Malgré le choc dévastateur qu'il provoque sur la vie économique, le confinement généré par la pandémie de coronavirus n'a pas empêché Treefrog Therapeutics (Thérapies de la rainette -NDLR) de bouger et même de faire un nouveau bond en avant, puisque la startup a réussi a déménager en plein blitz viral. Un changement d'adresse et de moyens d'action que Maxime Feyeux, biologiste et président de la société créée en 2018, et Kevin Alessandri, physicien et directeur général, attendaient depuis plusieurs mois.
"La startup a quitté l'École nationale supérieure de technologie des biomolécules de Bordeaux (ENSTBB), sur le campus, pour aller s'installer dans ses nouveaux locaux de Pessac Bersol le 15 avril. Treefrog Therapeutics dispose désormais d'une surface totale de 1.200 m2, dont une salle blanche de 150 m2. Ce déménagement en plein confinement s'est bien passé", rembobine Jean-Luc Treillou.
Ce dernier, qui préside le conseil d'administration de la startup, est l'un des cofondateurs de Treefrog Therapeutics, avec Maxime Feyeux, Kevin Alessandri, Erwan Bezard, Laurent Cognet et Pierre Nassoy.
Un spécialiste de la création de sociétés innovantes
Ce transfuge de l'industrie pharmaceutique (GlaxoSmithKline/Sanofi) est titulaire d'un doctorat en pharmacie de l'université de Tours, mais aussi diplômé en commerce et en management, et titulaire d'un certificat d'administrateur de sociétés décroché à Sciences Po. Ex-dirigeant de LNC Therapeutics, où il est resté au conseil d'administration, et membre du conseil d'administration d'une autre startup bordelaise, e-Shard, Jean-Luc Treillou semble bien parti pour devenir le nouvel homme fort de l'écosystème bordelais des jeunes pousses de la deeptech, ces entreprises porteuses d'innovations technologiques issues, de façon directe ou indirecte, de la recherche fondamentale.
"Je me définis comme fan absolu de l'innovation et de la structuration de projets qui deviennent des entreprises", résume Jean-Luc Treillou, qui souligne ne pas vouloir se mettre en avant. Treefrog Therapeutics, qui avec sa technologie C-Stem se propose de révolutionner la production de cellules souches pluripotentes induites (CSPI), entre parfaitement dans ce monde des startups à très fort potentiel scientifique.
C-Stem vise à produire en masse des cellules souches pluripotentes induites (CSPI) avec un minimum d'espace et de matériel (crédits : J-Philippe Déjean).
La création des CSPI : un exploit et un prix Nobel
Au lieu d'être prélevées sur des embryons humains, les cellules souches pluripotentes induites sont des cellules adultes, différenciées, dans la fabrication de peau ou de cellules sanguines, par exemple, qui sont ramenées à leur état embryonnaire à la suite d'une opération délicate, qui modifie leur ADN. En redevenant pluripotentes ces cellules, qui ont cessé d'être adultes, sont à nouveau capables de fabriquer presque n'importe quel type de tissu organique.
Cette innovation biotechnologique, qui date de 2006, est encore considérée comme un exploit par de nombreux spécialistes car elle était réputée impossible. Elle a valu à son auteur, le professeur Shinya Yamanaka, de l'université de Kyoto (Japon), le prix Nobel de Médecine en 2012. Mais malgré cette percée, la production de CSPI, dont la médecine a grand besoin pour développer des thérapies géniques, qui doivent normalement permettre de réparer aussi bien des poumons que des neurones, ne suit pas.
C-Stem empêche l'auto-destruction des cellules
Au point qu'il y a une véritable pénurie de ces cellules souches pluripotentes induites, qui se négocient au tarif délirant de 10 M€ le kilo ! Tout ça parce que les CSPI ne supportent pas d'être cultivées dans les classiques boîtes de Pétri (technologie 2D). Le stress qu'elles subissent dans cet environnement est tel, qu'elles s'y suicident en masse (apoptose). Et c'est bien à ce problème crucial, d'envergure mondiale, que répond Treefrog Therapeutics, avec sa nouvelle technologie propriétaire C-Stem. Avec ses capsules tridimensionnelles (technologie 3D) biomimétiques, cette dernière supprime le stress des CSPI.
Car avec la technologie C-Stem, protégée par sept brevets, les CSPI sont logées dans des capsules de 200 micromètres de diamètre qui recréent en miniature l'organe qu'elles vont devoir fabriquer (poumon, cœur, etc.), sans le moindre stress. Sachant que C-Stem permet d'encapsuler à haut débit les CSPI, au rythme de 1.000 à la seconde, dans des bioréacteurs industriels. Ce qui doit lui permettre de diviser par 10 le coût de production des CSPI.
Maxime Feyeux et Kevin Alessandri dans les nouveaux locaux de Treefrog Therapeutics (TFT)
La barre des 40 salariés visée d'ici un an
La startup a notamment démontré l'efficacité de sa nouvelle technologie en avril 2019 en livrant un premier lot de 143 millions de cellules souches pluripotentes induites à l'institut des maladies géniques Imagine. Un IHU (institut hospitalo-universitaire) parisien qui regroupe 25 laboratoires de recherche. La montée en puissance de cette startup fondée en 2018 est si rapide, qu'elle doit tout d'abord faire face à l'explosion de son effectif.
"Treefrog Therapeutics a réalisé une levée de fonds de 7,1 M€ en avril 2019 et la startup devait se doter de tout ce qui lui permettrait de délivrer son potentiel. Ce qui a conduit Maxime Feyeux et Kevin Alessandri à passer avec leur entreprise de quatre personnes il y a dix-huit mois, à 26, début 2019, tout en visant plus de 40 dans un an ! Que des chercheurs comme Max et Kevin arrivent à gérer un aussi important plan de recrutement et de développement entrepreneurial c'est vraiment une performance", commente Jean-Luc Treillou.
D'autant que Treefrog Therapeutics, sélectionnée au sein du French Tech 120 en janvier dernier, recrute des salariés de haut niveau, parmi lesquels figure Marie Catoire, qui était jusque ici directrice de l'accompagnement des startups à Bordeaux Unitec.
Se rapprocher des grands groupes, pour qu'ils voient
La direction de la startup relève, à la suite de l'annonce officielle de son déménagement, que ce premier site industriel de Pessac Bersol n'a coûté que 2 M€ et qu'il va atteindre une production de 80 milliards de CSPI par an en 2021 avec 40 salariés. Soit un minuscule mouchoir de poche industriel aux gigantesques capacités de production, comme ont déjà eu l'occasion de souligner Maxime Feyeux et Kevin Alessandri, par rapport aux énormes installations existantes et faiblement productives, qui existent déjà, en particulier au Japon.
Etant donné la nature des enjeux il est facile de comprendre que Treefrog Therapeutics s'apprête à livrer bataille pour prendre, le plus rapidement possible, l'ascendant sur le marché mondial. Stratégie qui suppose une présence internationale et d'importants investissements.
"TreeFrog Therapeutics va devoir mettre en place des démonstrateurs dans les marchés clés d'ici la deuxième partie de 2021 pour que nos clients/partenaires n'aient pas besoin de traverser l'Atlantique ou le Pacifique pour venir voir de quoi il en retourne, confirme Jean-Luc Treillou. Nous sommes désormais bien visibles sur la carte du monde des thérapies cellulaires, poursuit-il, mais un grand groupe pharmaceutique voudra toujours voir de ses propres yeux le processus en action. Ce sont des géants de plusieurs centaines de milliers de personnes, face à une très jeune et très petite entreprise : ils ont besoin d'être réassurés. Nous ne savons pas encore combien ces hubs vont nous coûter, mais nous savons qu'il faudra les créer, aussi bien au Japon qu'aux Etats-Unis."
Une des boites de Pétri que ne supportent pas les CSPI
Une prochaine levée de fonds négociée à l'international
Sur le plan financier les enjeux vont également changer d'échelle, et le prochain tour de table va se compter en dizaines de millions d'euros. Un virage qu'éclaire en détail le président du conseil d'administration.
"Cette stratégie nécessite une nouvelle levée de fonds. Nous avons fait un premier tour A à 7,1 M€. Et pour ce tour B, qui aura lieu en 2021, nous allons logiquement jouer sur une levée de fonds qui va monter à plusieurs dizaines de millions d'euros ! Pour des montants de ce niveau il faut aller à l'international pour appuyer les fonds Européens qui vont être sollicités, décrypte Jean-Luc Treillou. Nous avons commencé notre histoire, poursuit-il, avec des fonds d'investissement qui confortent notre ancrage régional, avec les Bordelais de Galia Gestion, l'Irdi, à Toulouse, sans oublier la Région Nouvelle-Aquitaine via ACI et Aqui Invest. Nous devons avancer pas à pas et rester cohérents avec nos ambitions long-terme et aligner financement et stratégie industrielle. Notre ambition initiale reste pleine et entière : créer en Nouvelle-Aquitaine l'unité la plus pointue au monde de fabrication pour les thérapies cellulaires".
Pas question donc pour la direction de Treefrog Therapeutics de rompre avec son ancrage en Nouvelle-Aquitaine, quoi qu'il arrive.
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