"La Lune est un très bon terrain d'entraînement avant d'aller sur Mars"

Cinquante ans après le succès de la mission Apollo 11, la Lune revient sous le feu des projecteurs. Elle est aujourd'hui considérée comme une première étape nécessaire avant de partir à la conquête de Mars, explique Jean-François Clervoy. L'astronaute français de l'Agence spatiale européenne, qui a participé à trois missions avec la Nasa au cœur desquelles il a passé une trentaine de jours dans l'espace, est aujourd'hui le patron de la société Novespace et le président d'honneur de Big Bang, festival de l'aéronautique et de l'espace dont la 4e édition aura lieu du 14 au 18 mai à Saint-Médard-en-Jalles en Gironde. Il explique à La Tribune pourquoi la Lune est si stratégique.
Selon l'astronaute Jean-François Clervoy, la Lune est une première étape obligatoire avant la conquête de Mars (image d'illustration de village lunaire par l'Agence spatiale européenne)
Selon l'astronaute Jean-François Clervoy, la Lune est une première étape obligatoire avant la conquête de Mars (image d'illustration de village lunaire par l'Agence spatiale européenne) (Crédits : ESA / P. Carrill)

Pourquoi avoir choisi la Lune comme thème central de cette édition du festival Big Bang ?

Déjà parce que nous fêtons cette année le 50e anniversaire de la mission Apollo 11, durant laquelle pour la première fois des hommes se sont posés sur la Lune, le 20 juillet 1969. C'était une étape incroyable de l'histoire de l'humanité, et on sous-estime encore aujourd'hui le tour de force que cela représentait. Mais aussi parce que depuis la précédente édition du festival en 2018, nous avons vécu une année de décisions fortes qui emmènent vers une nouvelle course à la Lune. Les Chinois ont annoncé qu'ils avaient posé un module d'exploration sur sa face cachée, une première mondiale, et évoquent une mission habitée à l'horizon 2030. Donald Trump a lui annoncé un retour des Américains sur la surface de la Lune en 2028, puis a avancé la date à 2024, ce qu'ils n'arriveront probablement pas à faire. Et les autres acteurs mondiaux font aussi preuve de beaucoup d'ambitions.

Pourquoi cet engouement ?

Parce que la Lune est idéale pour répéter ce que l'on fera sur Mars plus tard et qu'on peut en revenir en trois jours. C'est le sens du projet de station internationale Gateway placée en orbite lunaire, un projet porté par la Nasa, qui succèdera à l'actuelle station ISS. Il faut d'ailleurs savoir que l'administration américaine a souvent changé de politique ces dernières années. Bush fils avait lancé un projet de base lunaire, le sujet avait été ensuite enterré puis ressuscité avec le projet de vaisseau spatial Orion... Cette fois, cette station (à laquelle contribueront la Nasa, l'Agence spatiale européenne, le Canada... sur le modèle de l'ISS, NDLR), pourra être habitée un mois par an en moyenne. La Lune est une destination prioritaire identifiée par tous les opérateurs spatiaux. Les scientifiques sont tous d'accord pour dire qu'il y a beaucoup de choses à y faire, en particulier de la radioastronomie très très fine sur sa face cachée, à l'abri de la pollution terrestre.

On sait aujourd'hui que l'on ira sur Mars d'ici 25 à 30 ans. Les travaux scientifiques en ce moment portent beaucoup sur la physiologie humaine, on étudie notamment la vision, car c'est nécessaire pour préparer les futurs vols lointains. La Lune propose un environnement représentatif de l'espace profond. Elle sera un très bon terrain d'entraînement avant Mars. L'un des enjeux est de réussir à mettre au point des systèmes automatiques de production d'eau et d'oxygène. On ne pourra pas emmener ces éléments depuis la Terre pour un voyage martien, toute colonisation ne sera possible qu'en maîtrisant ces sujets. Je fais le pari qu'on continuera à beaucoup parler de la Lune dans les prochaines années.

Clervoy

Lire aussi : L'astronaute Jean-François Clervoy et l'envie d'entreprendre


La course à la Lune, qui avait déjà rythmé les années précédant Apollo 11, est-elle ainsi relancée ?

Les Chinois ne se présentent pas comme des compétiteurs : ils suivent leur propre route indépendamment des autres nations. Les Etats-Unis, eux, ne sont pas prêts à remettre 5,5 % du budget de l'Etat dans la Nasa comme ils le faisaient à l'époque d'Apollo 11. Les Russes se sont spécialisés dans les vols en station de longue durée, de manière à pouvoir se projeter sur des missions où ce type de vols sera nécessaire. Chacun trace son sillon, ce ne sera pas une course de vitesse.

Quel rôle jouera l'Europe ?

Nous avons en Europe un savoir-faire aussi bon que les Américains, avec les meilleurs mathématiciens et une industrie de haut niveau, même si Ariane 5 n'a jamais transporté d'astronautes. Et nous allons nous maintenir dans le projet Gateway à hauteur de ce que nous faisons déjà pour la station ISS.

Et que peut espérer Elon Musk, le controversé fondateur de Space X et de Tesla ?

Controversé, peut-être, je dirais surtout redouté. Il est habité par une vision, il a une capacité remarquable à mobilier des compétences et des énergies autour de lui. Et encore, je pense que l'on n'a pas vu le plus impressionnant avec lui, son Starship (projet de véhicule de transport spatial, NDLR). Elon Musk ambitionne d'être le premier à lancer un vaisseau habité à partir vers une orbite lointaine au-delà de la Lune avec Starship, la Nasa cherche à faire de même avec son propre vaisseau Orion, tous les deux annoncent 2022 ou 2023. La Nasa est plus proche d'y arriver, mais Elon Musk est tout à fait capable d'aller plus vite et de rattraper son retard.

Le programme du festival Big Bang prévoit une séquence intitulée "Sommes-nous vraiment allés sur la lune" avec le Youtubeur et vulgarisateur Astronogeek. Comment expliquez-vous que 50 ans après, la suspicion sur la véracité de la mission Apollo 11 soit toujours aussi présente ?

Les fake news (ou infox en français, NDLR) touchent certes une minorité de personnes qui n'a aucune culture scientifique, mais il s'agit néanmoins d'une population significative. La première chose qu'ils entendent et qui se présente sous des atours pseudo-scientifiques est de nature à les convaincre. Les fake news telles que cette pseudo-machination de la Nasa ou encore celle qui veut que la Terre serait plate, ça fait vendre ! Malgré les preuves physiques que l'on a et qui confirment la réalité de l'alunissage, comme les photos à très haute résolution. Les Russes eux-mêmes ont reconnu avoir perdu la course à la Lune, ce qui est quand même significatif dans le contexte d'alors. Et les milliers de personnes qui ont travaillé sur la mission Apollo 11 ne peuvent pas se mentir à elles-mêmes, et aux autres, de la sorte.

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Big Bang, du 14 au 18 mai

La 4e édition de Big Bang aura lieu du 14 au 18 mai à Saint-Médard-en-Jalles, près de Bordeaux. Le festival de l'air et de l'espace aura pour thème central « La Lune : l'aventure continue ! ». Parmi les temps forts, une conférence de Claudie Haigneré, astronaute et conseillère auprès du Directeur Général de l'Agence Spatiale Européenne (ESA), plusieurs expositions, un salon de l'emploi avec Synergie Aéro, une intervention du youtubeur et vulgarisateur Astronogeek, une rencontre en clôture avec plusieurs éminents spécialistes de l'exploration lunaire...

>> Renseignement sur le site de Big Bang

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