« Développer les énergies renouvelables ne suffit pas, il faut diviser par deux la consommation »

INTERVIEW. « On ne pourra pas compenser les usages actuels de l'énergie seulement par du renouvelable à l'horizon 2050. » Le Conseil économique, social et environnemental régional de Nouvelle-Aquitaine liste les conditions d'implantation des énergies renouvelables dans un rapport dédié et très documenté. Sobriété, concertation, protection de la biodiversité : la présidente de la commission environnement et représentante de la Ligue de protection des oiseaux, Christine Jean, répond aux questions de La Tribune.
Le 19 octobre, le Conseil économique, social et environnemental de Nouvelle-Aquitaine a publié un rapport donnant les conditions à remplir pour favoriser le déploiement d'énergies renouvelables.
Le 19 octobre, le Conseil économique, social et environnemental de Nouvelle-Aquitaine a publié un rapport donnant les conditions à remplir pour favoriser le déploiement d'énergies renouvelables. (Crédits : Volta)

LA TRIBUNE - Avec 100 % de renouvelable dans la consommation en 2050, l'objectif régional est ambitieux, mais pourrait se heurter à l'absence de sobriété, pointez-vous dans le rapport. Le développement des énergies renouvelables risque-il d'alimenter une consommation insoutenable ?

CHRISTINE JEAN, Ceser Nouvelle-Aquitaine - Cette question-là est au cœur de nos discussions. La première condition que l'on met en avant c'est qu'il ne suffit pas de développer les énergies renouvelables, il faut diviser par deux la consommation énergétique d'ici 2050. Ni la France ni la Nouvelle-Aquitaine n'est sur la trajectoire fixée. L'idée qu'on doit avoir tous en tête, et qui n'est pas évidente on le voit bien à travers les discussions au sein du Ceser, c'est qu'il faut aussi réduire la consommation. Ce n'est pas facile à imaginer. Le Ceser a la chance de pouvoir auditionner des gens divers et variés et on constate que même les plus éloignés du sujet entendent cela. On ne pourra pas compenser les usages actuels de l'énergie seulement par du renouvelable à l'horizon 2050. Acclimaterra [le conseil scientifique néo-aquitain, ndlr] le dit : notre consommation actuelle n'est pas soutenable. Notre rapport s'adresse à la région, à tout le monde mais c'est aussi un travail de pédagogie en notre sein pour s'approprier ce sujet.

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La consommation stagne alors qu'elle aurait dû diminuer. La Région ne se donne donc pas les moyens de ses ambitions ?

Le Ceser a pointé qu'on n'y est pas, c'est une interpellation vis-à-vis de la Région. Il ne suffit pas de se réjouir d'être au-dessus de la moyenne nationale en terme de production d'énergies renouvelables ni d'être la première région photovoltaïque de France. Il faut aussi se poser la question de la trajectoire des réductions.

La Nouvelle-Aquitaine très gourmande en énergie

En 2021, 53,7 % de l'énergie produite en Nouvelle-Aquitaine était d'origine renouvelable, dont deux tiers sont issus de la biomasse, 9 % du photovoltaïque et 6 % de l'éolien. L'objectif fixé par la Région est de passer de 45.000 Gwh produits en 2021, à 62.000 en 2030 puis 89.000 en 2050.

Les EnR représentent 26 % de l'énergie consommée en Nouvelle-Aquitaine, soit bien plus que la moyenne nationale qui s'élève à 19 %. En revanche, les néo-aquitains sont plus gourmands en moyenne puisque la consommation par habitant est de 28,2 Mwh par an contre 26,8 pour un Français. Pour tenir l'objectif à horizon 2050, nos consommations devront être diminuées de 25 % d'ici 2030.

À ce titre, le rapport parle de sobriété collective. Comment l'organiser ?

Ce sujet de la sobriété, on l'a abordé dans plusieurs rapports, comme sur le foncier ou les transports par exemple. La Région a les moyens d'agir à travers ses différentes compétences. Sur la sobriété énergétique, elle aide les entreprises très fortement consommatrices d'énergie à s'améliorer. Les gestes individuels dépendent aussi des politiques menées. Si vous êtes dans un logement déjà énergétiquement efficace, vous allez réduire votre consommation. Mais il faudra veiller à ce que ces économies n'aient pas d'effet rebond en vous entraînant à chauffer davantage. Efficacité et sobriété sont liées, et le faire comprendre passe par la sensibilisation. Dans le rapport, on cite un exemple sur l'autoconsommation. Si on est accompagné dans un projet de ce type, on aborde les questions de production, de consommation et de comportement. Ces projets peuvent associer les citoyens et leur faire prendre conscience de ce que c'est que l'énergie. C'est en ce sens qu'on soutient l'autoconsommation individuelle mais aussi collective.

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Les projets citoyens émergent dans la région mais représentent une part marginale (seulement 0,33 % de la production nationale renouvelable). Est-ce un modèle de développement souhaitable ?

C'est souhaitable, mais le rapport ne prend pas position pour dire que demain il ne faudrait que ça. En revanche, c'est important pour que les gens et les territoires s'approprient toutes les questions liées aux énergies renouvelables. On observe, quand on discute autour de nous, une certaine réticence sur le déploiement d'installations. Si on veut limiter les effets du réchauffement climatique, on va pourtant bien en avoir besoin. Il faut que le citoyen soit présent ! On entend beaucoup parler de l'acceptabilité des projets. La définition de l'acceptabilité doit être posée, ce n'est pas quelque chose qui doit être descendant. Les gens acceptent s'ils comprennent les enjeux et s'ils peuvent agir eux-mêmes. Il ne faut surtout pas oublier le citoyen, il a besoin de se réapproprier le sujet face à l'apparition de nouveaux opérateurs énergétiques.

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Les moyens de concertation en amont doivent-ils être renforcés ?

Oui, il ne faut pas oublier le citoyen. L'acceptabilité n'est pas que pour les élus, les gens sont aussi capables d'appréhender la complexité du sujet. Quand on veut parler d'énergies renouvelables, il faut aussi parler de transitions écologique et énergétique, de climat, d'enjeux environnementaux et sociaux. Tout est lié.

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L'accélération de l'implantation d'énergies renouvelables peut suggérer dans certains cas la destruction des habitats d'espèces protégées. Est-ce le prix à payer pour développer un mix énergétique propre ?

Le Ceser dit qu'il ne faut pas partir de ce principe-là. Là encore, les choses doivent être construites sur les faits, les connaissances et les mettre en débat. Il y a eu celui sur le parc solaire Horizeo par exemple : on a pleins de toitures partout, les gens disent qu'il faut les privilégier pour du photovoltaïque. Les collectivités et l'État ont répondu qu'il n'y en a pas assez, mais tout ça mériterait d'être davantage partagé et questionné. Il y a d'autres pistes à explorer avant d'aller sur des zones naturelles, comme celle de l'agrivoltaïsme à condition que la principale vocation des terres reste la production agricole.

Les logiques économiques à l'œuvre sur le foncier font qu'il est plus facile d'aller sur du terrain naturel que sur des surfaces artificialisées. C'est d'autant plus vrai sur les terres à fort enjeu de biodiversité car elles ont une faible valeur économique.

Le Syndicat des énergies renouvelables dit lui-même qu'il reste peu de place pour les EnR. Pourtant, vous réclamez l'interdiction d'implantation en zone Natura 2000 ou zone humide. Les installations seraient donc concentrées sur certains territoires...

Ce que l'on demande à travers ça, c'est une logique de rationalisation. Si on doit aller au sol, il faut que ce soit pleinement justifié. Si on impacte des milieux naturels, il faut avoir pleinement démontré pourquoi. L'approche doit être pragmatique. Sur l'éolien en mer par exemple, on dit qu'il faut cartographier les besoins en terme de développement et cartographier les zones sensibles à protéger. Ensuite, voyons ce qu'il reste une fois qu'on a enlevé les contraintes environnementales pour implanter des mâts.

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Commentaire 1
à écrit le 05/12/2023 à 9:32
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Ben oui la sobriété d'abord et avant tout, sagesse sérénité et homogénéifié donc, et l'économie circulaire en seconde priorité mais voilà, ils ne parlent que de produire toujours plus, tout heureux de déclarer qu'ils vont multiplier par trois la prod...

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