Industrie automobile : « Il n'y a pas que les gigafactories qui comptent ! »

ENTRETIEN. « Nous vivons dans le véhicule intermédiaire ce qu'on a vécu dans le vélo à assistance électrique en 2007-2008. » Derrière les grands constructeurs automobiles, les startups qui développent des véhicules légers tentent de s'engouffrer dans une nouvelle brèche de marché. Mais cette mobilité plus accessible et décarbonée aura du mal à percer sans protectionnisme face à l'Asie, pense Benoît Trouvé, fondateur de Midipile Mobility, qui prévient : « Il y a des filières complètes à structurer et ce n'est pas un tas d'argent à un moment donné qui va changer la donne ! »
Benoît Trouvé, ancien ingénieur de PSA, a créé Midipile Mobility en 2020 pour fabriquer un véhicule de micro-mobilité en Charente.
Benoît Trouvé, ancien ingénieur de PSA, a créé Midipile Mobility en 2020 pour fabriquer un véhicule de micro-mobilité en Charente. (Crédits : Maxime Giraudeau)

LA TRIBUNE - En tant que startup du secteur automobile aux ambitions industrielles, comment recevez-vous les discours sur la réindustrialisation ?

Benoît TROUVE - Je les reçois très bien mais je pense que c'est encore de la politique. Le plan France 2030 nous aide pour certaines parties mais il manque une vraie organisation territoriale avec une planification à long terme. On est dans un moment où il faut faire des vrais choix qui ne dépendent pas que l'argent mais de comment on s'organise ensemble. Il y a des filières complètes à structurer et ce n'est pas un tas d'argent à un moment donné qui va changer la donne, la France s'est tellement désindustrialisée. Il n'y a pas que les gigactories qui comptent dans la vie !

On est historiquement une nation d'automobile, c'est un trait qu'il faut essayer de garder mais cela nécessite des infrastructures extrêmement coûteuses, lourdes, polluantes. On n'a plutôt pas envie depuis vingt ans d'avoir ça chez nous et on s'est rendus dépendants. Une réindustrialisation c'est une vision de long terme qui organise les interfaces de tout ce dont on a besoin pour produire ce que l'on veut à la fin. Est-ce qu'il faut pour autant produire des énormes volumes ? C'est un projet de société, je ne suis pas sûr qu'on ait tous besoin d'une voiture électrique de deux tonnes. On peut faire plus petit, plus local, moins cher et moins polluant.

Lire aussi« Les indicateurs de réindustrialisation en France sont loin d'être convergents », Vincent Vicard (CEPII)

Que peut la France face à un marché dominé par la Chine ?

Vu l'état du marché, le challenge ne va pas se jouer au niveau national mais au niveau européen. Trois grandes décisions vont être importantes : le maintien ou non du Green Deal, l'interdiction des véhicules thermiques pour 2035 ou plus tard et le niveau de protectionnisme aux frontières. Est-ce qu'on fait comme les Américains avec une taxation très élevée pour se protéger ou est-ce qu'on reste comme on a toujours fait pour se faire bouffer tout cru ? Les technologies d'électro-mobilité chinoises sont bien plus compétitives, ces marques se déploient partout : elles rachètent des marques européennes ou sont distribuées par celles-ci. La guerre est déjà presque perdue, il va falloir un message très fort si on veut continuer à fabriquer en Europe avec des technologies européennes. Ça, c'est le point d'entrée qui détermine le reste.

Lire aussiAutomobile : « l'industrie automobile chinoise est la bienvenue en France », selon Bruno Le Maire

Les véhicules légers ont-ils une place dans cette course ?

Oui, on pense que le véhicule intermédiaire représente un marché de dix millions d'unités en Europe pour 2030, pour atteindre 5 à 10 % du parc automobile en 2035. Il répond aux besoins du quotidien. Aujourd'hui, dans un monde infini on peut avoir un véhicule très gros qui fait tout, demain il faut un véhicule qui répond juste à ton besoin. Ce qu'on ne sait pas c'est en combien de temps ce changement va se faire. Plus nous serons structurés et capables de produire tôt, plus il arrivera vite. La mobilité a un effet de seuil particulier qui fait que tant qu'on n'a pas un volume visible de véhicules, les gens ne changent pas.

Aujourd'hui, on a des demandes en augmentation de 200 à 300 % sur le marché du véhicule intermédiaire. Les données me laissent croire que nous vivons dans le véhicule intermédiaire ce qu'on a vécu dans le vélo à assistance électrique en 2007-2008. Personne n'y croyait quand Bosch à sorti son premier système d'assistance électrique mais c'est devenu une success story.  La mobilité électrique est très chère, donc les gens se demandent pourquoi ils iraient changer leur diesel contre un modèle à plus de 30.000 euros. Tout le monde a compris que moins c'est mieux, on arrête les BMW à 70.000 euros, ça n'a plus de sens.

On a aussi une société très urbaine avec des politiques publiques qui viennent fermer ces zones : ZFE [Zones à faibles émissions, ndlr], moins de places de stationnement, secteurs piétons... Ce sont les tendances de fond qui amènent à aller vers le véhicule intermédiaire, ces engins entre le vélo et la voiture qui vont peser entre 100 et 500 kilos. Il faut répondre aux besoins du transport de personnes et de marchandises. On a des envolées des demandes sur la première catégorie, mais on partait de pas grand chose : on parle d'un marché aujourd'hui à quelques centaines de véhicules par an.

Vous visez en premier lieu les métropoles ?

Les zones contraintes, dans lesquelles il y a deux verticales. Les milieux urbains oui mais ce n'est pas là qu'on vend le plus. C'est sur les sites fermés qui ont des contraintes de place et d'activité, comme des sites industriels, des hôpitaux, des aéroports, des sites militaires, des parcs d'attraction ou des campings. On fait le choix de s'adresser aux professionnels qui ont besoin de transporter des objets dans ces milieux contraints. Ça marche bien parce qu'il faut pouvoir se faufiler partout, de la polyvalence et de la sécurité.

Lire aussiL'innovation pragmatique, moteur de Goupil sur le marché des petits utilitaires électriques

Pourquoi la recyclabilité des nouveaux véhicules ne s'impose pas aux constructeurs ?

Il faut penser que ce sont des industries linéaires, centenaires qui sont structurellement organisées comme ça. Comment faire quand vous avez des centaines de milliers de salariés qui ont toujours fait comme ça ? Réorganiser les usines ne se fait pas d'un coup de baguette magique, les constructeurs réutilisent les mêmes recettes en changeant à la marge. Ces bêtes-là n'ont pas le choix de maintenir leur modèle et on pense que la seule façon de changer viendra de l'extérieur. On essaye de prouver qu'un modèle de conception durable est possible, on joue la course du coût à l'usage et pas celle du coût de fabrication. On vend du service, le garagiste qui entretiendra ce véhicule, il sera digitalisé et l'usager ira le voir souvent pour changer du hardware et du software, faire de la maintenance préventive, collecter des données...

Ce n'est pas le même type de véhicule que ceux de l'automobile classique. Donc son industrie est aussi différente, la production doit inclure des pièces reconditionnées, recyclées. Et on peut imaginer qu'une fois le besoin servi avec une infrastructure de X milliers de véhicules, il n'y aura plus besoin d'en produire puisqu'ils sont faits pour durer. L'industrie passera alors son temps à réparer et elle aura été calibrée pour adresser et s'adapter à d'autres marchés.

Lire aussiStellantis inaugure un hub géant pour faire de l'économie circulaire « un business profitable »

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 07/06/2024 à 22:03
Signaler
C'est bizarre que tout d'un coup certains voit dans le protectionnisme et le gavage aux subventions comme le remède à tous les maux, alors que dans la réalité, il s'agit surtout de plumer les consommateurs, et le contribuable... Mais en fait, il AS...

à écrit le 07/06/2024 à 13:48
Signaler
Hispano - suiza, delahaye, voisin, bugatti, facel Vega , panhard France ou sont tes marques mythiques qui avec celles des anglais- disparues, rachetées par les indiens ou les chinois comme Volvo ..- et qui donnaient le la automobile eur...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.