Oubliez les licornes, regardez les chameaux, ces entreprises expertes de la croissance organique !

OPINION. Les licornes sont-elles les arbres qui cachent une forêt d'entreprises innovantes qui grandissent durablement grâce à leurs fonds propres? Ce cri du cœur peut-il raisonner dans ce tant espéré "monde d'après" plus responsable ? Le regard de l'entrepreneur Guillaume-Olivier Doré et de la communicante Lisa Wyler.
Lisa Wyler et Guillaume-Olivier Doré
Lisa Wyler et Guillaume-Olivier Doré (Crédits : LW / GOD)

Les annonces s'enchaînent et se ressemblent d'un jour à l'autre : levée fantastique pour ManoMano, IAD devient la 18e licorne de la FrenchTech. Avec la fin des confinements, exit les questionnements sur des stratégies de croissance plus responsables et durables qui semblent désormais remisées sous le tapis, plus ou moins discrètement. Nous assistons au retour de "l'indicateur ultime" de la reprise économique, c'est-à-dire le volume des levées et la croissance éclair de nos chères licornes.

Mais le "blitz scaling" qui nourrit les premières pages des journaux économiques n'est-il pas qu'un arbre de jeunes pousses qui cache une forêt touffue d'entreprises tout aussi innovantes, qui se développent quasiment uniquement sur fonds propres ? Du point de vue entrepreneurial et managérial, se développer presque sans lever de fonds n'est-il pas un signal bien plus fort de réussite ? Ces succès se déroulent sans toujours jouir de la visibilité qu'elles méritent. La faute à une culture de l'hypercroissance trop présente dans l'Hexagone ?

Pourquoi tant d'attrait pour les licornes ?

S'il fallait filer la métaphore, les licornes, ces animaux chimériques, sont des espèces rares. Pendant qu'elles prennent la lumière, des entreprises qui attirent moins l'attention contribuent de manière tout aussi importante à notre économie. C'est d'ailleurs bien la question de la contribution à l'écosystème qui se pose dans cette réflexion autour du rôle des entreprises innovantes. Quels indicateurs sont pertinents pour affirmer qu'une entreprise mérite la reconnaissance et une visibilité dans les médias ? L'intérêt des investisseurs est souvent vu comme un indicateur-clé. Pourquoi ? Par un effet de mimétisme avec les médias américains, la presse Française semble s'intéresser plus aux histoires entrepreneuriales spectaculaires qu'aux success stories discrètes, où seul l'indicateur du montant de la levée est retenu...

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Or, d'autres indicateurs sont là pour témoigner de la durabilité au sens premier des entreprises. Du côté des médias, les levées impressionnent au même titre que les créations d'emploi, ou le développement des implantations. Mais d'autres éléments peuvent témoigner d'un business model pertinent, comme le rythme de croissance, ou les retours clients. Un dernier indicateur qui n'est pas toujours perçu comme pertinent, alors qu'il devrait être un vrai juge de paix.

Le développement durable au sens premier, c'est avant tout une croissance raisonnée

Cela peut paraître contradictoire avec les impératifs des venture capitalists (VC), pourtant ces indicateurs de durabilité et de croissance maîtrisée ne sont non seulement pas incompatibles, mais ils doivent surtout être confrontés dans le contexte actuel de décloisonnement entre le monde de l'économie traditionnelle et celui de l'impact. Si les fonds, sentant le vent de l'acceptabilité tourner, sont en train de modifier leurs grilles d'analyse comme un seul homme pour intégrer des indicateurs liés à l'impact, ils ne maîtrisent hélas pas du tout ces indicateurs. De là à estimer qu'ils sont en train de lancer une forme d'impact washing... on peut légitimement s'interroger à ce sujet.

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Pourtant, les entreprises qui se développent (quasiment) sans levée ont des choses à apprendre aux licornes. D'abord parce que celles-ci font preuve d'une efficacité capitalistique très forte : il leur faut peu de cash pour créer beaucoup de croissance et de valeur. Cela ne les empêche pas d'avoir besoin de financement et parfois de lever des fonds, mais elles n'en font pas l'alpha et l'oméga de leur activité de départ. Pourquoi? Parce que sans levée, la créativité et l'agilité priment.

Ces entreprises grandissent moins vite, mais de manière plus pérenne et stable. Elles cherchent à être rentables plus rapidement. A l'ère où les entreprises doivent rendre des comptes à de multiples parties prenantes, au premier rang desquels leurs clients et leurs actionnaires, cette course effrénée vers la croissance n'est pas nécessairement la réponse adaptée aux enjeux de notre époque : réduire notre empreinte sur la planète et engager une transition vers une économie plus soutenable et responsable. Dans cette quête, les investisseurs sont aussi responsables que les dirigeants. Expliquer leurs choix de développement d'entreprise, c'est le défi des entrepreneurs d'aujourd'hui.

C'est aussi le rôle de la presse que de mettre en lumière des modèles d'entreprises qui contribuent à l'économie, ont rencontré leur marché et grandissent à un rythme raisonné. Leur croissance sera moins impressionnante, principalement parce que son rythme est... humain !

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Guillaume-Olivier Doré est un entrepreneur et investisseur, spécialiste de la tech, de l'épargne et engagé dans le monde de l'économie sociale et solidaire depuis 30 ans. Il dirige la startup Elwin, est vice-président de French Tech Bordeaux et président de Finaqui.

Lisa Wyler est spécialiste des relations media et de la communication sensible.

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Commentaires 2
à écrit le 20/07/2021 à 12:50
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Merci pour cet article ! j'adore l'image du chameau. Un animal bien réel, bien ancré, pas le plus sexy mais ultra résistant aux conditions extrêmes. C'est tout le portrait de nos clients préférés. Bon en revanche je vais garder le nom de notre bo...

à écrit le 16/07/2021 à 21:01
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Les licornes sont un peu comme ces gars qui font des concours de body building, des gros voir très gros muscles bien visibles et bien brillants mais qui ne servent pas à grand chose si ce n'est gagner des médailles contrairement aux muscles des maçon...

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