
Autour des locaux de Reflet du monde, à Saint-Aubin-de-Médoc en Gironde, rien ne vole. En vertu des premières réglementations autour des usages de drone édictées en 2014, il faut formuler une demande de vol cinq jours avant d'opérer un décollage. Un cadre réglementaire qui a justement permis aux associés Lilian Marolleau et Patrice Rosier de lancer officiellement Reflet du monde en 2014 après une phase d'incubation à Bordeaux Technowest.
Huit ans après cette création, le modèle économique de l'entreprise est rodé avec 700.000 euros de chiffre d'affaires pour une dizaine de salariés. L'entreprise s'est même installée en 2020 dans des locaux neufs de 450 m2 et déjà étroits. Mais entre des activités de formation en pilotage, prestations de drone, vente en ligne et dans sa boutique mais aussi de recherche et développement, son potentiel paraît encore maigrement exploité.
La faute aux investisseurs trop frileux selon son co-gérant. « On a eu des refus de financement de nos projets R&D, notamment avec Bpifrance. Ça a freiné nos ardeurs », tance Patrice Rosier. Derrière lui, le poster d'un des projets avortés qui nécessitait 500.000 euros de financement. « Dix ans après, tout le monde est en train chercher ce type de drone capable de voler pendant plusieurs heures à longue distance, avec des applications militaires ou civiles » regrette-t-il, amer.
Largage d'insectes
Pour mobiliser les financeurs, l'entreprise girondine annonce un tournant stratégique. Après avoir misé sur un développement long et linéaire, Reflet du monde va lancer une startup dédiée aux drones agricoles. Un segment très porteur, où la demande des coopératives et des chambres d'agriculture est forte, mais sur lequel l'entreprise n'a pas le temps de tout miser tant ses domaines de commercialisation sont divers : imagerie, renseignement militaire, prévention incendie ou encore aéromodélisme.
Sa startup baptisée Agrodrone commercialisera des engins pour l'épandage et la pulvérisation de traitements agricoles, le largage d'insectes protecteurs des cultures et de couverts végétaux capteurs de carbone. D'autant plus pratiques, les drones seront capables de mesurer le gain environnemental induit, ce qui intéresse particulièrement les chambres d'agriculture qui cherchent à mobiliser les exploitations pour diminuer leur empreinte carbone et valoriser leurs capacités de captation.
Le drone RDM-AG est équipé d'un réservoir aussi bien capable d'embarquer des produits de biocontrôle que des capsules de larves d'insectes. (Crédits : MG / La Tribune Bordeaux)
Les drones agricoles seront capables de voler 15 minutes au-dessus des cultures avec une charge utile embarquée - produits de biocontrôle ou capsules - de 12 kilos, pour un poids total de 25 kilos. Jusqu'ici, Reflet du monde commercialisait ces services agricoles sous forme de prestations en dépêchant sur place un pilote. Mais avec Agrodrone, l'idée sera de glisser vers un système de location par abonnement d'un système opérationnel. L'entreprise compte sur les dispositifs d'aides à l'agriculture en faveur de pratiques environnementales pour convaincre ses clients. Pour décoller, Agrodrone affiche des besoins de financement de l'ordre d'un million d'euros.
« Les drones participent à la transition numérique »
Entre les impacts du changement climatique et les nécessités de la transition agro-écologique, Patrice Rosier veut croire en la réceptivité des investisseurs. Jusqu'ici, la percée du drone était perçue comme un effet de mode, sans débouchés autre que le loisir. « Des pré-donneurs se sont déjà manifestés. Le lancement de la startup a même été retardé notamment parce qu'on a eu des gens qui nous ont contacté en disant être intéressé pour investir », s'enthousiasme-t-il. C'est le cas des plateformes de financement participatif WiSeed et Sowefund mais aussi de Maïsadour et Vivadour. Deux coopératives du Sud-Ouest qui avaient sollicité Reflet du monde dès 2017 pour développer des drones aux applications agricoles.
Les capsules d'insectes trichogrammes permettent de lutter contre les invasifs comme la pyrale du maïs. (Crédits : MG / La Tribune Bordeaux)
La technologie est donc déjà éprouvée et les clients, principalement des groupes coopératifs mais aussi des chefs d'exploitation, ciblés. Le moment est propice. « Tout le monde entend parler de transition numérique dans tous les domaines. On considère que les drones participent à cette révolution » fait-il valoir. Une exhortation ancrée dans la tête du chef d'entreprise depuis bientôt vingt ans et sa médaille au concours Lépine. L'ingénieur de formation a dû être très patient avant d'entrevoir la percée de son domaine sur le marché. Enfin, les portes semblent grandes ouvertes pour Reflet du monde, ses concurrents Azur drones, Delair et toute la filière drone, également très sollicitée avec le contexte géopolitique. « Le drone a complètement changé la face de la guerre en Ukraine. Le monde de l'armement est face à un bouleversement », observe Patrice Rosier.
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