Comment Vignobles Gabriel & Co fait face à la crise qui rebat les cartes dans le Bordelais

Avec son mode d'organisation original sinon unique dans le vignoble bordelais, le collectif Vignobles Gabriel & Co, qui s'est organisé pour rester maître de sa production et de sa commercialisation, fait face à la crise en mettant l'accent sur de nouveaux marchés. Embryonnaire avec la vente directe aux particuliers, plus classique par le canal des cafés-hôtels-restaurants.
Taille chez l'un des viticulteurs de Vignobles Gabriel & Co : Thierry Bonnet de Château Marot à Soussac (Entre-Deux-Mers) qui ne produit que du rosé.
Taille chez l'un des viticulteurs de Vignobles Gabriel & Co : Thierry Bonnet de Château Marot à Soussac (Entre-Deux-Mers) qui ne produit que du rosé. (Crédits : Julie Rey)

Dans un contexte commercial désormais très tendu, le collectif de vignerons Vignobles Gabriel & Co, à Saint-Aubin-de-Blaye, en nord Gironde, tout près de la Charente-Maritime, a décidé d'explorer de nouveaux débouchés. C'est dans cette stratégie que s'inscrit l'ouverture cet été, tout près du siège social, de la boutique « de proximité » baptisée « Chai Gabriel & Co ».

Cette boutique est un premier essai qui se poursuit et pourrait faire école. Vignobles Gabriel & Co y propose trois types d'offres : des « ventes spéciales », avec des vins et millésimes existants en très petites quantités, des « cuvées identitaires » faites notamment à partir « d'assemblages particuliers », et des « vins de saison », en blancs, rouges ou rosés.

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Essayer de capter une clientèle plus locale

Dans tous les cas ce collectif du Blayais, qui ressemble à une coopérative sans en être une, ne jouera pas sa chemise dans cette opération, qui semble avoir été pensée par un coach en développement durable alors qu'elle est plutôt le fruit du bon sens.

"Nous avons installé cette boutique, qui est au bord d'une route touristique, dans un espace de 50 mètres carrés qui fait partie d'un entrepôt qui ne nous sert plus. Une boutique que nous avons équipée avec du matériel de récupération, qui a été ouverte en août dernier et qui nous a coûté zéro investissement" cadre ainsi Pauline Réaud, directrice marketing et communication de Vignobles Gabriel & Co.

Malgré son coût très réduit, cette opération avait vocation à aller au-delà des vacances d'été.

"Avec les touristes les ventes ont bien fonctionné. Aujourd'hui nous essayons de capter une clientèle plus locale. Nous discutons de la qualité du vin et du packaging avec les consommateurs. Mais capter une nouvelle clientèle ne se fait pas du jour au lendemain" relève Pauline Réaud.

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Une stratégie qui repose sur le château et le vigneron

Le collectif souligne qu'il fédère, en plus des Bordeaux et Bordeaux Supérieurs, des vignerons représentant un très grand nombre d'appellations typiques de la rive droite, qu'il s'agisse de Blaye Côtes de Bordeaux, Côtes de Bourg, Castillon Côtes de Bordeaux, Montagne Saint-Emilion ou encore Puisseguin Saint-Emilion...

Ses 34 vignerons, qui confient tout ou partie de leur production au collectif, vendent six millions de cols par an et ont fait le choix de contrôler eux-mêmes leur politique commerciale et de ne pas s'en remettre à la vente de vin en vrac et aux négociants. Le collectif dispose ainsi de sa propre unité d'embouteillage.

"En 2017 nous avons décidé de renforcer cette stratégie en faisant fabriquer un camion d'embouteillage par des vignerons partenaires. Notre camion d'embouteillage intervient sur les propriétés de nos vignerons associés pour mettre le vin en bouteille. Ensuite, les box sont rapatriés à notre entrepôt de conditionnement situé dans la zone d'activités de Saint-Aubin de Blaye pour y être stockés. Les bouteilles sont habillées, mises en carton, puis palettisées grâce à nos trois lignes de conditionnement. Nous n'utilisons pas de nom de marque. Sur les contrats d'achats il y a des noms de châteaux et nous mettons en avant les vignerons. La commercialisation est assurée par le collectif" confirme la directrice marketing et communication.

Qui précise que son père, Jean-François Réaud, qui a largement contribué à la création de Vignobles Gabriel & Co, a transformé une entraide d'abord technique entre vignerons en association commerciale. Le logo Vignobles Gabriel & Co accompagne les vignerons sur les bouteilles. Cette aventure bien menée connait aujourd'hui son épreuve du feu, puisque la nouvelle crise viticole rebat brutalement toutes les cartes du jeu.

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La crise a frappé de plein fouet à partir de janvier 2022

"Au départ nous avons commencé à vendre par le canal des grandes et moyennes surfaces (GMS), ça marchait bien mais aujourd'hui c'est un format en perte de vitesse car les clients n'ont plus forcément le pouvoir d'achat pour acheter du vin. C'est pourquoi nous nous sommes lancés en 2022 dans le circuit des cafés-hôtels-restaurants" déroule Pauline Réaud, qui précise que le collectif a également accès au grand export (Etats-Unis, Japon...) par le biais d'un agent.

Cette dernière situe le point de rupture dans la trajectoire commerciale du collectif en début d'année.

"Nous n'avons pas ressenti de crise lors de la pandémie de Covid parce que les supermarchés tournaient à pleine vitesse. Nous sommes ensuite revenus en 2021 à une situation normale et puis à partir de janvier 2022 nous avons pris la crise de plein fouet, avec un recul du chiffre d'affaires, à novembre 2022, de 10 %. Le vin est un produit ultra-sensible à l'inflation. Ce n'est pas un produit de première nécessité et les gens ont vite fait d'arrêter d'en acheter quand les prix flambent" décrypte la directrice marketing.

Si le GMS a perdu en puissance, les foires aux vins continuent à fonctionner, reconnait Pauline Réaud, dont le collectif a réalisé 625.762 euros de recettes à la foire aux vins de printemps et 1,59 million d'euros à celle d'automne.

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Le modèle du collectif face à la tempête

Dans l'immédiat le collectif Vignerons Gabriel & Co, qui se définit comme une structure hybride avec "un juste équilibre entre coopérative, négoce et vignerons indépendants" s'efforce de gérer "au cordeau" ses achats de fournitures (verre, bouteilles, bouchons, capsules, caisses en bois...). Mais les tensions sur les marchés sont telles que les délais de livraison ne cessent de rallonger.

"Le plus important c'est de rester capables d'honorer nos commandes en temps et en heure. Les délais d'attente sont passés à trois mois pour les étiquettes et neuf mois pour les capsules à vis, sans compte une hausse des prix de +15 à +20 % pour de nombreuses fournitures, comme les caisses en bois", détaille Pauline Réaud.

Si cette dernière souligne que les difficultés ne manquent pas et que le collectif, qui a généré un chiffre d'affaires de 16,8 millions d'euros en 2021, n'arrive pas à remonter ses prix de vente en GMS, elle est convaincue que la formule d'organisation du collectif Vignerons Gabriel & Co préfigure l'avenir pour un nouveau départ du vignoble bordelais, en particulier parce qu'il permet un meilleur partage de la richesse...

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