La large opposition constatée par la Commission nationale du débat public n'aura pas suffi : le ministère de la Transition écologique a annoncé le 29 juillet le lancement de deux parcs éoliens offshore d'1 GW chacun au large de l'île d'Oléron, en Charente-Maritime. Il publiera d'ici la fin de l'année l'appel d'offres pour le premier parc, un champ d'éoliennes posées à près de 60 mètres de fond et à plus de 35 km des côtes, l'objectif étant de désigner le lauréat début 2024 pour une mise en service "au début des années 2030". Les études de faisabilité du second parc, prévu "encore plus au large", avec une technologie "qui pourra être flottante ou posée", "démarreront simultanément au premier parc".
Lancés dans le cadre de la Programmation pluriannuelle de l'énergie 2019-2028 (1), ces deux parcs doivent produire "un volume d'électricité équivalent à la consommation électrique d'1,6 million d'habitants environ, soit plus du double de la population de Charente-Maritime", se félicite l'exécutif, assurant s'être appuyé sur les conclusions du débat public pour "identifier la zone la plus propice à l'implantation du projet". Deux zones en l'occurrence, une première de 180 km2 pour le premier parc et une seconde de 250 km2 pour le deuxième, "situées intégralement en ZEE [zone économique exclusive] et en dehors du Parc naturel marin de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis".
Cliquez sur l'image pour l'agrandir. Zones retenues pour la procédure de mise en concurrence pour les deux parcs éoliens offshores au large d'Oléron (crédits : Ministère de la Transition écologique / RTE).
Un projet révisé à l'aune du débat public
Car c'est l'un des points d'achoppement les plus saillants de ce projet : sa localisation en zones protégées, reconnues pour leur biodiversité et leurs écosystèmes exceptionnels, qui seront fatalement altérées par l'installation et le fonctionnement des éoliennes. La CPDP (commission particulière du débat public) l'avait d'ailleurs elle-même souligné dans son rapport : si aucun consensus ne semble pouvoir émerger autour de ce projet, l'éloignement des côtes restait en tout cas indispensable à tout "consentement sous conditions".
Tout en privilégiant le recours à l'éolien posé dans un premier temps, l'exécutif a donc fait le choix d'un "éloignement maximal au regard des possibilités techniques et technologiques et dans un objectif de maîtrise des coûts", sans pour autant sortir de la Zone Natura 2000. Il s'engage également à "demander aux futurs développeurs de proposer des mesures pour limiter les impacts sur la pêche". Il reste que le posé en grande profondeur est toujours "en cours de démonstration", prévient le ministère : des progrès sont encore à faire "concernant les moyens nautiques disponibles pour l'installation" de telles éoliennes.
Des certitudes ébranlées
Pour Francis Beaucire, le président de la commission du débat public saisie sur ce dossier, "le gouvernement semble avoir pris la mesure de la complexité du projet qu'il avait proposé".
"Ce débat aura au moins eu le mérite d'éloigner les maîtres d'œuvre [Le ministère et RTE] de leurs certitudes", salue-t-il auprès de La Tribune, balayant d'avance l'idée que "les industriels [aient] fait la loi" : "Eux préféraient un parc bien plus près des côtes, et n'ont pas du tout été écoutés."
Du côté "de ceux qui refusaient le projet initial", Patrick Salez, élu communautaire de l'île de Ré et membre de l'association Ré Avenir, affiche pour sa part une "grande satisfaction". "L'État a entendu la nécessité d'éloigner les éoliennes des côtes, de préserver l'activité de pêche et de garantir la séquence ERC (2). Il a répondu aux demandes", estime-t-il, se disant toutefois attentif "aux conditions économiques" qui régiront le projet, et à "la poursuite de la concertation" une fois le lauréat désigné.
« Un écocide annoncé »
A contrario, le collectif Nemo, qui rassemble nombre d'acteurs locaux de divers horizons et dénonce depuis le début les impacts environnementaux du projet, déplore, lui, un "écocide annoncé" : "La sortie de Parc Naturel Marin est simplement la correction d'une aberration dont l'État craignait les conséquences juridiques", écrit-il.
Rétais et membre du collectif, le vice-président de la LPO et ancien président du Ceser de Nouvelle-Aquitaine, Dominique Chevillon, ne décolère pas à la lecture de la décision de l'État, avançant une fois de plus la "reconnaissance nationale et internationale" de cette zone Natura 2000 à forte valeur ajoutée en matière de biodiversité et d'écosystèmes.
"Nous passons d'une aire marine protégée à une autre ! On nous dit que les études environnementales seront faites par les industriels qui remporteront l'appel d'offres, la réalité c'est que nous n'avons aucune idée des conséquences économiques et environnementales de ce futur parc."
De fait, le collectif s'apprête à déposer un recours contre la décision de l'État, et se prépare d'ores et déjà à "des actions et combats qui seront longs et difficiles, pour tout le monde", prévient Dominique Chevillon.
« Il faut que l'avenir de la pêche soit sécurisé »
Du côté des élus, le président de la communauté de communes de l'Île d'Oléron, Michel Parent, conditionne pour sa part son adhésion au projet : "il faut que l'avenir de la pêche soit sécurisé et qu'un débat soit ouvert sur, notamment, les mesures de compensation financière". Auquel cas, lui voit la possibilité de "positiver les éoliennes" en valorisant leur dimension culturelle et touristique. "Le vent fait partie des éléments naturels typiques de l'île d'Oléron, que l'on appelle aussi l'île aux 100 moulins", rappelle-t-il à cet égard.
Mais pour les premiers concernés, la posture de l'exécutif inspire au mieux une grande défiance, au pire, un rejet radical.
"Je n'ai pas vraiment confiance en la volonté de l'État d'imposer aux industriels la pratique de la pêche au sein des parcs", s'inquiète Philippe Micheau, président du comité départemental des pêches de Charente-Maritime. "La pêche est en grand danger, je ne sais pas comment nous allons nous en sortir. Nous devons déjà composer avec les contraintes au sein du parc naturel, et on nous rajoute encore ! L'État doit nous garantir que nous pourrons pêcher dans des conditions physiques et matérielles sécurisées, mais aussi avec un écosystème préservé. C'est au parc de s'adapter à la pêche, pas l'inverse", défend-t-il, résolu à peser dans l'élaboration du cahier des charges qui sera soumis aux candidats.
Le comité régional campe quant à lui sur l'opposition ferme qu'il affiche depuis le début, et s'apprête également à contester la décision de l'État devant les tribunaux.
Quant au maire de Saint-Pierre-d'Oléron, où se situe le port de la Côtinière, Christophe Sueur, il fustige un projet "qui remet complètement en cause l'économie locale". "Le port est le premier employeur local, on parle de 700 emplois à l'année. Or, la zone retenue par l'État concentre 50 % de l'activité. Que dire aujourd'hui à des jeunes marins qui ne savent pas s'ils doivent investir pour acheter un bateau ?". Lui ne croit pas à la poursuite d'une pêche sécurisée au sein du parc : "Comment on fait pour hélitreuiller un marin en danger au sein du parc ? Comment manœuvrer dans une mer en mouvement entre deux éoliennes ? On nous dit qu'on va essayer de 'limiter les impacts' sur la pêche mais tout cela n'est que de la théorie. La réalité, c'est que l'on crée du danger."
Un constat d'autant plus amer que 60 millions d'euros ont été investis ces dernières années pour moderniser et sécuriser le port. Pour l'élu, "il est temps d'instaurer un moratoire" sur l'éolien offshore, pour mesurer l'impact des premiers parcs en service à l'étranger, et accélérer le développement de l'éolien flottant.
(1) La Programmation pluriannuelle de l'énergie en cours vise une capacité installée d'éolien en mer de 2,4 GW en 2023 et environ 5 GW en 2028.
(2) La séquence ERC (pour « éviter, réduire, compenser ») consiste à, d'abord, éviter les impacts environnementaux, ensuite les réduire au maximum quand ils sont nécessaires, et mettre en œuvre des mesures compensatoires.
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