Métiers du bâtiment : numériser ou mourir ?

La transformation numérique tarde à se concrétiser dans le secteur de la construction en France et en Europe où 94,1 % des entreprises comptent moins de dix salariés. Résultat : un fossé demeure entre les opportunités théoriques des nouvelles technologies et la réalité quotidienne du terrain. C'est pour adresser ces enjeux que le centre de recherche Nobatek/INEF4 a organisé, à Bordeaux, une conférence à l'intitulé piquant : "Numériser ou mourir : de nouveaux outils pour le secteur de la construction".
(Crédits : CC by Burst)

"Le secteur de la construction est malade : nous sommes lents, fragmentés et pas assez innovants. Notre productivité n'a progressé que de 1 % par an depuis 20 ans. Bref, nous sommes mauvais et nous devons faire mieux ! Il faut mettre en œuvre la transformation numérique aujourd'hui et toute la chaîne de valeur doit être concernée !"

Thomas Messervey, le PDG de l'entreprise italienne R2M Solutions, spécialisée dans le conseil aux projets collaboratifs dans l'énergie et la construction, n'a pas hésité à provoquer les professionnels européens du secteur réunis à l'initiative du centre de recherche Nobatek/INEF4, à Bordeaux ce 23 octobre, autour du thème : "Numériser ou  mourir : de nouveaux outils pour le secteur de la construction" (*). En effet, alors que les 3 millions d'entreprises et 18 millions de travailleurs de la construction représentent 9 % du PIB de l'Union européenne, la filière figure parmi les moins numérisées de notre économie... devançant uniquement celle de l'agriculture et de la chasse !

"Notre secteur c'est 94,1 % d'entreprises de moins de 10 salariés et 99,4 % de moins de 49 salariés. La fragmentation y est donc très importante avec des métiers hyper spécialisés. Et alors même que la transformation numérique ne peut se faire sans les TPE et les PME, ces entreprises n'y ont pas accès ou ne la mettent pas en œuvre", confirme Eugenio Quintieri, représentant de l'EBC (European builders confederation), l'organisation européenne des artisans et petites entreprises du bâtiment.

Un enjeu majeur de formation

Au niveau européen, les chiffres sont éclairants. Selon une enquête de 2015, seulement 29 % des professionnels de la construction utilisent le BIM (outil numérique et collaboratif de modélisation des informations du bâtiment) (*). Un chiffre qui n'aurait évolué qu'à la marge depuis trois ans. "Il y a un enjeu majeur de formation initiale et continue des travailleurs pour les aider à monter en compétences sur ces sujets", considère Thomas Messervey. Mais le BIM recouvre des outils et des méthodes de travail complexes nécessitant des formations lourdes de plusieurs semaines qui sont souvent inaccessibles aux TPE d'un point de vue financier et pratique. A tel point que sur de gros chantiers, certaines grandes entreprises prennent à leur charge la formation des petites pour pouvoir fonctionner en BIM

Les TPE et PME se trouvent donc face à une problématique d'ampleur :

"Les modélisations numérique, la robotisation et les nouveaux matériaux permettent de limiter la pénibilité, d'améliorer l'image de nos métiers auprès des femmes et des jeunes, d'aller vers plus d'efficacité, davantage d'économies d'énergie et une meilleure communication au sein de la chaîne de la valeur. Pour autant, la transformation numérique doit rester un moyen et non un objectif en soi. Elle doit être accessible financièrement et techniquement pour les TPE et PME et constituer une réelle valeur ajoutée !", souligne ainsi Eugenio Quintieri.

Les professionnels du secteur qui se sont convertis au BIM sont en effet majoritairement convaincus et satisfait du retour sur investissement selon une enquête réalisée en France (81 % d'avis positifs), Allemagne  (67 % d'avis positifs) et au Royaume-Uni (79 % d'avis positifs). Une proportion qui croit avec le degré d'expertise en matière de BIM. "La transformation numérique apporte des résultats sur le plan de la productivité et des consommations d'énergie, notamment en rapprochant la consommation réelle du bâtiment de la consommation prévue", ajoute Thomas Messervey qui prévient que d'ici 5 ou 10 ans, la transformation numérique se fera encore plus radicale : "Outre les plateformes collaboratives et les maquettes numériques, il faudra apprendre à travailler avec l'intelligence artificielle, l'internet des objets, les bulldozers autonomes, les jumeaux numériques, le cloud et edge computing et les réseaux intelligents".

Il n'y a donc plus de temps à perdre pour répondre à la question suivante : "Comment préserver le savoir-faire des artisans du bâtiment et le rendre compatible avec le développement du BIM ?", interroge Eugenio Quintieri. "Au regard du gap qui existe entre la manière dont l'usage du BIM est conçue et la réalité de son utilisation par les TPE et PME, nous devons développer des outils puissants pour attirer et impliquer les artisans du bâtiment dans le déploiement du BIM", conclut ainsi Antoine Dugué, le responsable R&D de Nobatek/INEF4.

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Nobatek/INEF4 pilote deux projets européens

Built2Spec et Bim4Ren : deux sigles farfelus qui désignent deux projets de recherche appliquée financés par l'Union européenne et dont le centre de recherche, présent à Anglet, Talence et Paris, assure le pilotage. Le premier, doté de 6 M€ sur cinq ans, s'achèvera en janvier 2019. Il s'est appuyé sur cinq expérimentations en conditions réelles pour mettre au point une plateforme cloud permettant de réunir et d'interfacer toutes les données venant des différents acteurs, des différentes technologies et des différentes étapes d'un chantier. Il permet également de suivre le fonctionnement du bâtiment via les relevés en matière de consommation énergétique, d'air, de thermique ou encore d'acoustique afin de réduire le différentiel entre consommation prévue et consommation réelle. Le second, doté de 4 M€, débute et vise à dupliquer ces outils et services au domaine de la rénovation des bâtiments existants.

(*) Une expression tirée de l'ouvrage de Mark Farmer : "The Farmer Review of the UK, Construction Labour Model" (2016).

(*) Le BIM regroupe des méthodes de travail et une maquette numérique paramétrique 3D qui contient des données intelligentes et structurées permettant le partage d'informations fiables tout au long de la durée de vie d'un bâtiment ou d'infrastructures, de leur conception jusqu'à leur démolition. Ces process permettent de définir et de suivre qui fait quoi, comment et à quel moment.

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