Dans les Deux-Sèvres, les « bassines » prises dans les violences et les luttes globales

REPORTAGE. Malgré l'interdiction de la préfecture, les anti-bassines ont réuni hier la plus grande mobilisation jamais vue contre ces infrastructures d'irrigation agricole. Les violences commises par une minorité du cortège et la présence de nombreux groupes militants inscrivent le mouvement dans une lutte globale sur un territoire pourtant singulier.
La manifestation interdite à Sainte-Soline ce samedi 25 mars a dérivé avec de nombreuses violences commises.
La manifestation interdite à Sainte-Soline ce samedi 25 mars a dérivé avec de nombreuses violences commises. (Crédits : Agence APPA)

La pluie n'est pas tombée sur Sainte-Soline. Le ciel sur les têtes, si. La peur du cortège des bocages n'est pas liée à l'irréductible croyance gauloise, mais à « l'accaparement de la ressource en eau ». En convergeant ce samedi vers la retenue de Sainte-Soline, encore en construction dans le sud des Deux-Sèvres, les manifestants ont concrétisé la plus grande mobilisation jamais vue dans le département avec 6.000 personnes selon la préfecture, 30.000 pour les organisateurs, en opposition aux projets des agriculteurs irrigants de la Coop de l'eau.

Dans le Marais Poitevin, deuxième zone humide du pays, ils sont plus de 400 à vouloir construire seize réserves d'eau à ciel ouvert pour diminuer in fine le volume total de leurs prélèvements. « Sans ce projet, nous passerons de 10 à 2 agriculteurs par commune », préviennent-ils. En face, les « anti-bassines » ont érigé le territoire en un symbole qui les dépasse complètement. Au milieu d'une prairie réduite en gadoue, entre campement et convoi de tracteurs arrivé la veille, une remorque agricole fait office de tribune.

« Si on a concentré autant d'énergie, avec joie et enthousiasme depuis un an et demi, c'est parce que si on les arrête ça les forcera à changer ce modèle industriel », espérait Benoît Feuillu, porte-parole des Soulèvements de la Terre, aux prémices de la journée. Les 16 réserves de substitution projetées sur le bassin de la Sèvre Niortaise doivent permettre aux syndicats agroalimentaires et à leurs soutiens politiques de prouver la pertinence des infrastructures avant d'envisager un déploiement national.

Cailloux et cocktails Molotov

Alors forcément, le mouvement « anti-bassines » agrège au-delà du « peuple de l'eau ». « Arrêtez les chantiers, arrêtez la réforme ! », lance la députée France Insoumise Clémence Guetté dans un argumentaire éloigné des seules questions agricoles. La mobilisation contre la réforme des retraites s'est intensifiée cette semaine et la foule compte bien le montrer : l'hostilité au pouvoir semble prégnante face à la seule question de l'eau.

manifestation anti-bassines Sainte-Soline 25.03

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Les manifestants aux abords de la réserve de Sainte-Soline le 25 mars. (crédits : MG /La Tribune)

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« Ce sont l'État et la préfecture qui ont rendu les échanges impossibles », tance Julien Le Guet. Le porte-parole de Bassines Non Merci, collectif à l'initiative de l'acte printanier, est aussi batelier sur le Marais Poitevin. Après avoir interdit la manifestation de ce week-end, la préfecture lui a également interdit de pénétrer sur la commune de Sainte-Soline. Pas de quoi l'empêcher d'appeler à ramasser les pierres dans les champs pour en faire un « objet défensif » face aux forces de l'ordre.

« Ce caillou doit être le tombeau des projets de méga-bassines, ce caillou doit être le tombeau de l'agro-industrie », a-t-il brandi. Dès l'approche des premiers groupes de manifestants autour de la retenue d'eau, à plusieurs kilomètres de marche de leur camp de base, les cailloux pleuvent sur les forces de l'ordre. Mais aussi les cocktails Molotov préparés par plusieurs groupes masqués.

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Des centaines d'activistes ont procédé à des jets offensifs sans parvenir à pénétrer l'enceinte du chanter. (crédits : Agence APPA)

« J'ai l'impression qu'on prend une centrale nucléaire »

Les affrontements violents durent plus d'une heure entre forces de l'ordre qui ceinturent la « bassine » vide et des centaines d'activistes. Alors que quatre véhicules de gendarmerie sont incendiés, les premiers blessés côté manifestants sont évacués vers l'arrière. « Si vous ne faites rien, vous pouvez faire des tas de cailloux, c'est utile pour ceux qui sont à l'avant », harangue une jeune femme au visage dissimulé. Le message a bien été passé. Les forces de l'ordre usent de grenades assourdissantes, de désencerclement, de gaz lacrymogènes mais aussi de LBD.

La non-violence, prônée par les collectifs à l'origine de la mobilisation et respectée par une majorité des manifestants, n'a pas tenu. 47 gendarmes ont été blessés, dont deux en état d'urgence absolue. Une centaine côté manifestants selon les différents groupes médicaux interrogés, 200 selon les organisateurs dont deux également en urgence absolue. Lundi matin, le pronostic vital d'un manifestant est toujours engagé.

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De nombreux blessés ont été évacués par des secours non-officiels. (crédits : Agence APPA)

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Réactions en marge de la mobilisation

La Première ministre Élisabeth Borne a pointé un « déferlement de violence intolérable » hier. En réponse, les organisateurs de la manifestation ont qualifié ce dimanche d'« opération de répression massive » les agissements des forces de l'ordre. Des observateurs de la Ligue des droits de l'Homme ont fait état de « plusieurs cas d'entraves au secours » de la part des forces de l'ordre, sur lesquelles ils rendront un rapport.

« J'ai l'impression qu'on prend une centrale nucléaire, voire deux », commente Cédric (le prénom a été changé) depuis l'arrière. Le Rochelais était déjà présent il y a un an et voit que le mouvement a pris de l'ampleur, à la fois en violence et en nombre. « Aujourd'hui j'ai croisé énormément de familles. Ça gagne du monde dans la population, c'est l'eau mais c'est plus large », observe-t-il.

Militants et paysans internationaux

« J'aurais préféré que ça ne se passe pas chez nous. Mais je trouve quand même ça très bien. On alerte sur une crise globale », juge Pascal, habitant de la forêt de Chizé dans la Vienne. L'habitué des marches « anti-bassines » se rappelle du démontage sauvage l'an passé, au nord de la Charente-Maritime, d'une pompe après que la justice a déclaré l'illégalité de cinq infrastructures.

L'étude d'impact autour de la réserve de Sainte-Soline, comme pour les 15 autres de la Coop de l'eau, a quant à elle été validée en 2021 par le Tribunal administratif de Poitiers. Mais les opposants continuent à demander avec fermeté l'abandon des projets. La juridiction tiendra une audience ce mardi sur un recours des associations environnementales pour faire annuler l'autorisation de construction des 16 retenues d'eau.

« Ils protègent un trou financé par l'argent public pour fournir de l'eau à 5 % des agriculteurs », accuse l'eurodéputé écologiste Benoît Biteau alors que la réserve de Sainte-Soline n'est pas encore bâchée. En 2011, à la vice-présidence de la région Poitou-Charentes, il proposait une réglementation priorisant la reconstitution des nappes phréatiques à l'aménagement de retenues. Pas de quoi empêcher les irrigants deux-sévriens d'avancer de leur côté et de servir d'exemple. « C'est ce qui explique que la mobilisation est nationale », relie Benoît Biteau qui a formé un cordon de sécurité avec d'autres élus pour protéger les blessés avant d'être gazés à distance par les brigades mobiles.

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Les élus écologistes Benoît Biteau et Marine Tondelier ont participé au cortège du 25 mars. (crédits : MG /La Tribune)

Des militants internationaux se sont aussi mobilisés ce week-end pour saisir le symbole, au côté de nombreux agriculteurs de la mouvance paysanne. « A l'échelle locale, on a nos combats mais on participe aussi aux luttes globales comme ici », illustre Élise, animatrice du syndicat agricole basque ELB. Comme l'expression d'un acte qui dépasse définitivement la question de la pertinence des réserves d'eau sur le seul Marais Poitevin. L'avenir de ces infrastructures, autour desquelles s'organise un combat idéologique, conditionnera le futur de la gestion de la ressource en eau à une échelle bien plus globale.

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[Mise à jour lundi matin après l'actualisation du bilan côté forces de l'ordre]

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