L'économie circulaire doit mobiliser plus largement pour arrêter de tourner en rond

ENJEUX. La Région Nouvelle-Aquitaine multiplie les initiatives pour installer l'économie circulaire à tous les étages de l'économie régionale. Un changement d'échelle particulièrement complexe à piloter tant il suppose d'embarquer toute la chaîne de valeur, de mobiliser des moyens financiers importants mais aussi d'agir sur nos comportements collectifs et individuels.
Maud Caruhel, vice-président du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, entourée de Marion Sauvée, présidente de la Fédération des designers de Nouvelle-Aquitaine, et de Bénédicte Salzes, fondatrice et dirigeante de l'entreprise Coquilles, le 6 novembre 2023 lors de la présentation de l'évènement « Made in Nouvelle-Aquitaine ».
Maud Caruhel, vice-président du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, entourée de Marion Sauvée, présidente de la Fédération des designers de Nouvelle-Aquitaine, et de Bénédicte Salzes, fondatrice et dirigeante de l'entreprise Coquilles, le 6 novembre 2023 lors de la présentation de l'évènement « Made in Nouvelle-Aquitaine ». (Crédits : Sébastien Blanquet-Rivière / Région Nouvelle-Aquitaine)

« Nous sommes dans une forme de perma-crise, il est urgent d'agir, de massifier les actions d'accompagnement et de mise en relation des entreprises. Elles sont les premiers acteurs du changement, il faut leur parler de circularité et de sobriété », plaidait Vincent Bost, le directeur d'ADI Nouvelle-Aquitaine, en ouverture de l'évènement Néobusiness, le 8 novembre à Bordeaux. Quelques jours plus tard, c'était au tour de Maud Caruhel, la vice-présidente du conseil régional en charge de l'économie circulaire et de l'ESS, d'appeler à appuyer sur l'accélérateur : « Il existe beaucoup de dispositifs mais il faut accélérer le mouvement dans le sillage de la feuille de route Néo Terra 2 sur la transition écologique que nous venons d'adopter », appuie l'élue, citant notamment le réseau régional Recita ou le plan zéro plastique adopté il y a un an. Mais le chemin est encore long.

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« Intégrer l'amont et l'aval de l'entreprise »

« L'économie circulaire repose sur deux piliers, rappelle Jean-Marc Boursier, le président de l'Inec (Institut national de l'économie circulaire). Économiser les ressources naturelles et promouvoir une économie plus locale, qui crée des emplois chez nous avec l'idée forte de l'inclusion et de l'insertion sociale. » Mais ces objectifs vertueux se heurtent à la réalité plus prosaïque de l'économie de marché : l'offre et la demande. Les entreprises raisonnant d'abord en termes de coûts financiers et de simplicité d'usage, elles ne se saisissent pas naturellement des alternatives au traditionnel modèle : produire, consommer, jeter.

D'autant que, pour être efficace, la démarche doit être intrinsèquement collective :

« On ne peut pas se concentrer seulement sur les dynamiques de cœur d'usine, il faut intégrer aussi l'amont et l'aval de l'entreprise. Il y a énormément d'acteurs à mobiliser pour que ça marche, pour bâtir ces modèles économiques qui n'existent pas encore », pointe ainsi Emmanuelle Ledoux, la directrice générale de l'Inec.

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Construire l'offre et la demande

Car il ne suffit pas d'arriver à fabriquer une matière biosourcée ou un produit issu du recyclage, du réemploi ou d'un reliquat de production, encore faut-il qu'il y ait une demande à mettre en face. Et si possible que celle-ci s'exprime au niveau régional ou national. Un écueil que connaît par cœur Jean-Charles Rinn, à la tête de l'entreprise girondine Adam. « Le bois de 90 % des neuf millions de caisses de vins de Bordeaux vient d'Espagne ou du Portugal alors que nous avons la forêt des Landes de Gascogne juste à côté ! », regrette-t-il. Fondé en 1880, le champion français de l'emballage bois pour le monde du vin vise un approvisionnement 100 % local d'ici 2030 et travaille avec des acteurs de l'ESS en Gironde pour valoriser les coproduits de son activité.

La collecte des gisements de matière première constitue un autre frein puisque cela revient souvent à construire de nouveaux circuits de toutes pièces. « La supply chain est un élément très compliqué mais indispensable de l'économie circulaire », observe Yann Bouchery, enseignant-chercheur chez Kedge BS, qui se montre pourtant optimiste :

« La circularité peut prendre des stratégies très différentes. Il n'y a pas de solution miracle mais il est tout à fait possible de faire de l'économie circulaire environnementalement pertinente et économiquement valable ! »

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Un atelier de fertilisation croisée

Que peuvent faire ensemble des entreprises valorisant les coproduits de textile, de bois, de coquilles d'huîtres, de porcelaine, de vieux cordages ou de sables concassés ? C'est tout l'enjeu de la 2e édition de « Made in Nouvelle-Aquitaine » organisée par la Région et la Fédération des designers de Nouvelle-Aquitaine. Du 30 novembre au 2 décembre, des binômes d'entreprises seront associés à des designers pour imaginer des produits issus de ces croisements de matériaux biosourcés. « L'objectif étant de favoriser une expérimentation hors-cadre mais pas hors-sol puisque les marchés, outils et contraintes de chacun seront bien pris en compte », précise Marion Sauvée, présidente de la FDNA.

Verrous financiers et règlementaires

Sauf qu'à ce stade l'économie circulaire nécessite encore un soutien public financier et/ou règlementaire pour solvabiliser l'offre ou contraindre la demande. « L'enjeu est d'arriver à flécher vers les entreprises des moyens suffisants pour financer leur R&D et, parallèlement, de doter le territoire régional de suffisamment de centres de traitement des différents déchets », juge Maud Caruhel, faisant référence à la filière textile au Pays basque. Elle plaide ainsi conjointement avec l'Inec pour flécher les recettes issues de la TGAP (taxe générale sur les activités polluantes) vers l'économie circulaire. « Il faut beaucoup de capitaux pour modifier les comportements et financer les innovations et la formation aux nouveaux métiers », prévient Jean-Marc Boursier.

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Même si le volet financier est loin d'être le seul verrou à la création de nouvelles boucles économiques, comme le fait remarquer Emmanuelle Ledoux : « Pour les dispositifs d'aides techniques médicales, il y a une offre de seconde main et il y a la demande en face mais le problème est règlementaire puisque la Sécurité sociale ne prend en charge que le neuf ! »

Les acteurs préconisent donc de mobiliser aussi la fiscalité et les obligations légales d'incorporation de matières recyclées comme ce sera le cas, par exemple, pour les batteries des véhicules électriques à partir de 2030. Les éco-organismes qui se structurent, filière par filière, sont aussi une partie de la réponse.

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Changer nos usages et notre philosophie

Enfin, l'accès au gisement doit aussi être une priorité pour générer moins de déchets et mieux les trier à la source. « Il faut s'enlever de la tête que l'économie circulaire c'est le recyclage ! », lance Emmanuel Bejanin, directeur régional de l'Ademe délégué à l'économie circulaire. « Il faut d'abord commencer par réduire les déchets et donc notre consommation de matière » Pour y arriver, le principe du pollueur-payeur reste efficace. La tarification incitative, qui fait varier le montant de la taxe payée en fonction de la quantité de déchets produite, permet ainsi, selon l'Ademe, de réduire d'environ 40 % la quantité d'ordures ménagères résiduelles et d'augmenter de 30 % la collecte des emballages et papiers.

Mais, pour Marc Péna, le PDG du groupe de recyclage du même nom, le problème est plus profond :

« C'est tout notre modèle de consommation qu'il faut modifier parce qu'aujourd'hui, dans l'imaginaire collectif, la consommation c'est le modèle de réalisation. C'est cela qu'il faut changer, c'est une question presque philosophique... »

Et il est grand temps de se réveiller : « L'empreinte carbone globale des Français a diminué de seulement 9 % depuis 1990. Il nous reste huit ans pour atteindre l'objectif de -55 % ! On ne va pas du tout assez vite ! », martèle Jean-Marc Boursier.

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Commentaire 1
à écrit le 17/11/2023 à 9:53
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"mais aussi d'agir sur nos comportements collectifs et individuels" Non c'est bon, cet argument faux rabâché médiatiquement jusqu'à la nausée on en a assez ! Les gens font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont, tant que notre classe dirigeante économi...

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