Publicités, réseaux sociaux, marques : comment communiquer pendant la crise ?

INTERVIEW. Faut-il communiquer sur sa marque ou son entreprise en plein confinement ? Si oui, quelle stratégie faut-il adopter auprès du grand public et des professionnels ? Stéphanie Laporte, directrice de l'agence de communication digitale bordelaise Otta, livre à La Tribune quelques conseils et bonnes pratiques dans cette période de crise sanitaire et économique inédite.
Stéphanie Laporte dirige Otta, une agence de communication et de publicité digitale basée à Bordeaux.
Stéphanie Laporte dirige Otta, une agence de communication et de publicité digitale basée à Bordeaux. (Crédits : Agence Otta)

LA TRIBUNE - Quels conseils donnez-vous à vos clients et, plus largement, aux marques et entreprises pour leur communication en ce moment ?

STEPHANIE LAPORTE - Au tout début de la crise, il y a eu une phase de sidération liée au confinement, une émotion et un sentiment de stupéfaction, d'interrogations assez similaires à ceux de novembre 2015 après les attentats. Donc, mon premier conseil, c'est de prendre son temps avant de communiquer et de bien réfléchir à ce qu'on veut dire en fonction de l'état d'esprit des consommateurs que l'on vise. Cela peut paraître contre-intuitif pour une agence de publicité mais je recommande de suspendre, d'alléger voire d'annuler certaines campagnes et opérations commerciales parce que cela n'a pas de sens de continuer à matraquer des messages publicitaires au même rythme. La publicité c'est le bon message à la bonne personne au bon moment et là, clairement, ce n'est pas le bon moment pour beaucoup de messages ! On prône d'habitude une stratégie publicitaire de "moins mais mieux" et là c'est attitude doit être amplifiée.

J'ajoute que les publicités lambda risquent de brouiller les messages des institutions publiques, des autorités sanitaires, des associations humanitaires et de certaines entreprises qui ont un vrai rôle à jouer face à la pandémie de Covid-19. Il est donc plus éthique de leur laisser le champ libre et d'éviter d'augmenter leurs coûts de diffusion en cherchant à communiquer en même temps.

Les marques doivent donc prendre du recul et se taire ?

Pas forcément, ni complètement mais il faut se poser les bonnes questions ! Est-ce que mon message est utile, essentiel, pertinent dans cette période de crise tout en étant en rapport avec ma marque ? Si ce n'est pas le cas, alors oui il vaut mieux se taire. Ou se contenter de mettre en avant sur les réseaux sociaux des initiatives d'intérêt général ou de mécénat, de relayer les messages de prévention plutôt que de faire de la réclame en promettant des réductions en magasin pour dans trois semaines ! Quelques marques bien connues ont fait des campagnes plutôt astucieuses en jouant sur leur logo et la distanciation sociale comme McDonald's et Audi par exemple mais, au fond, ce n'est pas forcément nécessaire et ça ressemble un peu trop à un délire d'agence de pub décalé par rapport aux consommateurs.

Que peut-on faire malgré tout ?

Il y a des acteurs qui restent pleinement légitimes pour communiquer en ce moment en particulier les associations telles que la Croix Rouge et toutes les marques qui tournent autour de l'univers du foyer, du "bien chez soi" mais à condition d'adopter une logique servicielle et une démarche de mise à disposition pédagogique, ludique ou pratique. Il y a aussi des opérations de fidélisation intelligentes et pragmatiques à mener avec, par exemple, des partages de compétences via des "lives" sur Instagram pour des cours de yoga, de sport, de musique ou de cuisine ! Tout cela doit bien évidemment être gratuit pour fonctionner et avec un volume réduit.

A l'inverse, on reçoit beaucoup de sollicitations de sites d'e-commerce qui ressemblent furieusement à une période de soldes sous couvert de confinement. Qu'en pensez-vous ?

Pour beaucoup d'entreprises c'est probablement nécessaire pour écouler les stocks et faire rentrer de la trésorerie mais ce n'est pas toujours bien vu par les consommateurs et on n'est pas certains des délais de livraison. D'autant qu'il peut y avoir des retours de manivelles des consommateurs très négatifs sur l'exposition des livreurs et des magasiniers au risque de contamination s'il ne s'agit pas de produits essentiels. Il faut donc être prudent !

Par ailleurs, je crains que beaucoup de ménages, même s'ils sont moins abasourdis qu'au début du confinement, n'adoptent un réflexe d'épargne par sécurité pour anticiper la sortie de crise qui s'annonce longue. Il y aura sûrement quelques festivités à la fin du confinement mais je ne m'attends pas à une explosion de la consommation... A l'autre bout de la chaîne, les startups et les PME seraient bien avisées d'économiser leurs cartouches et leurs budgets en ce moment pour les dépenser quand la consommation repartira.

Dans ces conditions et ce contexte sanitaire dramatique, peut-on jouer sur le registre humoristique pour communiquer ?

Je ne crois pas ou alors avec énormément de prudence... Globalement, les marques sont conscientes qu'il ne faut pas faire de blagues même s'il ne faut pas être chiant pour autant. Je pense qu'il y a un ton un peu plus solennel à adopter, une certaine sobriété et une réserve respectueuse vis-à-vis des consommateurs qui traversent une période compliquée. A mon avis, on peut aller sur le terrain de l'intéressant, du sympathique voire du mignon mais pas sur juste de l'humour. A nouveau, il y a un vrai risque d'être déplacé et d'avoir des mauvais retours sur les conditions de travail des équipes par exemple. Donc plutôt que faire de l'humour, je dirais que se taire c'est mieux !

Qu'en est-il de la communication BtoB ? Le mail expliquant que les équipes sont à vos côtés en télétravail est-il indispensable ?

Sauf à avoir une réelle utilité par rapport à la crise économique et sanitaire, cela ressemble souvent à la dernière occasion de faire un peu de business avant que tout ferme. Il y la possibilité de mettre les équipes, notamment commerciales, en chômage partiel et je pense qu'il ne faut pas hésiter à le faire parce que les démarches commerciales en ce moment sont un peu hors de propos face à la situation extrêmement compliquées que traversent la plupart des entreprises. Le mieux est probablement d'offrir des services gratuitement mais c'est évidemment beaucoup plus facile pour des grands groupes que pour des PME et des indépendants qui ont, eux-aussi, des besoins pressants de trésorerie.

Les propositions de formation des équipes me semblent extrêmement maladroites en ce moment parce que les salariés ne sont probablement pas dans les bonnes dispositions mentales pour se projeter et se former, sans parler de ceux qui télétravaillent en gardant leurs enfants et qui un programme de formation n'est vraiment pas évident à caler dans l'emploi du temps !

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Basée à Bordeaux, mais aussi à Paris et Rennes, l'agence de communication et publicité digitale Otta emploie 15 salariés pour un million d'euros de chiffre d'affaires. Parmi ses clients, elle compte Cuisinella, le Salon de la Lingerie, Legrand, les Senioriales, Dydu, Cdiscount Énergie, l'Ecole nationale de la magistrature (ENM). Elle vient de décrocher le contrat pour la diffusion publicitaire sur les réseaux sociaux de la Croix Rouge au niveau national.

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