Bordeaux Métropole 2050 : le difficile équilibre entre intérêt général et attentes individuelles

Comment, demain, vivra-t-on, se déplacera-t-on dans les frontières de la métropole bordelaise ? Spécialistes du transport, de la construction et élus ont planché sur ces sujets nécessairement hybridés lors de la journée de restitution de Bordeaux Métropole 2050. Un constat est commun : la société va vers de plus en plus de préoccupations et besoins individuels affirmés, complexifiant l'édification d'un intérêt général.
La conclusion de la démarche Bordeaux Métropole 2050 a réuni élus, entrepreneurs, citoyens... au H14
La conclusion de la démarche Bordeaux Métropole 2050 a réuni élus, entrepreneurs, citoyens... au H14 (Crédits : La Tribune / Mikaël Lozano)

"La difficulté avec la prospective, c'est qu'elle échoue souvent." Le constat, implacable mais dit en souriant, sort de la bouche d'un... directeur de la prospective, des modes de vie et de la mobilité, Eric Chareyron, pour le compte du groupe Keolis. En quelques mots, le premier participant à la table ronde "Se loger, se déplacer, travailler, consommer dans et hors de la métropole" dans le cadre de la journée de restitution de la démarche Bordeaux Métropole 2050, a résumé l'immense difficulté à se projeter : "Beaucoup de choses ne se passent pas comme prévu". Eric Chareyron s'attache donc à "faire de la prospective du présent, à partir de bases et de constats actuels". Le champ est déjà vaste : "Les manière de travailler, la régularité des horaires des emplois ont changé, de nouveaux métiers sont apparus, les retraités d'aujourd'hui ont des modes de vie différents de ceux d'il y a quelques décennies. Une semaine ressemble de moins en moins à la précédente." Keolis s'attache donc à trouver le meilleur compromis entre le concept-même du transport en commun, autrement dit le transport de masse, et des comportements individuels de moins en moins routiniers et donc prévisibles. Une illustration : "70 % des Girondins viennent à Bordeaux une fois par mois. On observe de moins en moins de flux pendulaires et de plus en plus de désynchronisations de ces flux", relève Eric Chareyron.

Interrogée sur le coût du logement et sur la possibilité de créer une ville "abordable", Alexandra François-Cuxac a d'emblée balayé les différents facteurs qui ont contribué, ces dernières années, au renchérissement des prix : "Le progrès technique, qui a un coût et alors que les exigences des habitants se multiplient ; la production de logements à grande échelle sans que l'on ait industrialisé nos process ; la complexité des normes et de l'administratif qui fait qu'aujourd'hui, il faut six ans pour produire un logement. Et enfin la rigidité du modèle qui est proposé : accédant à la propriété ou locataire, logement privé ou logement social." Pointant cette absence de zones grises, la présidente de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers aimerait que l'on "imagine de nouvelles formes de propriété, avec de nouveaux montages, par exemple en ayant recours aux offices fonciers solidaires qui permettent de dissocier la propriété des sols de celles des murs". Pour la patronne des promoteurs, "le maître-mot de la ville de demain, c'est la liberté de chacun".

Construire haut, d'accord... mais pas à côté de chez moi

Une liberté qui devra malgré tout composer avec une nécessaire revue de la manière de construire... et d'accepter le voisinage. Philippe Dejean, président du comité régional d'Action Logement, l'a très bien résumé, pointant une croissance de la métropole bordelaise trois fois plus rapide que les territoires qui l'entourent, une précarisation des contrats de travail, deux catégories de salariés qui se distinguent par des niveaux de salaire différents, des investisseurs toujours très présents sur le marché immobilier.

"On construit sur la métropole 8.000 nouveaux logements chaque année dont 2.000 à 2.500 seulement pour des propriétaires occupants. Est-ce assez pour répondre à la demande ? Non, disent les partenaires sociaux. Le problème est que tout le monde est d'accord pour préserver les espaces naturels, mais que lorsqu'on imagine un nouveau projet, les habitants voisins trouvent insupportables le R+3 par rapport à du R+2. Or, à chaque fois qu'on réduit un bâtiment d'un étage de 10 logements, on consomme un hectare de plus !"

Densité et hauteur, prix et pouvoir d'achat, ces éternels débats concernent aussi le monde de l'architecture. Et l'architecte Olivier Brochet en convient volontiers, même s'il nuance en rappelant que la principale responsabilité de sa corporation est plutôt à chercher dans l'identité des constructions. "On court après l'identité de l'architecture bordelaise. Le problème est que le propos est à géométrie variable ! Winy Maas (architecte néerlandais qui œuvre actuellement sur le quartier Bastide-Niel à Bordeaux, NDLR) a pris des éléments caractéristiques des échoppes bordelaises pour quelque chose qui est pourtant considéré comme exogène par une partie des observateurs", illustre-t-il. "Au-delà d'une certaine échelle, l'identité stricte d'un lieu est difficile à maintenir." La densité et la hauteur génèrent une rupture d'échelle, professe l'architecte, qui estime que c'est dans le diffus que les risques du grand n'importe quoi sont les plus importants, et qu'une attention particulière doit être apportée aux quartiers de lisière, citant le quartier de la Jalère. Le nouveau maire de Bordeaux Nicolas Florian embraie immédiatement sur cet exemple, d'autant plus qu'il a été gentiment chahuté quelques minutes plus tôt par des militants attirant son attention sur l'importance de ce secteur : "La Jalère, c'est peut-être la dernière grande zone de Bordeaux à aménager." L'élu revendique une volonté d'avancer "sur le front de l'urgence climatique : il s'agit de prendre des décisions pour plus de sobriété et de mixité". En revanche il ne croit pas en une identité architecturale monobloc mais plutôt en "des signatures", assumant la nécessité de "laisser libre court à la créativité. Notre rôle, en tant qu'élus, est d'orienter la ville de demain, avec l'enjeu de concilier des attentes multiples." Face au contrôle strict du nombre de nouvelles opérations opéré par un grand nombre de maires de la métropole bordelaise, Nicolas Florian met ses pas dans ceux de son prédécesseur : "Je ne serai pas le maire qui stoppera les logements, nos concitoyens en ont besoin". Présent incognito dans le public, Alain Juppé doit apprécier.

Alain Juppé lors de Bordeaux Métropole 2050

L'ancien maire de Bordeaux Alain Juppé, incognito ou presque au milieu du public (crédit photo La Tribune / Mikaël Lozano)

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