Benoît Biteau : « Le poids du foncier est un obstacle à l'installation des jeunes agriculteurs » (4/4)

INTERVIEW. L'eurodéputé EELV et paysan en Charente-Maritime Benoît Biteau est une figure du paysage politique et agricole régional depuis une quinzaine d'années. Notamment pour avoir œuvré à mobiliser le foncier pour des agriculteurs démarrant leur activité. Il revient dans La Tribune sur la monopolisation des terres agricoles et les pistes possibles pour en sortir alors même "qu'on est qu'aujourd'hui à deux départs d'agriculteurs pour une installation" en Nouvelle-Aquitaine.
Fils d'un agriculteur de Charente-Maritime, Benoît Biteau a été conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine avant d'être élu eurodéputé EELV en mai 2019. Il suit au Parlement européen les questions agricoles.
Fils d'un agriculteur de Charente-Maritime, Benoît Biteau a été conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine avant d'être élu eurodéputé EELV en mai 2019. Il suit au Parlement européen les questions agricoles. (Crédits : Martin Bertrand)

C'est un eurodéputé écologiste qui s'est fait remarquer durant les négociations de la dernière Politique agricole commune (PAC) en proposant un modèle alternatif de distribution des aides. Mais si Benoît Biteau apparaît si entreprenant à Bruxelles, c'est parce que, dit-il, il a pu se former à l'agenda européen d'abord par ses responsabilités d'élu régional. Le paysan charentais-maritime, agronome de formation, a été vice-président du conseil régional de Poitou-Charentes de 2010 à 2015, avant d'enchaîner en tant que conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine jusqu'en 2021.

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Mais c'est dans le cadre de ses mandats au conseil de rivage sud-Atlantique et à la présidence du conservatoire d'espaces naturels de Poitou-Charentes qu'il a pu enclencher des politiques de mobilisation du foncier agricole en faveur des nouveaux agriculteurs. Sans parvenir pour autant à bousculer le système. Entretien

LA TRIBUNE - Sachant qu'en Nouvelle-Aquitaine, 40% des agriculteurs de moins de 62 ans seront en âge de prendre leur retraite dans 10 ans, la région et le pays risquent-ils de connaître leur pire crise démographique agricole ?

Benoît BITEAU - C'est très alarmant ! On risque d'avoir le départ à la retraite d'à peu près la moitié de la population agricole dans les dix prochaines années. Là ça pose la question de comment on gère ces départs à la retraite d'une part, mais surtout de comment on transmet les structures de ces agriculteurs. Il ne faut pas que ces départs à la retraite soient le constat d'agrandissements, de concentrations de structures agricoles et que finalement on arrive à une situation dramatique. C'était celle qui était attendue par Xavier Belin à l'époque où il était président de la FNSEA qui disait qu'avec 1.000 "agro-managers" par département on serait en capacité d'assurer la production agricole du pays. Si on dépasse l'enjeu de transmission et d'installation, le sujet télescope complètement l'idée d'une agriculture qui fait référence à des productions identitaires et qui soit résiliente par rapport à l'utilisation de pesticides.

Le phénomène de concentration des terres chez un nombre toujours plus faible d'agriculteurs devrait néanmoins s'accélérer. Pour inverser la tendance, serait-il possible de créer une chaîne de transmission avec les nouveaux entrants ?

Oui. On ne va pas refaire le jeu car le vote de la PAC [Politique agricole commune européenne ndlr] a eu lieu le 24 octobre 2021 mais c'était un des axes forts de ma proposition pour une autre PAC. En sortant des logiques d'aides par unité de surface, on favoriserait la déconcentration des structures. Aujourd'hui, plus on a d'hectares, plus on a d'aides ! Sur la problématique de l'installation, cette méthode de distribution des aides fait qu'il y a une forme de thésaurisation du foncier : les agriculteurs ont du mal à lâcher leurs structures, y compris quand ils sont âgés. Ceux-là conservent leurs terres pour continuer de pouvoir bénéficier des aides de la PAC. Et, dans une forme d'agrandissement déguisé, font appel à leur voisin en tant que prestataire de service.

Le jour où on se retirera de ce mécanisme de distribution des aides de la PAC et qu'on choisira d'autres critères, comme l'unité de main d'œuvre présente sur la structure, on inversera ces tendances. Il n'y aura alors plus de raison de concentrer les hectares. Il n'y aura plus de raison que l'agriculteur qui part à la retraite thésaurise son foncier agricole. On pourrait créer alors une vraie dynamique de l'emploi. Encore faut-il avoir l'audace et le courage de transformer le cœur du réacteur de cette Politique agricole commune.

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Pourquoi les jeunes agriculteurs ont-ils tant de mal à s'installer et à trouver une viabilité économique ?

Ça dépend lesquels. Effectivement pour ceux qui s'installent dans le modèle dominant qu'on appelle conventionnel, c'est difficile de trouver un équilibre économique sans les aides publiques. Les autres arrivent à s'en passer plus facilement. A fortiori quand on est sur des systèmes peu accompagnés par la PAC, on doit imaginer comment trouver des équilibres économiques. Les installations "hors cadre familial", portées par des personnes qui ne sont pas issue de familles d'agriculteurs, jouent sur plusieurs leviers. C'est bien sûr un chiffre d'affaires qui soit le plus élevé possible et souvent, ils font le choix de l'agriculture biologique, qui amplifie les revenus. Mais surtout, les coûts de production en bio sont beaucoup plus faibles car on n'a pas recours aux intrants. En revanche, on a besoin de disposer de suffisamment de ressources pour créer de l'emploi. On en revient alors aux aides de la PAC qui devraient être fléchées vers l'unité de main d'œuvre.

Les personnes non-issues du milieu agricole n'ont jamais été aussi nombreuses à se lancer. Elles étaient 31 % sur l'ensemble des nouveaux entrants en Nouvelle-Aquitaine entre 2015 et 2018. Le renouvellement de la profession s'écrirait-il en dehors des formations et des parcours conventionnels ?

Bien sûr ! Les agriculteurs qui arrivent à la retraite et qui n'ont pas encore identifié leurs successeurs, c'est parce qu'il n'y a pas de candidats, ou très rarement, dans leur cadre familial. Il faudrait au moins revenir à un ratio de un départ pour une installation, alors qu'aujourd'hui on est plutôt à deux départs pour une installation. Je suis moi-même à dix ans de la retraite et j'ai déjà identifié mon successeur. Ces phénomènes de succession sont enclenchés bien avant d'atteindre l'âge de départ. Si un agriculteur en âge de partir n'a pas identifié son successeur, c'est là où les "hors cadre familial" qui arrivent de la ville, qui veulent un retour à la terre peuvent jouer un rôle déterminant. Ils vont permettre de limiter la casse et porter l'évolution des pratiques agricoles qui correspondent aux nouvelles attentes sociétales.

Vous avez vous-même repris l'exploitation familiale et l'avez convertie au bio. Mais auriez-vous pu monter cette affaire si vous étiez parti de rien ?

C'est le biais de mon histoire. C'est pas que je n'aurais pas pu le faire si je n'avais pas été sur une structure familiale. En vérité, je ne suis propriétaire de rien, je suis locataire de la totalité des terres sur lesquelles j'évolue. Sur l'aspect foncier, je suis dans la même configuration que si je m'installais hors cadre familial puisque le foncier ne m'est pas transmis. Ça c'est le premier sujet. Le deuxième c'est que je me suis installé très tard, à l'âge de 40 ans, j'avais une bonne situation en étant haut-fonctionnaire. Pour mon père, quand il a imaginé partir à la retraite, il ne pensait pas deux minutes qu'un de ses deux enfants reprenne la structure.

Ses deux enfants avaient une situation professionnelle très confortable et pour lui qui avait été agriculteur 50 ans de sa vie, il avait beaucoup d'admiration pour notre parcours et c'était inimaginable qu'on y renonce pour devenir agriculteur. Pour lui, c'était presque dégradant. Il avait imaginé sa sortie professionnelle avec l'entrée d'un fort capital liée à la vente de son actif d'entreprise. À sa demande, on a repris la structure, donc l'actif, comme si on n'avait aucun lien de parenté avec lui. Effectivement c'est mon père et j'évolue sur sa structure mais ça ressemble à s'y méprendre à une installation hors-cadre familial. J'ai fait une conversion à l'agro-écologie alors que la structure était très productiviste à la base. J'ai effacé mon endettement en sept années. Et c'est la preuve que ce genre d'installation est possible et viable.

Pour des jeunes qui aimeraient s'installer aujourd'hui, quel modèle peut faire référence ?

Le poids du foncier est un vrai obstacle. Mon installation a été favorable parce que je n'avais pas à supporter l'acquisition du foncier. La situation la plus périlleuse est celle d'un jeune qui s'installe et qui doit supporter ce poids. Pour que cette problématique ne soit pas insurmontable, je pense qu'il faut qu'on travaille sur la façon dont on porte le foncier dans le cadre de l'installation. Soit avec des structures transitoires qui, pour les dix premières années, se substituent au candidat à l'installation en le laissant développer sa structure et constituer une économie suffisamment robuste. Soit avec des pourvoyeurs de fonds comme Terre de liens, qui achètent le foncier de façon définitive et proposent un bail de carrière à l'agriculteur.

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Si l'Union européenne ne change pas son modèle de soutien à l'agriculture, dans quelle mesure les collectivités territoriales peuvent-elles développer des politiques locales ambitieuses ?

Il y a des compétences qui sont portées par ces collectivités. Et ça nous renvoie d'ailleurs sur le foncier. Aujourd'hui, on a des lois foncières strictes avec des structures dédiées à la gestion du foncier agricole. Il s'avère qu'on a donné du pouvoir aux collectivités pour intervenir, comme avec le conservatoire du littoral ou le conservatoire des espaces naturels. [...] Lorsque j'étais président du conservatoire des espaces naturels en Poitou-Charentes, on a réussi à obtenir le marché des mesures compensatoires pour la LGV sud-Europe Atlantique. Via ces mesures, et avec le foncier récupéré, on est parvenu à réinstaller des activités agricoles où il n'y en avait plus. Via les collectivités et les structures qui en dépendent, on peut aider les agriculteurs à se lancer.

Cela ne doit pas occulter la nécessité de revisiter la loi foncière nationale. Quand on y regarde bien, on a un outil assez intéressant avec la Safer. Même s'il y a des défaillances de gouvernance, sa mission est de protéger le foncier agricole face à l'imperméabilisation et l'urbanisme. Mais aussi contre la surenchère des porteurs de capitaux. La Safer a un pouvoir de préemption qui lui permet d'acheter un actif agricole du marché au prix qu'elle a évalué, et non au prix de vente décidé par le vendeur. C'est extrêmement violent mais c'est salutaire ! Sauf que le sport favori du Français, c'est de contourner la loi. Le biais réside dans le transfert du foncier agricole via des parts sociales de structures foncières. Ces structures, représentées par des personnes morales, empêchent de voir les mouvements de foncier car les numéros de parcelles n'apparaissent pas. Tout ça échappe complètement au pouvoir des Safer. Aujourd'hui, seulement 30 % du foncier qui change de mains est accessible aux Safer. Le reste passe par ce contournement de la loi, de sociétaire à sociétaire. C'est un désastre et ça nécessite une nouvelle loi foncière.

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Cela permettrait de faire accéder les nouveaux entrants à la propriété ?

Oui car il y aurait de la transparence. Quand la Safer entre une structure foncière en portefeuille, elle sera ensuite obligée de communiquer une publicité officielle au moment où elle la rétrocèdera. C'est là que des candidats à l'installation pourront se porter acquéreurs.

A l'époque où j'étais vice-président de la région Poitou-Charentes, il y avait une convention avec la Safer où le foncier qu'elle acquérait était systématiquement notifié à la région. A chaque fois qu'une structure pouvait être le support de l'installation, la Safer s'engageait à garder en portefeuille ce foncier pour le transmettre ensuite au candidat. Au moment où j'ai imaginé cette relation avec la Safer, 70 % des mouvements de foncier étaient destinés à l'agrandissement des exploitations au niveau national. En région Poitou-Charentes, grâce à notre dispositif, plus de 50 % du foncier qui entrait au portefeuille de la Safer était dédié à l'installation.

De nombreuses startups de "l'agritech" proposent des solutions pour diminuer l'impact de la crise agricole et environnementale. Croyez-vous que le renouvellement dont a besoin l'agriculture puisse être mené grâce à la transition technologique et digitale ?

On ne peut pas être complètement manichéen là-dessus mais ma réponse est plutôt non. Quand on regarde à qui s'adressent ces startups et quel est le public qui trouve un intérêt à ces évolutions, on se rend compte qu'il s'agit des agriculteurs porteurs des plus grosses structures. Les mêmes qui veulent continuer de s'agrandir et qui s'inscrivent à l'inverse d'une politique de l'emploi. Les logiques d'innovation participent à une forme de greenwashing en disant que grâce aux technologies on va utiliser moins d'engrais de synthèse et moins de pesticides.

Mais je mets toujours des subtilités entre l'innovation et le progrès. Il faut veiller à ce que les innovations proposées soient des vrais vecteurs de progrès. On doit avoir une forme d'évaluation de ce qu'apportent ces avancées technologiques par le prisme de l'intérêt commun et pas seulement par rapport au geste de la production. [...] J'ai un profond respect pour les avancées technologiques, j'étais moi-même chercheur et je mettais au point des clones ou des OGM. Mais j'ai quitté ce monde-là parce qu'elles étaient récupérées par des gens qui servaient leur propre business et piétinaient l'intérêt commun.

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Commentaire 1
à écrit le 31/03/2022 à 11:24
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