Pourquoi ce viticulteur de 60 ans n'a pas encore transmis son exploitation (2/4)

REPORTAGE. En Charente-Maritime, un viticulteur de 60 ans approche de la retraite, sans avoir pu transmettre ses terres comme il l'aurait voulu. Un exemple qui illustre la difficulté des agriculteurs à se séparer totalement de leurs exploitations. Avec la terre, vient aussi un socle de valeurs.
Dans ce village de Charente-Maritime, l'activité est concentrée autour de la viticulture pour la production du Cognac.
Dans ce village de Charente-Maritime, l'activité est concentrée autour de la viticulture pour la production du Cognac. (Crédits : Maxime Giraudeau)

Les ouvriers s'affairent à travers les rangs de vignes. C'est la saison de la taille dans le vignoble du Cognaçais. Sur ces plaines charentaises silencieuses, seuls résonnent les petits moteurs des sécateurs électriques. Deux tailleurs sont à la manœuvre sous le ciel gris, pour redonner forme à la vigne avant qu'elle ne bourgeonne au printemps. "Philippe ?* Oui on le connaît. On a entendu que ses neveux doivent reprendre", croit savoir l'un. Dans un village de 400 habitants, pour une vingtaine de viticulteurs, les nouvelles de clocher, on adore ça.

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A quelques centaines de mètres de là, une grande bâtisse en pierre surplombe les hectares de vignes alentours. Sur le portail d'entrée, les initiales du premier propriétaire de la maison, entrée dans la famille depuis quatre générations. Son actuel occupant nous renseigne : "je vais vendre une partie de mes vignes à des neveux". Cette fois, la rumeur s'accorde avec la réalité.

Viticulture vignes

La taille effectuée jusqu'en mars fera place au pliage pour le printemps. (crédits : Maxime Giraudeau / LT)

Philippe a 60 ans et s'est installé comme viticulteur en 1983, en reprenant le domaine familial. Ou du moins sa part des huit hectares de vignes laissés par le père et divisés entre les cinq enfants de la fratrie. Une maigre partie de son activité qui s'étend aujourd'hui sur 40 hectares de vignes et 80 de champs, dont il est propriétaire pour moitié. Un métier exercé avec passion, un démarrage compliqué, des charges de travail conséquentes, pour une situation économique très satisfaisante à l'arrivée. Ainsi le viticulteur décrit-il son parcours. Jusqu'à l'an dernier, où "à 60 ans, les questions ont commencé à se poser".

L'homme, qui sera à la retraite d'ici deux à trois ans, s'assoit à table dans une pièce aux pierres apparentes, le dos tourné aux grandes fenêtres donnant sur la cour. La même configuration, peut-être, que lorsqu'il a reçu ses trois enfants un an auparavant. "On a fait une réunion familiale pour parler de l'avenir de l'exploitation. Aucun des trois n'a voulu reprendre. Je ne voulais pas du tout les forcer car c'est un métier compliqué et il faut beaucoup de volonté pour le faire", confie Philippe, lucide. N'empêche que la plus jeune se verrait bien arpenter les labours familiaux en cheffe de vignoble d'ici quelques saisons. Mais pas maintenant. C'est trop tôt. Et c'est bien pour cela que Philippe ne transmettra pas ses terres en dehors du cadre familial.

Tu ne vendras qu'une fois

Bientôt en retraite, le viticulteur va diviser ses terres en deux lots : l'un qu'il vendra à des neveux, l'autre qu'il gardera sous le coude pour la reprise hypothétique de sa benjamine. Au cas où. Même si Philippe s'était fait à l'idée que sa transmission pouvait très bien se faire hors de la famille, il demeure maintenant accroché à cet espoir. Les neveux exploiteront le deuxième lot, en attendant. Mais dans tous les cas, pas question de mettre en vente l'exploitation et, de fait, d'être soumis au pouvoir de l'institution régulatrice du foncier agricole. "Dans ce cas, la Safer [Société d'aménagement foncier et d'établissement rural, ndlr] pourrait avoir un droit de regard sur la vente", vise-t-il.

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Les Safer ont effectivement le pouvoir de préempter lorsque toute ou partie d'une exploitation est mise en vente, afin de la mobiliser à plus bas coût en direction d'un agriculteur qui souhaite s'installer. Si Philippe se montre favorable à cette démarche, il dit ne plus l'observer dans la région du Cognac où les prix des parcelles de vignes s'envolent. 80.000 euros l'hectare en moyenne. "Des fois on entend 100.000 euros", glisse-t-il d'un sourire en coin. Pour lui, le vieil adage qui dit "si tu vends, tu ne vendras qu'une fois" s'applique parfaitement. Alors, il gardera la terre.

Éthique de métier et transmission

"Il faut se mettre à leur place, c'est un outil qu'ils ont mis 20, 30, 40 ans à construire et qu'ils n'ont pas envie de voir déstructuré ou dévalorisé", traduit Julien Rouger, pourtant défenseur du pouvoir de la Safer de par son rôle de président de la Commission régionale Installation et Transmission de la chambre d'agriculture Nouvelle-Aquitaine. Si l'importance du cadre familial ne fait que s'étioler, avec des agriculteurs comme Philippe qui témoignent de conditions difficiles à leurs enfants, la volonté de transmettre à la bonne personne est en revanche bien perceptible. En particulier chez ceux qui ont pris le temps de définir quels sont leurs principes éthiques du métier. "Quand un agriculteur est attaché au sens de son métier, il va faire des efforts pour aller chercher des gens, y compris hors du cadre familial, pour que ça continue", explique Catherine Macombe, chercheuse à l'Inra.

C'est ce que montre aussi la chercheuse dans ses travaux :

"Quand l'agriculteur considère l'exploitation comme un patrimoine, il lui importe de transmettre non seulement les ressources tangibles mais aussi un ensemble d'éléments intangibles (amour de la terre, du pays, savoir-faire, patrimoine culturel lié à l'exploitation...). [...] Cela conduit à l'installation d'un apparenté ou d'un successeur choisi hors du cadre familial mais « adopté » par l'exploitant", écrit-elle.

Chercher le bon repreneur. Sans toujours y parvenir à temps. C'est d'abord parce les exigences des agriculteurs sur le départ sont élevées que le processus de transmission se retrouve bloqué. C'est en même temps le gage d'un renouvellement qui puisse conserver l'identité des exploitations. Philippe, lui, n'y paraît pas fondamentalement attaché. Au moment de son installation, c'était autre chose. "Tu as l'impression que si tu ne continues pas le travail familial, tu casses une chaîne", pensait-il alors. Affirmation qu'il réfute aujourd'hui alors que sa fille pourrait à son tour s'en emparer.

(*) : Le prénom a été changé.

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