Comment Airbnb perturbe les équilibres urbains en Nouvelle-Aquitaine

Gentrification, départ des commerces du quotidien, professionnalisation des hôtes : une étude scientifique montre les effets pervers des plateformes de location de courte durée sur l'espace urbain en Nouvelle-Aquitaine. Airbnb contribue à changer la face des grandes villes comme des plus petites alors qu'élus locaux et députés veulent durcir la réglementation.
Maxime Giraudeau
L'offre de logements sur Airbnb s'intensifie dans les quartiers dotés de bars et restaurants, comme ici place du Parlement à Bordeaux.
L'offre de logements sur Airbnb s'intensifie dans les quartiers dotés de bars et restaurants, comme ici place du Parlement à Bordeaux. (Crédits : Agence APPA)

Les villes sont par essence des lieux de transformation, reflet des évolutions économiques et sociétales. Mais il n'empêche que l'arrivée d'Airbnb et Home Away, ces plateformes de location de logements pour des courtes durées, ont contribué à une accélération inédite des mutations urbaines, en faisant la part belle à l'essor touristique au détriment des résidents. C'est ce qui ressort d'une première étude menée à l'échelle de la Nouvelle-Aquitaine par des chercheurs des universités de Pau, Poitiers, La Rochelle et Nantes (*).

Les cinq auteurs, Calum Robertson, Sylvain Dejean, Fabien Candau, Raphaël Suire et Lauriane Belloy, se sont attachés à mesurer l'impact réel des plateformes sur l'espace. Dans la région, trois villes sont particulièrement concernées : Bordeaux, Biarritz et La Rochelle. À elles trois, elles représentent près de 20 % des logements loués en Nouvelle-Aquitaine. Une activité à la croissance exponentielle qui fait pâlir les professionnels de l'immobilier : +254 % de nuits réservées chaque mois entre 2016 et 2019 et, des revenus pour les hôtes qui progressent de +340 % sur cette même période.

Lire aussiTourisme : comment Parcel veut installer 100 tiny houses chez des agriculteurs d'ici fin 2024

Gentrification

« Le développement a commencé par les métropoles, puis s'est diffusé dans tous les territoires où le tourisme est important. Maintenant, on en trouve un peu partout où il faut loger des gens ponctuellement ou toute l'année », retrace Sylvain Dejean, maître de conférences en économie à l'Université de La Rochelle. L'étude enseigne à ce titre que « les petites communes touristiques sur la côte Atlantique et en Dordogne sont, en proportion du nombre de logements dans la commune, plus impactées par les plateformes ». Cette diffusion a été particulièrement visible à la sortie du premier confinement « dans les espaces aux fortes aménités naturelles moins denses en touristes ».

Dans les villes, la forte poussée d'Airbnb, qui a entrainé l'apparition parfois chaotique de réglementations à Bordeaux, à La Rochelle et au Pays basque, raréfie l'offre locative classique contribuant ainsi à la hausse des prix immobiliers et à l'accélération d'un phénomène déjà bien connu : la gentrification. « Le remplacement des résidents par des personnes aux revenus plus aisés », traduit Lauriane Belloy, doctorante en sciences économiques à l'Université de Pau et des pays de l'Adour. « Avec la hausse des prix, on voit apparaître la gentrification comme un effet de long terme, ce qui peut poser problème pour le logement des personnes les moins aisées. »

« Moins de boulangeries et plus de bars à vins »

Exemple emblématique de cette relégation - dont les plateformes sont loin d'être les seules responsables - le quartier des Minimes à La Rochelle. Ce secteur plaisancier au sud du centre-ville a longtemps été privilégié par les étudiants pour sa proximité avec les facultés. Mais alors que les prix de vente y atteignent désormais plus de 5.000 euros du m2, les propriétaires préfèrent se tourner vers la location courte durée afin de maximiser leurs revenus. En opposition avec les hôtes occasionnels, l'étude met d'ailleurs en lumière une professionnalisation des hôtes, avec un profil « d'hôtes investisseurs » disposant de plusieurs logements qui représentent 80 % des revenus générés en 2019. Au total, la moitié des propriétaires disposaient cette année-là de plusieurs logements.

Lire aussiAirbnb condamné pour ne pas avoir collecté la taxe de séjour sur l'île d'Oléron

Une pression sur le parc locatif qui draine des flux touristiques dans les centres-ville jusqu'à influencer les activités de quartier. L'étude prouve avec des données que plus un quartier est doté de bars et de restaurants, plus il accueille de touristes des plateformes à Bordeaux, Biarritz et La Rochelle. Les commerces diversifiés nécessaires au quotidien (épiceries, supermarchés...) subissent là encore une forme de relégation spatiale. « Quand bien même l'habitant parviendrait à se loger dans ces quartiers malgré les prix, il n'y trouverait plus une offre d'aménités correspondant à son mode de vie », illustre Sylvain Dejean, soit « moins de boulangeries et plus de bars à vins ». Un phénomène qui tient en une phrase :

Les touristes adeptes des plateformes viennent souvent chercher une authenticité et une diversité qu'ils contribuent peut-être à détruire.

Sollicitée, la plateforme Airbnb France conteste par écrit les conclusions de l'étude.

« Ce rapport, qui se base sur des données erronées et une analyse incorrecte, conduit à des conclusions inexactes. Les séjours sur Airbnb sont plus dispersés que jamais, et un hôte sur cinq déclare choisir Airbnb pour vivre une expérience de voyage authentique et locale. À Bordeaux, quatre hôtes sur cinq partagent un espace dans leur propre maison, et un hôte sur cinq dans toute la France déclare que le revenu supplémentaire les aide à arrondir leurs fins de mois et à faire face à l'augmentation du coût de la vie », selon un sondage mené auprès de 1.500 hôtes de la région.

Une nouvelle réglementation à venir

Les travaux des chercheurs insistent aussi sur des effets plus vertueux liés à l'irruption des plateformes dans des communes touristiques ou rurales. Ces espaces fortement soumis à la saisonnalité bénéficient du complément de logements hôteliers issus des plateformes pour enrichir leur parc. De quoi faire face au flux touristiques mais aussi, pour le reste de l'année, de proposer une offre de location attractive à des périodes de faible activité. Avec ces logements supplémentaires, « la commune va pouvoir héberger suffisamment de monde lors de manifestations de grande envergure qui vont créer une activité économique », note Sylvain Dejean.

Autant d'effets différents qui influencent l'organisation des espaces de vie. En quelques années, les plateformes ont joué sur un business prolifique malgré les régulations du législateur. Mais pour de nombreux élus, les outils à disposition ne vont pas assez loin. Une coalition transpartisane de députés, soutenue par les représentants de l'hôtellerie, souhaite d'ici la fin de l'année porter une proposition de loi afin de renforcer l'autorité des maires. Fin des avantages fiscaux, réglementation énergétique, permis de louer : des réclamations nombreuses que les représentants des propriétaires contestent déjà. Sans compter que le Conseil d'État aura aussi son mot à dire.

Lire aussiMeublés touristiques : députés et élus locaux pressent l'Etat d'agir face à une situation « d'urgence »

////////////////

*Étude parue en mars 2022, intitulée « Les transformations urbaines par les plateformes numériques : Airbnb et HomeAway en Nouvelle-Aquitaine », sur des données issues des années 2016 à 2019. Airbnb représente 80 % de l'activité sur le marché étudié par les chercheurs.

Maxime Giraudeau

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 9
à écrit le 02/10/2023 à 18:49
Signaler
Le prototype du débat stérile et sans aucun intérêt, les propriétaires ont pour but de gagner de l'argent sans souci et la location de courte durée est la plus appropriée pour eux. Ce n'est pas à l'état de dire comment les propriétaires doivent gé...

le 03/10/2023 à 0:32
Signaler
Sauf que c'est de la concurrence déloyale pour les hôteliers ayant davantage de contraintes et puis aussi et surtout, ça éloigne l'offre et la demande de travail car là où il y a du travail, avoir un toit sur la tête est devenu un luxe et là où le lo...

à écrit le 02/10/2023 à 14:12
Signaler
C'est le phénomène typique qui consiste à vouloir "mettre la charrue avant les boeufs", ou celui postulant "d'agir en premier et réfléchir ensuite". Un phénomène qui s'inscrit dans la tradition.

à écrit le 02/10/2023 à 13:19
Signaler
Le réel problème est la crainte du locataire par les propriétaires et à juste titre. Il est beaucoup plus sécure de louer son bien via les plateformes pour de courtes durées, car il est entretenu, et vous êtes sur d'etre payé. Que l'état bosse sur la...

à écrit le 02/10/2023 à 11:46
Signaler
Il serait intéressant d'étudier un peu la sociologie des propriétaires. Tous les loueurs airBnB que je connais louent une résidence secondaire ou leur résidence principale....quand ils occupent leur résidence secondaire (le plus souvent héritée d'ail...

le 02/10/2023 à 13:50
Signaler
Le comptage des propriétaires-bailleurs est un défi pour les statisticiens. Le parc locatif privé est extrêmement dispersé géographiquement et du point de vue patrimonial. En croisant une multitude de données, les chiffres officiels estiment à 2,8 mi...

à écrit le 02/10/2023 à 8:53
Signaler
"Gentrification, départ des commerces du quotidien" C'est un phénomène courant qui existe depuis les années 90 au moins. Ce n'est donc pas airbnb spécifiquement qui rend les villes moins vivantes, c'est l'argent tout simplement.

le 02/10/2023 à 10:54
Signaler
ben si, +254 % de reservation ca a forcement des impacts. Mais airbnb a mange son pain blanc, non pas tant pour l impact sur les commerce ou loyers (apres tout ca impacte surtout les jeunes donc tout le monde s en fout car ils pesent rien electorale...

le 03/10/2023 à 8:54
Signaler
Cela existe depuis au moins les années 90 et faut m'expliquer en quoi c'est censurable, j'ai vu les centres villes devenir de moins en moins humains avec les bars et cafés qui ferment pour laisser la place aux banques, assurances et agences immobiliè...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.