Moins d'aéroports, plus de 5G et de mobilités douces : les jeunes ingénieurs face au climat

INTERVIEW. Poussées par leurs salariés et l'évolution de la règlementation, les entreprises de l'ingénierie sont contraintes d'adapter leur logiciel et leurs pratiques à l'urgence climatique. « On va chercher des projets vertueux pour pouvoir attirer et conserver nos jeunes. Concrètement, ils ne vont plus forcément vouloir construire un aéroport tandis qu'ils sont attirés par les projets de déploiement de la 5G, de mobilités douces ou de gestion de l'eau », témoigne ainsi Florence Kersalé. La directrice du pôle ingénierie industrie santé et recherche de Setec Bâtiment préside également le congrès IGPSC (Ingénierie des grands projets et systèmes complexes) dont la 18e édition s'est tenue à Arcachon les 28 et 29 août.
Florence Kersalé est directrice du pôle ingénierie industrie, santé et recherche de Setec Bâtiment et présidente du congrès IGPSC (Ingénierie des grands projets et systèmes complexes), un congrès professionnel qui se tient chaque année à Arcachon.
Florence Kersalé est directrice du pôle ingénierie industrie, santé et recherche de Setec Bâtiment et présidente du congrès IGPSC (Ingénierie des grands projets et systèmes complexes), un congrès professionnel qui se tient chaque année à Arcachon. (Crédits : Voyez-Vous (Vinciane Lebrun))

LA TRIBUNE - Comment le dérèglement climatique est-il pris en compte dans les nouveaux projets d'infrastructures et d'ingénierie ?

FLORENCE KERSALÉ - C'est un enjeu socio-économique et environnemental majeur qui mobilise toutes les parties prenantes. Cela entraîne des modifications des pratiques et la recherche de solutions techniques face à un cadre législatif et règlementaire qui évolue très vite pour construire la stratégie bas carbone de la France : loi énergie-climat, loi sur l'économie circulaire et la loi sur le dérèglement climatique. Cela se traduit concrètement par des cahiers des charges qui imposent désormais l'adoption de solutions moins émettrices de CO2, le recours à des nouveaux matériaux ou au réemploi, la réutilisation des terres excavées, l'utilisation de biogaz ou d'hydrogène, la récupération de l'énergie fatale, l'optimisation de la consommation d'eau et la limitation de l'artificialisation des sols. C'est tout le cadre global de nos métiers qui évolue.

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À quel point ces sujets sont-ils prégnants chez les professionnels de l'ingénierie ?

Ce n'était pas forcément le cas jusque-là mais, aujourd'hui, tout le monde en parle ! C'est une donnée de départ pour tous les projets. Les acteurs de l'ingénierie ont d'ailleurs signé une charte élaborée par Syntec Ingénierie dans laquelle ils s'engagent à être force de propositions sur des solutions moins émettrices de CO2 mais aussi à diminuer leur propre empreinte carbone. Concrètement, cela signifie qu'on adopte un regard critique sur les cahiers de charges proposés par nos clients en les poussant à aller plus loin en matière environnementale et énergétique.

250 professionnels de l'ingénierie

Le congrès IGPSC (Ingénierie des grands projets et systèmes complexes) se tient chaque année à Arcachon à la fin de l'été. Cette 18e édition a réuni 250 professionnels de l'ingénierie le 28 et 29 août pour échanger sur des sujets variés tels que la mobilité, le new space, le nucléaire, la robotique, les grandes infrastructures ou encore la gestion de l'eau. La 19e édition est d'ores et déjà programmée, toujours à Arcachon, les 26 et 27 août 2024. L'aéronautique, le nucléaire, l'éolien offshore, le Grand Paris Express, le véhicule électrique ou encore les gigafactories figurent parmi les thématiques envisagées

Est-ce que cela peut aller jusqu'à refuser de travailler sur tel ou tel projet ?

Oui, absolument, et pour plusieurs raisons. Nous sommes à l'écoute de nos salariés qui s'expriment, donnent leurs avis sur les projets des entreprises et, de plus en plus refusent de travailler sur un dossier jugé pas suffisamment respectueux des impératifs climatiques et environnementaux. Les entreprises de l'ingénierie se sont dotées de référents climat pour dialoguer sur ces sujets. Et, oui, nous réorientons nos projets : cela signifie qu'on va chercher des projets vertueux pour pouvoir attirer et conserver nos jeunes et nos compétences. Concrètement, ils ne vont plus forcément vouloir construire un aéroport tandis qu'ils sont attirés par les projets de déploiement de la 5G, les infrastructures de mobilités douces ou fluviales ou encore le réemploi des matériaux ou la gestion de l'eau.

Donc il y a des projets où on ne souhaitera plus aller parce qu'ils ne correspondent plus à nos critères environnementaux et d'autres où on ne pourra plus aller parce que nous n'aurons plus les équipes pour y répondre, au risque de perdre des salariés !

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Il vous reste la possibilité de convaincre le client de faire évoluer son projet...

Oui et nous y travaillons ! Par exemple, chez Setec, nous avons construit une base de données sur l'impact carbone des projets de bâtiment ou d'infrastructure. On l'utilise pour avertir nos clients, leur dire qu'en l'état leur projet n'est peut être pas le bon parce qu'il n'est pas suffisamment décarboné. Et leur expliquer les problèmes que cela posera pour la faisabilité même de leur projet.

Dans ce contexte, les grands projets complexes ont-ils encore un avenir quand on voit la contestation croissante vis-à-vis des projets d'aéroports, d'autoroutes ou de lignes à grande vitesse ?

Oui, bien sûr même si beaucoup doivent évoluer. Mais il y aussi énormément de projets d'ingénierie qui sont vertueux d'un point de vue sociétal et environnemental. La gestion, récupération et réutilisation de l'eau, par exemple, est un domaine qui nécessite beaucoup de compétences d'ingénierie tout comme les énergies renouvelables, les nouvelles mobilités ou encore les matériaux décarbonés ! Par ailleurs, la filière nucléaire, qui est une énergie verte par rapport au charbon ou au pétrole et qui constitue un élément de souveraineté, est en plein renouveau et suscite beaucoup d'intérêt tout comme l'essor du new space.

Avec du recul, comment avez-vous perçu le discours très offensif des étudiants diplômés d'Agro Paris Tech en mai 2022 ?

Je pense que leur discours est très positif même s'ils ont probablement trop rejeté en bloc l'enseignement et les professeurs d'Agro Paris Tech qui sont de très bonne qualité. En réalité, ils ciblent les problématiques de pollution et de non-respect de l'environnement et c'est précisément leurs études et leurs compétences qui vont leur permettre de réfléchir à cela et de trouver des solutions. On ne peut pas tout arrêter dans notre de vie et de consommation mais il est nécessaire de les faire évoluer. Et les choses bougent dans les entreprises, les jeunes générations s'expriment et ils ont raison de le faire sur l'environnement comme sur la diversité et la féminisation des métiers de l'ingénierie.

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Commentaires 2
à écrit le 02/09/2023 à 9:20
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La publicité nous fait tout avaler, même l'absurde et le mensonge, et les soi-disant "innovations" ne tiennent que par çà !

à écrit le 01/09/2023 à 10:45
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Ouais, ils veulent plus prendre l'avion qui émet 2,5% de la production mondiale de CO² mais ils veulent bien passer des heures sur facebook et autres companies Internet dont les data centers consomment 10% de l'énergie mondiale en moyenne. Faut revoi...

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