Dans le sillon d'Elicit Plant, startup de campagne peut être licorne

REPORTAGE. Sur la ferme laboratoire d'Elicit Plant en Charente, ingénieurs agronomes côtoient laborantins et équipes commerciales, sous l’œil de la famille du fondateur. Le tout dans un hameau devenu startup à ciel ouvert où les bâtisses en pierre cachent des laboratoires de pointe pour réduire les besoins en eau des cultures. Un an après sa levée de fonds de 16 millions d'euros, l'entreprise de 80 salariés a doublé ses effectifs pour diffuser massivement son produit alors que les sécheresses se multiplient.
En Charente, sur un domaine agricole familial, la startup Elicit Plant fait grandir un centre d'innovation dédié à réduire le stress hydrique des cultures.
En Charente, sur un domaine agricole familial, la startup Elicit Plant fait grandir un centre d'innovation dédié à réduire le stress hydrique des cultures. (Crédits : DR)

C'est une campagne frontalière, à l'interface des territoires d'Angoulême, de la Dordogne et du Limousin. À tel point qu'on y capte trois stations régionales de la radio France Bleu. Les routes de Charente sont ensoleillées en ce jeudi matin d'avril et les agriculteurs en profitent pour semer le maïs. À l'entrée du lieu-dit « Le Chataîgnier » sur la commune de Moulins-sur-Tardoire, un parking accueille davantage de véhicules qu'il n'y a d'habitations dans le hameau. Le site laboratoire de 40 salariés, implanté au milieu de parcelles conventionnelles et expérimentales, détonne dans cette campagne tranquille.

Elicit Plant est née ici en 2017 parce que c'est le lieu où Aymeric Molin a grandit. Son entreprise combat le stress hydrique des cultures grâce à un produit naturel à base de phytostérols capables de freiner l'évapotranspiration des plantes. Le Charentais s'est associé avec deux partenaires : Olivier Goulay, un chercheur en cosmétique à l'origine de la formule innovante, et Jean-François Deschamps, entrepreneur. L'an passé, le trio a levé 16 millions d'euros pour financer le déploiement de son produit.

« Une solution pour enlever du risque, réduire les conséquences de l'aléa sécheresse directement lié au changement climatique », sème Aymeric Molin, depuis son bureau installé dans la bâtisse familiale où il a grandit. Son père, qui illustre à merveille l'oxymore d'agriculteur à la retraite, traverse la pièce pour remonter sur son tracteur. Avant d'engager son énergie dans l'aventure de chef d'entreprise, Aymeric Molin, 46 ans, était aussi agriculteur sur ce domaine familial. « Je le suis toujours ! Hier soir j'ai semé jusqu'à minuit », recadre-t-il. Pas question de s'arrêter. « J'ai toujours été dans un environnement propice à l'adaptation. Depuis 45 ans, on intègre des innovations sur la ferme » retrace-t-il. Son père avant lui.

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Aymeric Molin Elicit Plant

Le fondateur d'Elicit Plant Aymeric Molin devant les terres familiales. (crédits : MG / La Tribune)

Ici, les terres ne sont pas célèbres pour leur fertilité, mais pour leur roche perméable, la pierre de Vilhonneur, fierté calcaire exposée jusque sur les façades de Bercy et son ministère de l'Économie. Pour les agriculteurs, c'est plutôt une tare qui assèche les sols et avec laquelle ils doivent composer depuis des centaines d'années. « En cœur de Beauce [dans l'Orléanais, ndlr], vous êtes béni des dieux ! Vous n'avez pas besoin d'innover », jalouse-t-il. « Ici, au bout de 15 jours sans pluie, les cultures sont en stress hydrique. » Maudits sols séchant. Devenus force d'adaptation et source d'innovation agronomique.

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15.000 litres expédiés en Ukraine

En 2021, Elicit Plant obtenait l'autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) pour son produit capable de réduire de 15 à 20 % les besoins en eau des cultures. Le traitement, pulvérisé en phase de croissance de la plante, est permis en France sur le maïs et le soja. Bientôt pour le tournesol. Pour le colza, l'efficacité n'est pas assez satisfaisante selon le chef d'entreprise. Avec un prix de 40 euros le litre, la ferme charentaise a récolté un chiffre d'affaires presque anecdotique : 1,8 million d'euros en 2022. Il doit au moins quadrupler cette année alors que le produit s'exporte bien : en Pologne, au Brésil et même en Ukraine.

Ce matin-là, devant l'entrepôt à quelques kilomètres du laboratoire, un 44 tonnes est stationné. Sur la plaque d'immatriculation, « UA » pour Ukraine. Dans la bouche du conducteur, pas un mot. Il ne parle pas anglais, et personne sur la plateforme d'expédition ne manie les dialectes d'Europe de l'Est. Le convoi est ici pour embarquer 15.000 litres de produit à destination d'une vingtaine d'exploitations de plusieurs milliers d'hectares chacune. Ainsi va l'agriculture de masse, même en temps de guerre, dans les plaines céréalières d'Ukraine.

En solidarité avec le peuple attaqué par la Russie, Elicit Plant avait fait don l'an dernier de plusieurs milliers de litres aux agriculteurs touchés par la guerre. Ils le lui rendent bien. La commande expédiée est une des plus grosses de l'année. « Normalement, ils doivent nous envoyer quelques photos à l'arrivée ! », glisse la responsable logistique. Le bureau commercial a été maintenu à Kiev pour continuer à soutenir une agriculture fragilisée... et développer un business lucratif.

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elicit plant expédition ukraine

Le conducteur ukrainien récupère la commande qu'il va transporter sur 3.500 kilomètres. (crédits : MG / La Tribune)

Hameau des talents

Sur le parvis de la maison familiale, reconvertie en siège social de l'entreprise, deux jeunes agronomes préparent des échantillons, déclinaison du produit vedette. « On teste différentes formules, pour les adapter à plusieurs plantes », explique Jérôme tout en réalisant les mélanges. Dans une heure, les mixtures seront appliquées sur des micro-parcelles expérimentales. Le jeune agronome est employé par la pépite charentaise depuis deux ans, avec le souhait de pouvoir « aider la filière agricole à se protéger » et « à aller de l'avant ».

À l'image d'une génération qui requestionne les modèles agricoles, il a écouté le discours de huit étudiants d'Agro Paris Tech qui, lors de leur remise des diplômes, ont expliqué vouloir « bifurquer » plutôt que de servir l'appétit de « l'agro-industrie » :

« Je trouve pertinent d'exprimer le mal-être d'un sentiment de déconnexion par rapport à l'agriculture », approuve-t-il avant de nuancer que le discours portait « pas mal de solutions un peu égoïstes alors qu'il nous faut des solutions collectives ».

agronomes Elicit Plant

Les agronomes sont chargés de tester des variantes du produit et de mesurer leur effet sur les cultures. (crédits : MG / La Tribune)

Le hameau en quête d'innovation abrite des logements pour étudiants et une cuisine commune dans d'anciens corps de fermes. Sur la bâtisse principale, la cheminée en pierre était là bien avant que les équipes commerciales n'occupent le rez-de-chaussée. À l'étage, il ne faut pas trop déranger les ingénieurs agronomes. Dans le prolongement, deux laboratoires de chimie et de biologie à la pointe de la recherche. « Le tout premier labo était dans sa cuisine », se souvient Solange, première salariée de l'entreprise, en pointant le fondateur.

La moitié des effectifs travaille ici, soit 30 à 40 personnes, pour 45 % de femmes et beaucoup de profils entre 25 et 35 ans. Malgré un bassin de vie peu dynamique, mais au cadré agréable, les équipes ne connaissent pas les difficultés de recrutement. Mieux encore, elles parviennent à attirer des pointures : une agronome docteure en chimie du végétal, un expert en traitement data et, plus récemment, « la star » Pamela Marrone, entrepreneuse américaine pionnière des bio-solutions devenue présidente du conseil d'administration.

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« Ce n'est pas la révolution, c'est la transition »

Au total, la startup foisonne dans 950 m2 de bâtiments, une surface qui va presque doubler avec l'aménagement des maisons voisines rachetées. Le hameau entier va finir par ressembler à un campus scientifique. Mais rien n'est dédié à la production. Le produit d'Elicit Plant est fabriqué par un industriel des produits agrochimiques, Phyteurop, basé à 200 kilomètres de là dans le Maine-et-Loire. « En 53 ans d'activité, c'est le produit le plus complexe qu'ils aient eu à élaborer », jure Aymeric Molin. Lancer une ligne de production à grande échelle coûterait beaucoup trop cher à la jeune entreprise. Les stocks eux sont bien réceptionnés sur son site charentais avant d'être expédiés en Europe. L'autorisation de commercialisation à l'échelle du continent est d'ailleurs attendue avec impatience.

elicit plant parcelle expérimentale

Une parcelle expérimentale à proximité du site laboratoire où le produit est pulvérisé à la main. (crédits : DR)

Elicit Plant envisage une diffusion de masse de son produit pour économiser l'eau à grande échelle, alors que la ressource devient une denrée rare et disputée en agriculture. Quelques semaines auparavant, le département voisin des Deux-Sèvres a connu de violents affrontements autour de la « méga-bassine » de Sainte-Soline en protestation à « l'accaparement de l'eau ». En considérant les retenues d'eau comme un « outil intéressant dans leur globalité », Aymeric Molin regrette la tournure prise par les événements. « Ma philosophie ce n'est pas la révolution, c'est la transition », rebondit le chef d'entreprise, convaincu que l'adaptation se fera par l'alliance entre « l'incitation à l'innovation » et « la contrainte de la réglementation ».

L'an dernier, les dirigeants annonçaient vouloir atteindre la rentabilité en 2024. Rien de très stimulant pour ces fanas de l'innovation. Alors, la ferme charentaise va continuer à investir sur la recherche, notamment pour rendre son traitement compatible avec le cahier des charges de l'agriculture biologique. Le potentiel de l'entreprise est immense, à tel point qu'on parle d'elle comme d'une future licorne. « Notre but n'est pas celui de devenir une licorne ou non, c'est de satisfaire nos clients dans les pays où notre technologie apporte une solution rentable. Alors nous serons peut-être une licorne », écrit Aymeric Molin, interrogé après notre reportage. Éprouvé par ses deux fonctions, il n'en demeure pas moins obsédé par un mantra brandit à répétition : « créer de la valeur pour l'agriculteur. » Bien utile à l'heure où les modèles traditionnels se meurent.

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