"Lors d'un passage en Scop, le modèle économique ne doit pas tout résumer ! " (4/10)

Professeur à Kedge BS sur le campus de Bordeaux, Xavier Hollandts travaille depuis trois ans avec la Fédération nationale des sociétés coopératives et participatives (Scop) sur les cas de reprise d’entreprises par le biais d’une transformation en Scop. Il partage avec La Tribune les conclusions de ses travaux fondés sur des retours d'expériences.
Xavier Hollandts est professeur à Kedge BS à Bordeaux.
Xavier Hollandts est professeur à Kedge BS à Bordeaux. (Crédits : GCC)

La Tribune : La Scop doit-elle être envisagée seulement pour une entreprise en difficulté ?

Xavier Hollandts : Non, absolument pas ! On pense souvent à tort que la Scop est la solution de la dernière chance, celle qu'on retient quand toutes les autres ont été épuisées, mais ce n'est pas vrai. La transmission d'une entreprise qui va bien à ses salariés par le biais d'une Scop est une solution parmi d'autres. Elle suppose une ouverture d'esprit de la part du dirigeant et qu'en face se trouvent des salariés ou un groupe de salariés motivés.

Quels sont les principaux à prendre en compte lors d'une transmission ou d'une transformation en Scop ?

Quel que soit le cas de figure, mais encore plus quand il s'agit d'une entreprise en souffrance, tout le monde a tendance à se concentrer sur le modèle économique de l'entreprise, sa rentabilité, ses perspectives de développement. C'est un point évidemment important mais se focaliser uniquement là-dessus est une erreur : lors d'un passage en Scop, le modèle économique ne doit pas tout résumer ! Le basculement s'accompagne d'une mutation profonde d'un statut de salarié à celui d'associé et de co-actionnaire de l'entreprise. C'est un changement qui n'est pas anodin, notamment sur le plan psychologique. Il y a un indispensable travail de pédagogie et de formation à mener parce que la Scop est une structure réputée démocratique et que cela implique un changement de culture d'entreprises et un basculement des relations hiérarchiques installées. Pour certains salariés ça se passe bien et l'évolution se fait assez vite mais pour d'autres c'est un changement perçu comme très profond et qui peut être source de stress. De ce point de vue, je pense que la Fédération et les Unions régionales doivent encore progresser dans l'accompagnement humain et psychologique.

Les difficultés peuvent notamment survenir sur le plan du management...

Oui, lors de nos travaux, on a vraiment senti cette difficulté quand un salarié croit avoir son mot à dire sur tout et tout le temps alors que la réalité de la vie d'une Scop est plus nuancée. Il y a certes une structure et un management différents d'une entreprise classique mais, au quotidien, il persiste une hiérarchie et une direction à suivre. En revanche, lors de l'assemblée générale, on redevient associé coopératif et on a effectivement son mot à dire d'égal à égal. Le défaut d'accompagnement sur cet aspect peut entraîner de la confusion et des effets négatifs sur le fonctionnement de l'entreprise.

Vous évoquez la nécessité d'avoir un groupe de salariés moteur pour mener le projet de transformation en Scop. Jusqu'où ce groupe moteur peut-il aller ?

On se trouve sur un chemin de crête. Oui il faut une locomotive, un noyau dur de salariés motivés - et il y a d'ailleurs des individus qui se révèlent véritablement dans ce rôle de leader - mais cela porte aussi un risque de voir des hold-up de Scop quand un groupe de cadres bien formés et bien informés défendent d'abord leur intérêt bien compris et détournent l'esprit de la Scop à leur profit. Cela peut arriver notamment en profitant de l'asymétrie d'information entre les salariés. Il faut avoir conscience que l'opportunisme et les mauvais états d'esprit existent aussi dans les Scop même si l'immense majorité des passages en Scop se passent très bien.

Quel accompagnement prévoir pour les futurs salariés d'une Scop ?

Un module de deux jours ne suffit pas ! Il faut se doter d'un tableau de bord économique et social et d'un programme de formation de tous les collaborateurs, sans exception, qui doit perdurer tout au long de l'année qui suit le basculement en Scop voire pendant deux à trois ans. Ensuite, les salariés et les associés comprennent mieux le rôle de chacun et de l'assemblée générale et un système de compagnonnage peut alors prendre le relais pour accompagner les nouveaux arrivants.

Tout ce travail de pédagogie et de concertation est-il un atout ou un handicap pour les Scop ?

De loin, on a tendance à se dire que c'est du temps perdu mais en réalité c'est un travail préparatoire très important. Il y a un peu plus de pédagogie à faire dans une Scop, c'est indispensable et ça évite parfois d'avoir à faire le service après-vente d'une décision qui n'a pas été expliquée en amont. La préparation de l'Assemblée générale est très importante. Dans une entreprise classique, les managers et la direction n'ont pas fondamentalement besoin de rechercher l'assentiment des salariés alors que dans une Scop c'est indispensable ! Un manager doit en permanence expliquer, discuter, poser des petites pierres de pédagogie pour jalonner le chemin jusqu'à l'assemblée générale sinon cela risque d'entraîner des frictions.

Qu'en est-il des autres parties prenantes de l'entreprise : les clients, partenaires financiers et fournisseurs, et les syndicats ?

On constate que les interlocuteurs de l'entreprise confondent souvent, par méconnaissance, le statut de société coopérative et participative avec une entreprise autogérée alors que cela n'a rien strictement à voir ! Les Scop sont des entreprises comme les autres qui interviennent sur le marché concurrentiel classique. Donc, là encore, il y a un travail de pédagogie à mener du côté des fournisseurs et des banques. En ce qui concerne les clients, l'accueil est plutôt favorable car ils y voient le signe d'une implication supplémentaire des salariés-associés, ce qui est jugé rassurant. Enfin, les syndicats font souvent preuve d'un raidissement idéologique vis-à-vis des Scop puisque ces dernières sapent complètement la configuration classique de rapport de force, voire de confrontation, entre patronat/actionnaires et salariés. Et, dans les faits, on constate une désyndicalisation des salariés après le passage en Scop parce que l'utilité des syndicats dans le fonctionnement coopératif est plus faible, la régulation sociale se fait autrement.

Quels conseils donneriez-vous à des porteurs de projets prêts à se lancer en Scop ?

D'abord, qu'il ne faut pas avoir peur et, une fois qu'il y a un consensus, il faut se lancer ! Aller au bout de la démarche en l'envisageant sous tous ses aspects économiques, démocratiques, sociaux et humains. Ensuite, il ne faut pas négliger l'aspect psychologique de chaque individu et le déficit d'accompagnement en la matière puisque cela reste l'aspect le moins balisé à ce jour. Enfin, il faut bien avoir conscience que c'est un basculement, pas une simple évolution du fonctionnement de l'entreprise.

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Cet article est issu du dossier intitulé "Les PME de Nouvelle-Aquitaine misent sur le modèle coopératif", paru dans l'hebdomadaire de La Tribune du 29 novembre.

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