Le médicament numérique de Lucine repris à la barre du tribunal de commerce

Clap de fin pour Lucine mais pas pour sa thérapie numérique contre les douleurs de l'endométriose. En grande difficulté après avoir tenté en vain de se refinancer, Lucine a été liquidée au tribunal de commerce fin novembre. Mais des actifs et des salariés de la startup bordelaise ont été repris par son concurrent Butterfly DTx. De quoi s'affirmer sur un marché qui reste à défricher ? Explications avec Maryne Cotty-Eslous et Étienne Lepoutre, les CEO des deux entreprises.
La solution Endocare, développée par Lucine, stimule la patient avec de la réalité virtuelle, de l'image et du son pour lutter contre les douleurs chroniques liées à l'endométriose.
La solution Endocare, développée par Lucine, stimule la patient avec de la réalité virtuelle, de l'image et du son pour lutter contre les douleurs chroniques liées à l'endométriose. (Crédits : Lucine)

Mandat ad hoc, conciliation puis redressement judiciaire. Et enfin, procédure de prépack cession permettant d'ordonner simultanément la liquidation judiciaire de l'entreprise et la reprise de ses actifs. Depuis un an, Maryne Cotty-Eslous a expérimenté la palette des outils confidentiels et publics d'accompagnement des entreprises en difficulté. Pour la fondatrice et CEO de Lucine, qui développait depuis 2017 des médicaments numériques - ou DTx pour digital therapeutics -, la dernière ligne de l'histoire s'est écrite fin novembre lorsque le tribunal de commerce de Bordeaux a ordonné la liquidation judiciaire de l'entreprise et la cession d'une partie de ses actifs et de ses salariés à son concurrent Butterfly DTx (ex L'Effet papillon). Confirmant, s'il en était encore besoin, le contexte mortifère pour les startups en quête de financements.

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Deux thérapies complémentaires

Créée en 2011 à Laval (Mayenne) par Mélanie Perron, Butterfly DTx utilise la réalité virtuelle, l'image et le son pour soulager des douleurs aiguës avec son produit Bliss DTx, mis sur le marché dès 2018. Une solution qui mobilise les mêmes technologies que celles développées par Lucine avec Endocare mais, tandis que le premier cible les douleurs ponctuelles et invasives, le second vise à soulager les femmes souffrant de douleurs chroniques liées en particulier à l'endométriose.

« C'est cette complémentarité entre les deux solutions qui nous a convaincu de reprendre les actifs de Lucine. Nous évoluons sur le même marché mais nous ne sommes pas concurrents sur le même segment », avise Étienne Lepoutre, le CEO de Butterfly Therapeutics, qui a réussi à signer une levée de fonds en juillet dernier. C'est précisément cette étape clef qui a fait défaut à Maryne Cotty-Eslous et son associé Aymeric Esperance. Malgré une levée d'amorçage de 5,5 millions d'euros bouclée en 2020, un montant conséquent à l'époque sur ce marché émergent, Lucine a connu d'importantes difficultés courant 2023 après avoir cherché en vain à se refinancer à partir de novembre 2022 pour un montant initial de trois millions d'euros, vite revu à la baisse à 700.000 euros. Entre temps, les effectifs de la startup ont fondu de 45 à une douzaine de salariés.

« Une entreprise c'est un tableur Excel et rien d'autre ! »

Connue pour son engagement dans la prise en compte des douleurs chroniques, la dirigeante jette un regard lucide sur cette page d'une dizaine d'années puisque ses projets de recherche remontent à 2011.

« Dans la vie d'une startup, il y a une notion de momentum. Cela joue parfois en votre faveur mais ça peut aussi être critique. Pour Lucine, tout s'est joué à quelques mois près entre nos problèmes de trésorerie et les résultats de notre étude clinique », rembobine Maryne Cotty-Eslous. « La grande leçon c'est qu'une entreprise n'est pas là pour changer le monde, même dans le domaine particulier de la santé. Une entreprise c'est un tableur Excel et rien d'autre ! »

Malgré deux millions d'euros de chiffre d'affaires en 18 mois avant la levée de 2020, le destin de Lucine s'est fracassé sur le mur de la rentabilité érigé en urgence par des investisseurs cherchant à sécuriser leurs portefeuilles. Mais la dirigeante, désormais installée à Dubaï assume ses responsabilités : « On a tous fait ce que nous pouvions. Les règles sont les règles, simplement. Il a soudainement fallu atteindre la rentabilité en trois mois ou, à défaut, générer du chiffre d'affaires. À ce moment-là, Lucine n'avait ni l'un ni l'autre... Si c'était possible, je ferais le chemin différemment en privilégiant le chiffre d'affaires, même après avoir levé des fonds. »

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Un marché encore incertain

« Une approche de TPE/PME qui grandit de manière pérenne » ouvertement revendiquée par le repreneur Étienne Lepoutre. Les huit salariés de Butterfly rejoints par quatre ex-Lucine visent désormais une mise sur le marché d'Endocare dans le courant de l'année 2024. « Lucine avait beaucoup avancé et n'était plus très loin de la mise sur le marché. Nous c'est une étape qu'on a franchie en 2018 donc on sait faire », appuie le CEO. Dernière concrétisation de cette stratégie, l'entreprise a signé avec le laboratoire Viatris (ex-Mylan, 1.600 salariés pour 15,5 milliards de dollars de chiffre d'affaires) pour la promotion exclusive de son produit Bliss DTx. Un argument de poids face à ses concurrents tricolores tels que Hypno VR et Healthy Mind et suisse tel que MindMaze.

Pour autant ce marché des thérapies numériques, estimé par Data Bridge à 4 milliards de dollars dans le monde reste encore un vrai pari. Outre-Atlantique, les difficultés de deux gros acteurs capitalisés jettent le doute sur les perspectives commerciales réelles des DTx. Valorisé près de deux milliards de dollars, Pear Therapeutics a fait faillite au printemps dernier avant d'être cédé... pour six millions d'euros. Parallèlement, un autre pionnier Akili Technology a été contraint de se restructurer en 2023 après des revenus en baisse de 40 % sur un an.

« Les thérapies numériques sont efficaces, les besoins sont réels et le marché est donc là. Mais c'est un nouvel usage qui a besoin de temps pour les patients et les prescripteurs de santé puissent se l'approprier », observe Maryne Cotty-Eslous. Tandis qu'Étienne Lepoutre insiste sur l'enjeu de la prise en charge de ces nouveaux antidouleurs numériques : « Nous restons des entreprises fragiles sur un secteur de la santé qui est intrinsèquement compliqué, notamment parce que le payeur est rarement le client final, ce sont en général des acteurs publics ou des assureurs et il faut du temps pour les convaincre. » Et pour y arriver, Butterfly et Lucine sont sur la même ligne : prouver par la science l'efficacité de leurs solutions et coller au plus près des besoins des patients.

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Commentaire 1
à écrit le 14/12/2023 à 8:46
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Hélas le secteur pharmaceutique particulièrement gavé d'argent public et subventionné malgré sa médiocrité récurrente n'est pas un secteur d'activité dynamique capable de prendre en compte les véritables talents. Tout ce qui intéresse ces gens ce son...

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