Quand les militaires draguent les drones civils

Un sursaut et des actes. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les entreprises de drones civils sont très sollicitées par les forces armées pour adapter leurs savoir-faire aux nouveaux usages militaires. L'agilité de ces PME est précieuse pour adresser ces nouveaux marchés qui les incitent à lancer des filiales dédiées. Jean-Dominique Lauwereins, le fondateur de Dronisos, a carrément créé Icarus Swarms, une entreprise centrée sur la sécurité et la défense. Reportage dans les allées de l'UAV Show à Bordeaux.
Les essaims de drones d'Icarus sont utilisés par le Raid. L'entreprise a été créée par le fondateur de l'entreprise Dronisos, spécialisée dans des spectacles associant jusqu'à 1.500 drones.
Les essaims de drones d'Icarus sont utilisés par le Raid. L'entreprise a été créée par le fondateur de l'entreprise Dronisos, spécialisée dans des spectacles associant jusqu'à 1.500 drones. (Crédits : Icarus)

Le cas le plus médiatique est celui de Delair qui vient d'envoyer 150 drones de surveillance et de reconnaissance à l'Armée ukrainienne. Pour la PME toulousaine, plus connue pour ses engins à applications industrielles, ce segment de la défense est un marché en plein essor. Et elle est loin d'être la seule, à en croire les entreprises de drones interrogées à l'UAV Show, le salon européen du drone professionnel qui s'est tenu à Bordeaux du 10 au 12 octobre.

Si cet évènement est à 95 % civil, on y croise aussi des membres de l'école de drone de l'Armée de terre, un stand de la 33e Escadre de surveillance, de reconnaissance et d'attaque de Cognac et un autre d'Aliénor, le pôle régional d'innovation du ministère des Armées. « La demande de drones est telle que tout ce qui vole est susceptible de partir en Ukraine ! On a beaucoup de demandes entrantes », résume un entrepreneur. Et pour cause, les Ukrainiens sont réputés perdre quelque 10.000 drones par mois tant leur usage s'est développé sur le champ de bataille.

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« Une vraie prise de conscience »

Mais l'intérêt est aussi très vif du côté des forces armées européennes pour qui le conflit ukrainien a fait office de sursaut salutaire, comme le souligne Thibault Lang, manager de l'innovation au sein du pôle Aliénor de l'Agence de l'innovation de défense (AID) : « Le théâtre d'opérations ukrainien est extrêmement dronisé, les usages des drones sont très variés et évoluent rapidement, tout comme les technologies. Cela a marqué une vraie prise de conscience de l'importance de se mettre à niveau, de développer des capacités propres et d'innover. » L'Ukraine est ainsi une source de retours d'expériences précieux pour l'armée française. Par le biais de l'AID, elle émet des appels à manifestation d'intérêt pour identifier les entreprises aux quatre coins du pays capables de répondre à des besoins précis. Dans le Sud-Ouest, cela peut concerner la lutte contre les incendies sur les sites pyrotechniques avec Reflet du Monde ou encore la lutte anti-drones embarquée dans un hélicoptère avec Cerbair.

Mais loin du rôle imaginé pour le drone Predator, qui vole haut, coûte cher et frappe fort, les utilisations des drones en Ukraine, et avant en Syrie et Azerbaïdjan, sont multiples : observation, reconnaissance et renseignement, appui au tir d'artillerie, transport de munitions, évacuations et attaques frontales, y compris kamikaze. Le tout avec des engins petits, peu onéreux, polyvalents et potentiellement consommables.

« La plupart de ces usages concrets étaient encore peu concevables en 2020 et il y a donc une vraie volonté de s'adapter rapidement en menant des programmes de développement rapides, sur douze ou 24 mois. L'agilité des solutions civiles offre souvent une grande transversalité dans les usages potentiels », poursuit Thibault Lang, assurant que, désormais, des budgets sont mis en face des besoins.

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Les contrats commencent à arriver

Et, de fait, de nombreuses entreprises de drones civiles présentes à l'UAV Show développent aussi une activité de défense depuis un ou deux ans. Installé à Guérande (Loire-Atlantique), Xsun participe au projet Sköll lancé par l'AID en 2021. Objectif ? Mesurer si son drone autonome solaire et silencieux, capable de voler pendant neuf heures en emportant 25 kilos, est compatible avec les besoins opérationnels des fusiliers marins et commandos pour des missions de cartographie ou de reconnaissance vidéo en direct.

Xsun

Le drone SolarXone de Xsun est en phase de test chez les fusiliers marins et commandos (crédits : Xsun).

Du côté d'Asman Technology (Charente-Maritime), on confirme aussi que le téléphone sonne régulièrement avec des interlocuteurs du secteur de la défense au bout du fil. Historiquement positionnée sur la diffusion vidéo de grands évènements, type Paris Dakar, l'entreprise équipe aussi depuis début 2023 les hélicoptères Fennec de l'Armée de l'air française. Mais Dominique Désveaux, son directeur commercial, relativise ces perspectives militaires dessinées par le théâtre ukrainien : « Notre métier c'est de faire décoller un drone et de le ramener, pas d'aller frapper une cible ni de perdre l'appareil. »

Chez Reflet du Monde (Gironde), qui conçoit notamment des drones agricoles, l'heure est à la création prochaine d'une filiale dédiée aux activités de défense baptisée Drone Design. Après avoir été éconduit par Bpifrance, « qui ne croyait pas aux drones de défense il y a encore quelques années », son fondateur, Patrice Rosier, confirme le regain d'intérêt des militaires depuis le printemps 2022. Avec, à la clef, un premier contrat signé en fin d'année : « La guerre en Ukraine a enfin mis des contrats en face de la R&D, c'est un grand pas en avant ! » Reflet du Monde travaille sur un drone répondant aux besoins de forces spéciales françaises, mène des essais avec l'AID sur la protection incendie des zones d'essais pyrotechniques et a répondu à un appel d'offres pour un drone d'appui à un groupe d'artillerie.

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Des volumes susceptibles de porter la filière

Mis bout à bout, tous ces projets pourraient apporter à la filière des volumes importants qui lui font défaut jusqu'à présent. « La guerre en Ukraine constitue vraiment un game changer parce qu'elle démontre le besoin de drones consommables en grand nombre sur le champ de bataille plutôt que de gros engins bardés de technologie, même si les deux sont complémentaires », poursuit Frédéric Glorieux, manager opérationnel de DroneVolt (ex Air Marine). Aujourd'hui, les armées cherchent des engins low cost et cela pourrait être synonyme de séries de milliers de drones ! »  Cet ancien officier de marine réfléchit, lui-aussi, à créer une filiale dédiée à ces activités spécifiques alors que l'entreprise girondine développe déjà des preuves de concept avec les douanes et les garde-côtes.

Chez Dronisos, entreprise girondine célèbre dans le monde entier pour ses spectacles de plusieurs centaines de drones, Jean-Dominique Lauwereins a tranché la question début 2023. Une nouvelle entreprise, baptisée Icarus Swarms, a été créée de toutes pièces pour s'adresser aux marchés militaires. Et le succès ne s'est pas fait attendre avec un premier contrat signé avec le Raid. « Nous fournissons des valises permettant de déployer jusqu'à une vingtaine de drones pour des missions de surveillance, d'éclairage, de recherche de personne ou de mesure de radioactivité. Il ne s'agit pas d'usages offensifs », précise l'entrepreneur.

Icarus Swarms

Les essaims de drones d'Icarus Swarms (crédits : Icarus Swarms).

Icarus Swarms, qui vise un million d'euros de chiffre d'affaires dès 2023 et le double en 2024, est aussi capable, grâce à ses essaims de drones coordonnés, de tester la robustesse des systèmes anti-drones. « L'Armée a compris qu'en plus des grands industriels de la défense, qui sont indispensables, il y a un tissu de PME très agiles capables de répondre aux besoins nés des nouveaux usages des drones ». C'est d'ailleurs désormais le principal défi de la filière : toutes ces PME doivent réussir à se structurer pour être en capacité de répondre à la demande croissante.

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Commentaires 5
à écrit le 23/10/2023 à 19:26
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Les drones ne sont pas assez résistants aux brouilleurs russes pas d emballage aluminium, ils sont trop chers, ils ont du mal à transporter un obus ou une mine, même une grenade

à écrit le 12/10/2023 à 12:40
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L'intérêt des militaires pour de drones civiles et ses dérivés est tout à fait compréhensible et indéniable. Je suppose qu'au niveau de causes des pertes militaires (humaines, chars/véhicules blindés) dans la guerre en Ukraine, les drones soient au d...

le 12/10/2023 à 17:33
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A noter ,que le char Abrams que nous avons vu détruit en Israël le premier jour de l'attaque a été détruit par un drone du Hamas.

le 13/10/2023 à 16:22
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@lachose: Il s'agit de char Merkava, pas Abrams. En tous cas, en Ukraine on peut observer cela quelques fois par jours.

à écrit le 12/10/2023 à 6:52
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Bonjour, ils faut dire que l'inovation mimitaire est tres reduite sur le sujet.... et les grose entreprises de la defense sont complètement dépassé pour les développement des drones a vocations militaire... Donc avec le conflits ukrainienne nous ...

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