Aurélie Piet : "La crise est un électrochoc dont il faut s’emparer"

LE MONDE D'APRES. Une fois le choc passé, la crise sanitaire peut-être vue comme une opportunité. L’occasion peut-être de remettre à plat le système monétaire, de remettre l’intérêt général au centre au-delà du profit, de changer d’indicateurs. Des pistes de réflexion nous sont proposées par l’économiste girondine, Aurélie Piet, qui publiait en avril 2019 "Quand l'homo-économicus saute à l'élastique... sans élastique" (*). Un ouvrage qui dresse des pistes pour inventer une autre économie et reste, un an après, d’actualité. Rencontre.
Aurélie Piet, économiste, chercheuse, auteure, conférencière, et professeure à l'Iseg à Bordeaux.
Aurélie Piet, économiste, chercheuse, auteure, conférencière, et professeure à l'Iseg à Bordeaux. (Crédits : Agence APPA)

LA TRIBUNE - Comment percevez-vous cette crise ?

AURELIE PIET - Cette crise sanitaire s'ajoute à de nombreuses autres -démocratique, sociale, économique, environnementale- et nous confirme que notre monde est malade. C'est encore plus symbolique aujourd'hui. Cette crise met en valeur notre vulnérabilité, la fragilité de la population, les inégalités et notre inter-dépendance. Elle met aussi en évidence l'importance du service public, en premier lieu la santé et l'éducation, mais aussi de l'Etat par rapport à la notion de marché. L'Etat est fondamental. Ceci étant dit, je constate de manière générale, une grande réactivité et une mobilisation qui est rassurante. Tout le monde joue le jeu en tentant de s'adapter au mieux, y compris dans les entreprises.

Toutes ne sont pas logées à la même enseigne. Que devront-elles en tirer ?

Effectivement, il y a celles qui sont inévitablement fermées, et celles qui s'adaptent pour continuer à fonctionner. Mais c'est indéniable désormais, les entreprises ont besoin de souplesse dans un monde mondialisé où tout peut arriver. Il est important d'aller vers plus de flexibilité à tous les niveaux : dans les outils que les entreprises utilisent, mais aussi dans le management. L'heure n'est plus à une organisation très hiérarchique et bureaucratique, mais plutôt au travail en intelligence collective, en mode projet. Par ailleurs, celles qui étaient réfractaires au télétravail vont peut-être y trouver des avantages. Quoi qu'il en soit, les nouveaux outils technologiques sont devenus indispensables, même si, dans le même temps, nous prenons conscience du fait que le rapport humain nous manque. C'est un autre enseignement de cette crise et en particulier de cette période de confinement.

Face à la crise économique créée par la pandémie, un plan de soutien direct à l'économie de 45 milliards d'euros a été annoncé dès le 16 mars. Faut-il injecter massivement de l'argent ?

Sans aucun doute. Nous avons besoin d'argent pour que l'économie fonctionne. L'injection d'argent était donc nécessaire et indispensable. En revanche, la question est de savoir quelles seront les modalités d'emprunt. Il n'est plus possible pour l'Etat de se financer auprès de la Banque centrale. Il emprunte donc notamment aux banques privées. Dans le contexte actuel, il y aura des intérêts colossaux à rembourser qui creuseront encore plus la dette publique. J'aimerais que l'on profite de cette crise pour repenser notre système monétaire, car c'est lui qui génère la dette publique.

Aurélie Piet

Aurélie Piet (crédits : Agence APPA)

Que dit cette crise de notre économie et comment rebondir ensuite ?

Cela dit tout d'abord que notre économie est très mondialisée, et qu'il faut que l'on reparte sur du local en construisant des territoires résilients. Cela veut dire relocaliser la production, l'activité économique, développer des monnaies locales, se nourrir de manière autonome. Il faut favoriser le développement des modèles économiques alternatifs (économie sociale et solidaire...). Et, je le répète, l'Etat joue un rôle fondamental. Il doit accompagner la transformation de la société, peut-être même davantage subventionner la transition. Son rôle pourrait aussi consister à réorienter les indicateurs pour aller vers des critères plus qualitatifs pour orienter les choix budgétaires. L'indicateur de progrès véritable (IPV) qui comptabilise ce qui est bon mais aussi négatif pour la planète, est une alternative. Le produit intérieur brut (PIB) ne doit plus être la seule préoccupation.

Ne pensez-vous pas que les entreprises repartiront comme avant ?

Le 21ème siècle doit répondre aux enjeux de l'environnement et de l'inégalité et nous ne pourrons pas changer le monde si les entreprises ne changent pas leurs priorités. Le profit ne doit être qu'un moyen. Il faut changer de modèle. La bonne nouvelle, c'est que de plus en plus d'entreprises ont désormais le label "Be Corp", qui est accordé pour récompenser des pratiques responsables et des objectifs extra-financiers sociaux, environnementaux, de gouvernance et de transparence forts. Espérons que cela accentuera le phénomène. J'espère, en tout cas, qu'il va y avoir des prises de conscience.

Peut-on aller jusqu'à parler d'opportunité ?

Cette crise est en tout cas une alliée pour l'environnement. La planète n'aurait d'ailleurs pas pu trouver mieux pour stopper l'activité du monde et reprendre son souffle. Nous sommes en train de vivre un électrochoc dont il va toutefois falloir s'emparer pour accompagner le changement. Chacun aura un rôle à jouer.

(*) "Quand l'homo-économicus saute à l'élastique... sans élastique", avril 2019, Plon, 280 pages, 19 euros.

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Commentaires 2
à écrit le 14/04/2020 à 20:25
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En parlant de pollution il faut remarquer que Paris dans les premières semaines de confinement n'a au final perdu que 30% de sa production, c'est beaucoup et les parisiens ont pu en profiter pour respirer, du moins une heure par jour, mais vu les emb...

à écrit le 14/04/2020 à 15:57
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Elle se trompe sur un point, le PIB est un excellent indicateur de la transformation du monde, c'est même son avantage: il faut donc le garder... et le faire diminuer...pour avoir un monde plus économe en ressources et plus écologique.

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