurateurs, surtout dans l'arrière-pays moins attractif que la cote, à mettre la clé sous le paillasson, tels que La Cuisine à Musée à Orthez qui a fait son dernier service le 21 mai dernier. L'Umih, principal syndicat patronal du secteur, craint ainsi une "pénurie historique" et estimait début avril qu'entre 200 000 et 300 000 offres d'emploi restent non pourvues dans le pays. Malgré la hausse consentie du salaire minimum, désormais supérieur de 5 % au Smic, ainsi qu'une augmentation individuelle de 16,33 % en moyenne des salaires au premier avril, les candidats n'affluent pas.
L'enjeu du rythme de vie
Pour beaucoup, ce n'est justement pas une question de rémunération, mais avant tout de rythme de vie. Durant la crise sanitaire, ils sont nombreux à s'être réorientés et peu reviendront, surtout parmi ceux ayant des enfants, de l'avis même des restaurateurs et hôteliers croisés, qui tentent de revoir l'organisation. Le constat vaut plus généralement pour les professionnels du tourisme. "Par définition, nous travaillons quand les autres ne le font pas, donc le samedi et dimanche en basse saison et la semaine en juillet et aout", remarque Christophe Rosiejak. Même en proposant des horaires classiques (10h30-19h en juillet -août), avec une heure de pause, et avec des contrats à l'année, le propriétaire du Wow Park à Urrugne (douze employés l'été), qui comme ses pairs a beau travailler avec Pôle emploi pour trouver des personnes à former, a tout autant de mal.
Surtout pour trouver des employés pouvant gérer les trois snacks au milieu des trampolines et cabanes dans les arbres. "Nous avons beaucoup investi dans le matériel pour faciliter l'exécution des tâches, permettant à des personnes sans expérience de nous rejoindre, et en faciliter la prise en main par cette génération née avec le portable", poursuit-il. Pour les professionnels, c'est justement là que le bât blesse, pointant tous un changement d'attitude : "les candidats ne répondent pas au téléphone et ne viennent pas au rendez-vous, sans prévenir. J'ai perdu un salarié l'an dernier : quand je lui ai proposé un CDI, il a démissionné préférant enchainer les CDD et toucher l'allocation chômage", cite Pascal Marien.
Le nouveau calcul de l'allocation chômage, entré en vigueur en décembre, pénalise "ces permittents", les demandeurs d'emploi alternant chômage et activité, une situation qui était parfois plus avantageuse qu'un travail continu. "Les nouvelles règles inciteront certains à chercher un CDI, mais en dissuaderont d'autres", estime Olivier Richard, auparavant directeur de l'Hôtel du Palais à Biarritz, qui souligne devoir consacrer de plus en plus de temps aux ressources humaines.
Logement compris
Afin de pallier le manque à moyen terme, l'Umih s'apprête à signer une convention avec le gouvernement tunisien pour encourager la venue de jeunes désireux de travailler comme saisonniers. Une solution qui n'en est pas une pour les professionnels interrogés, qui préféreraient tous employer des locaux. D'une part, parce que cela leur permet, comme le Seven, d'être ouvert durant l'année, pour satisfaire une clientèle locale plus nombreuse et des vacanciers adeptes de courts séjours en France. D'autre part, les habitants de la région disposent déjà d'un logement dans cette région où se loger est devenue très compliqué, encore plus pour des saisonniers.
Les employeurs basques les plus prévenants, et qui en ont les moyens, proposent d'enlever cette épine du pied de leurs futurs salariés. Ainsi, Brindos, comme d'autres hôtels de luxe de la côte basque, prend en charge le logement dans des mobil-homes au camping de leurs salariés, saisonniers ou pas.
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