LA TRIBUNE - Quelle est la situation des agriculteurs en Ukraine après trois mois de guerre ?
Kateryna Shor - 55 % du territoire ukrainien est mobilisé par l'agriculture. Nous avons donc un très grand volume de terres cultivées. Maintenant, à cause de la guerre et de l'occupation du territoire, nous avons perdu environ 30 % des terres agricoles. Au sud de l'Ukraine, les agriculteurs continuent à travailler, mais ce n'est pas le cas dans la plupart des régions occupées. Les attaques continuent quotidiennement.
Comme pour la France, l'agriculture biologique était sur une dynamique de croissance constante en Ukraine. Mais l'arrivée de la guerre avec l'inflation change la donne. Est-ce un coup d'arrêt définitif pour vous ?
Non. Nous communiquons avec les agriculteurs, beaucoup. Nous avons initié un programme de soutien à l'agriculture biologique qui représentait 462.000 hectares en 2020 [contre 2,55 millions d'hectares en France, NDLR]. Nous allons apporter un soutien financier, en particulier pour les plus petits producteurs. Pour la première vague de soutien de ce programme, 100.000 euros vont être distribués à 70 opérateurs, principalement pour s'approvisionner en fournitures et en produits. Alors que des changements dans la production avaient été initiés avant la guerre, les réseaux de vente se sont brutalement arrêtés. D'importants lieux de stockage et de vente ont été détruits. Donc nous devons revoir la logistique des produits.
A cause de la guerre, les agriculteurs ne peuvent plus acheminer leur production. Des millions de gens se sont déplacés ou ont fui, principalement des familles. Ils constituaient le principal groupe de consommateurs pour l'agriculture biologique. Certains agriculteurs souhaitent tellement maintenir une agriculture biologique qu'ils ont choisi de réduire leurs prix pour les aligner sur ceux de l'agriculture conventionnelle.
Alors que l'agriculture ukrainienne repose fortement sur l'exportation, les circuits d'acheminement se retrouvent coupés. La production ukrainienne peut-elle être stockée encore plusieurs mois ?
Cette question concerne effectivement l'agriculture conventionnelle. Pour la bio, la production s'élève à 1 %, voire moins, de la production agricole totale du pays donc il n'y a pas beaucoup de stocks ! Avec notre programme, nous achetons les denrées des agriculteurs bios pour les donner aux réfugiés et ceux qui ont besoin d'une alimentation d'urgence. Sinon, certains agriculteurs donnent directement leur production pour nourrir la population. Mais la question des débouchés va devenir un problème en septembre prochain après la période de récolte.
L'Union européenne peut-elle participer à créer une nouvelle voie d'exportation alors que les échanges sont à l'arrêt ?
Ils ne le sont pas totalement. L'agriculture bio bénéficie d'un privilège. Il y a moins de production que le conventionnel en quantité. Après un blocage total pendant un mois, les producteurs de bio se sont réunis pour coordonner leurs exports. Aujourd'hui, il y a un port qui est toujours sous contrôle ukrainien, à la frontière roumaine. Tous les exports de la bio se font par cette unique voie. C'est la seule. Ils essayent aussi par train et c'est assez adapté aux volumes de l'agriculture biologique mais cette voie est beaucoup plus incertaine.
Est-ce que l'agriculture biologique est moins touchée que l'agriculture conventionnelle par la guerre grâce à sa méthode de production ?
Les agriculteurs conventionnels importent des engrais et des fertilisants de Russie et Biélorussie. Mais ils l'ont fait avec le début de la saison donc ils ne connaissent pas de pénurie. En revanche, ils sont obligés de limiter leur usage et consomment donc moins d'intrants. Pour la bio, il est plus difficile d'anticiper les périodes de traitement et donc de prévoir l'achat de fertilisants. Alors certains fournisseurs aident les agriculteurs en leur fournissant gratuitement ce dont ils ont besoin. Tout le monde est ensemble pour participer à l'effort de production.
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