Inclusion numérique : pourquoi Aptic appelle à une évaluation « honnête » des politiques

INTERVIEW. Gérald Elbaze, le fondateur d'Aptic, société coopérative d'intérêt collectif bordelaise qui conçoit des outils en faveur de l'inclusion numérique, plaide pour une évaluation des dispositifs existants et une réflexion pour structurer la filière.
(Crédits : Aptic)

LA TRIBUNE - Quel bilan tirez-vous de votre action en matière d'inclusion numérique ?

Gérald ELBAZE - Je voudrais d'abord revenir sur les chiffres présentés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) concernant le dispositif Pass numérique, destiné à financer des services d'accompagnement sur les compétences essentielles aux personnes éloignées du numérique. C'est un dispositif dans lequel #Aptic fournit les pass aux collectivités territoriales. L'ANCT affiche y avoir consacré, via deux appels à projets (AAP) à destination des collectivités, 22 millions d'euros. Or, les fonds collectés budgétairement (10 millions d'euros en novembre 2018, puis 15 millions en janvier 2020) n'ont finalement donné lieu qu'à un budget de 6,2 millions d'euros pour l'AAP 2019 puis 4,7 millions pour l'AAP 2020, soit une somme de 10,9 millions d'euros.

L'ANCT estime de son côté le montant financé par l'État à 11,6 millions d'euros (dont 7,5 millions d'euros réellement décaissé à juin 2023), auxquels s'ajoute une somme quasi équivalente co-financée par les collectivités territoriales, soit 21,8 millions d'euros...

Sur la base des bons de commande passés par les collectivités lauréates des AAP, nous évaluons de notre côté à un peu plus de 1,5 million d'euros au 31 décembre 2022 les montants déployés sur le terrain pour le pass numérique. Si nous nous montrons si pointilleux sur ces chiffres, c'est que beaucoup de collectivités territoriales nous les renvoient quand nous les rencontrons. Pour faire avancer l'inclusion numérique, il faut une analyse honnête de la donnée et indiquer face au nombre de pass affichés combien de personnes sont concernées. Et ne pas passer d'un dispositif à l'autre, alors que nous avons au contraire besoin de stabilité : dans certaines collectivités, le déploiement du Pass numérique atteint tout juste sa vitesse de croisière.

Quel usage Aptic fait-il des montants engagés par l'État et les collectivités territoriales ?

Il faut savoir que les factures réglées par les collectivités couvrent à la fois le prix du Pass numérique cofinancé par l'État et le coût de notre prestation. Sur 104.800 euros déboursés, 4.800 euros nous reviennent. Pour bien faire comprendre cette distinction, nous sommes en train de changer de modèle pour des appels de fonds. 93 % des sommes consommées dans le programme Pass numérique sont reversées aux structures d'inclusion numérique qui accompagnent les bénéficiaires sur le terrain.

Quel est aujourd'hui la situation financière de votre coopérative ?

Nous avions mené en 2019 une levée de fonds de 1,8 million d'euros de fonds auprès de différents acteurs d'intérêt général pour amorcer notre activité jusqu'à atteindre la ligne de flottaison. C'était sans compter les deux années de crise sanitaire et la lenteur des marché publics qui a retardé le déploiement des pass. Nous ne sommes toujours pas à l'équilibre, avec un déficit de 200.000 à 300.000 euros chaque année. Nous défendons une approche « ethic cost », avec un taux de 4 % de frais associés (de production, d'intermédiation et de gestion), ce qui est faible par rapport à d'autres sociétés d'intermédiation. Notre viabilité repose sur la question de savoir si notre valeur correspond juste à nos prestations ou comprend également la consolidation des revenus des autres acteurs de l'inclusion du numérique qui bénéficient du pass, voire dans certaines régions de la structuration de la filière, que notre activité facilite.

La structuration d'une filière de l'inclusion numérique passe-t-elle aussi par son financement ?

Pas par son financement, qui laisserait penser qu'il suffit de trouver un « grand mécène », mais par les flux financiers. Il faudrait recourir à la fois au Pass numérique, au Cesu (chèque emploi service universel) mais aussi à des dispositifs de prise en charge intégrale pour les personnes les plus éloignées du numérique. Car hormis pour ce public-là, il faut travailler à développer un consentement à payer de la part des bénéficiaires, comme cela existe par exemple pour le portage des repas. Or, certains médiateurs numériques eux-mêmes rechignent à faire payer leur prestation, y compris via un pass numérique financé par les acteurs publics. Beaucoup d'entre eux ne se posent pas de question tant que leur salaire est financé, souvent à coup de subvention publique.

Quel peut donc être le modèle économique ?

Parler d'économie dans l'inclusion numérique est souvent vu comme un gros mot, mais il va falloir trouver un modèle de viabilisation. Demain si nous réussissons, il est probable que nous soyons devenu un agrégateur de solutions puisant dans le savoir-faire des différents acteurs. Mais cela ne sera possible que si nous ne nous voyons pas comme des concurrents mais que nous envisageons nos complémentarités.

Lire aussiSolinum va déployer son outil de lutte contre la pauvreté dans toute la France

Coûts et bénéfices de l'inclusion numérique

Il y a cinq ans, le rapport « Vivre ensemble, vivre en grand : pour une réconciliation nationale » de Jean-Louis Borloo évoquait des objectifs ambitieux pour lutter contre l'illectronisme : 1,5 milliard d'euros sur cinq ans pour former 100.000 personnes par an. Des chiffres repris dans le rapport d'information de la mission d'information sur la lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique du Sénat de septembre 2020. De son côté, l'organe d'analyse des politiques publiques France Stratégie a évalué en 2018 les bénéfices de l'inclusion numérique en termes de développement de l'économie numérique, d'emploi et de formation, d'inclusion sociale et de relation avec les services publics.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.